Monsieur le Président, avant d'entrer dans le vif du sujet, je souhaite répondre à une observation intéressante formulée par le député de Hull—Aylmer alors qu'il posait une question à propos des gestes posés par l'ancien gouvernement. De nombreuses dispositions du projet de loi C-51 avaient pour but d'améliorer la sécurité des Canadiens. Je crois que personne n'a encore mentionné, pendant le débat, une proposition faite par le Parti conservateur pendant la dernière campagne électorale: il proposait qu'il soit illégal de se rendre dans certaines régions. La mesure législative prévoyait des exceptions, notamment si le voyage avait un but humanitaire ou s'il s'agissait d'un travail journalistique. C'était une proposition judicieuse car, lorsqu'une personne a l'intention de se rendre dans une région de Syrie ou d'Irak sous le contrôle de Daech, on peut deviner assez facilement ce qu'elle compte y faire, sauf si elle a une raison précise de s'y rendre. C'était l'une de nos propositions. Le gouvernement a choisi de ne pas y donner suite, mais elle avait beaucoup de sens, je crois. Elle aurait fourni aux procureurs et aux forces de l'ordre un outil de plus. J'espère que cette réponse satisfera le député de Hull—Aylmer, qui aura peut-être d'autres observations à ce sujet.
Je reviens donc au projet de loi C-59, qui porte sur le cadre conçu pour assurer la sécurité des Canadiens. Il vise à modifier une mesure adoptée pendant la législature précédente, soir le projet de loi C-51. Le projet de loi à l'étude contient plusieurs mesures. Je ne le qualifierai pas de projet de loi omnibus, puisque les libéraux sont allergiques à ce terme. Disons plutôt qu'il apporte une variété de modifications à différentes parties de la loi. Je m'attarderai sur quelques-uns de ces changements, en fonction du temps dont je dispose, et je parlerai des questions qu'ils soulèvent. Certains de ces changements n'ont pas l'appui des conservateurs, de toute évidence, car nous craignons qu'ils nuisent à la sécurité des Canadiens.
Avant de passer aux dispositions particulières du projet de loi, j'aimerais préparer le terrain pour le genre de discussions que nous avons dans le cadre de la présente législature au sujet de la sécurité et de la sûreté. Nous sommes fermement convaincus que le premier rôle du gouvernement est d'assurer la sécurité des gens. Tout le reste dépend de cela. Si les gens ne sont pas en sécurité, toutes les autres choses qu'un gouvernement fait qui sont secondaires à ce rôle sont en fin de compte moins importantes pour les gens qui estiment que leur sécurité de base n'est pas assurée. Il est certainement bon pour nous de voir un consensus, autant que possible à la Chambre, sur des dispositions qui amélioreraient réellement la sécurité des personnes. Les Canadiens veulent que nous le fassions, et ils veulent que nous travaillions ensemble pour faire face, de façon réaliste, réfléchie et déterminée, aux menaces qui pèsent sur nous.
Nous ne devrions pas être naïfs au sujet des menaces qui pèsent sur nous simplement parce que l'un d'entre nous n'a pas été victime d'une menace terroriste, même si de nombreuses personnes qui faisaient partie de la législature précédente ont manifestement été en contact direct avec une menace terroriste, étant donné l'attaque qui s'est produite sur la Colline du Parlement. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas parce qu'il y a beaucoup de menaces que nous ne voyons pas ou que nous ne ressentons pas directement que cela signifie qu'elles n'existent pas. Nous savons certainement que nos organismes d'application de la loi sont activement engagés dans la surveillance et la lutte contre les menaces et qu'ils font tout ce qu'ils peuvent pour nous protéger. Nous devons être conscients que ces menaces existent. Elles sont sous la surface, mais elles ont un impact. Pour éviter un impact potentiel plus important sur nos vies, nous devons donner à nos organismes de sécurité et à nos forces de l'ordre les outils dont ils ont besoin.
Beaucoup de ces menaces sont des choses dont les gens sont conscients. Il y a la question de la radicalisation et du terrorisme qui est le résultat d'un monde dans lequel la circulation de l'information est beaucoup plus transfrontalière qu'elle ne l'était auparavant. Les gouvernements peuvent, dans une certaine mesure, contrôler l'entrée des personnes dans leur espace, mais ils ne peuvent pas contrôler aussi efficacement les idées de radicalisation qui traversent facilement les frontières et qui influent sur les perceptions des gens. Les gens peuvent être radicalisés même s'ils n'ont jamais été physiquement face à face avec des gens qui ont des opinions radicales. Ces choses peuvent se produire sur Internet beaucoup plus facilement aujourd'hui que par le passé. Ils n'ont pas besoin de la présence physique qui était probablement nécessaire dans le passé pour la diffusion d'idées extrêmes. Les gens qui vivent dans une société occidentale libre peuvent ainsi développer des idées romancées sur l'extrémisme. Il s'agit d'une réalité qui peut toucher de nombreuses personnes différentes, tant celles qui sont nouvelles au Canada que les personnes dont les familles sont ici depuis des générations.
Ce risque croissant de radicalisation a un impact réel, et c'est quelque chose auquel nous devons être sensibles. Bien sûr, il existe différentes formes de radicalisation. Il y a la radicalisation avancée par des groupes comme Daesh. Nous devons également être conscients des menaces que représentent les groupes racistes extrêmes qui peuvent préconiser le ciblage des minorités, par exemple, la fusillade à la mosquée de Québec ou l'attaque qui vient de se produire dans une mosquée à Edson. Il s'agit d'idées extrêmes qui devraient également être considérées comme du terrorisme. Par conséquent, il y a différents types de menaces que nous voyons comme le résultat d'une radicalisation qui ne nécessite plus d'interaction face à face. Il s'agit de menaces réelles, croissantes et émergentes.
Il est également nécessaire que nous soyons vigilants face aux menaces des gouvernements étrangers. De plus en plus, nous voyons un monde dans lequel des gouvernements autoritaires étrangers tentent d'exercer du pouvoir au-delà de leurs frontières. Ils essaient d'influer sur notre système démocratique en diffusant des messages qui peuvent créer de la confusion, de la désinformation et de l'ingérence active au sein de notre système démocratique. Il y a la menace des acteurs non étatiques radicaux, mais il y a aussi les menaces des acteurs étatiques, qui ont certainement des intentions malveillantes et qui veulent avoir un impact sur l'orientation de notre société, ou qui peuvent nous attaquer directement, et qui veulent faire ce genre de choses à leur avantage. Dans l'intérêt de la protection des Canadiens, nous devons être conscients et vigilants face à ces menaces. Nous devons être sérieux quant à la façon dont nous y réagissons.
Même si nous cherchons le consensus dans nos discussions sur ces questions, nous entendons parfois les autres partis, lorsque nous soulevons ces préoccupations réelles et légitimes, nous accuser de répandre la peur. Il semble que nous ne devrions pas parler en des termes si durs des menaces auxquelles nous sommes confrontés, car cela crée de la peur. L'accusation est que cela crée aussi la division, parce que la suggestion qu'il pourrait y avoir des gens qui ont des idées radicales nous divise. Cependant, je pense qu'il y a une différence entre la peur et la prudence. Nous devons connaître cette différence en tant que législateurs, et nous devons être prudents sans avoir peur.
La peur, je pense, implique une réponse irrationnelle, particulièrement une réponse émotionnelle aux menaces qui nous paralyseraient, nous feraient nous inquiéter sans cesse, nous feraient arrêter nos activités normales, ou peut-être même conduire à la diabolisation d'autres personnes que quelqu'un pourrait voir comme une menace. Ce sont toutes des choses qui pourraient bien être des manifestations de peur, ce qui n'est pas bon, évidemment. Cependant, la prudence est toute autre chose. La prudence consiste à être conscient des menaces d'une manière claire, factuelle et réaliste. C'est dire qu'intellectuellement, raisonnablement, nous devons faire tout ce que nous pouvons pour nous protéger, en reconnaissant que si nous ne faisons pas preuve de prudence, si nous ne prenons pas ces mesures rationnelles et lucides pour donner à nos organismes d'application de la loi les outils dont ils ont besoin pour nous protéger des risques qui existent réellement, alors nous sommes plus susceptibles d'être victimes de violence et de terrorisme. Dans une telle situation, il est évident qu'il y a un plus grand risque que les gens soient victimes de ce genre de réaction de peur émotionnelle.
C’est notre tâche à titre de législateurs d’inviter à la prudence, et d’être prudents dans l’élaboration des politiques. Par conséquent, lorsque nous soulevons des craintes à propos des menaces pour la sécurité auxquelles nous faisons face, les traversées illégales à la frontière, la radicalisation et le retour au Canada des combattants de Daech, ce n’est pas parce que nous préconisons une réaction craintive, mais plutôt parce que nous préconisons une réaction prudente. Le gouvernement ne fait parfois pas cette distinction parce qu’il est souvent typique de la vision libérale du monde, peut-être avec les meilleures intentions, d’imaginer que le monde est plus sûr qu’il ne l’est en réalité.
Les conservateurs veulent un monde meilleur, mais nous jetons aussi un regard réaliste sur le monde actuel. Un des problèmes des libéraux est qu’ils imaginent parfois que le monde est déjà tel qu’ils aimeraient qu’il soit. La seule manière d’avoir un monde meilleur, plus sûr, sous plusieurs angles, est de regarder avec lucidité les défis auxquels nous faisons face puis, par cela, de chercher à les surmonter.
On l’a attribué à différents moments à Disraeli, à Thatcher et à Churchill, mais l’adage « les faits sont conservateurs » revient constamment lorsqu’on parle d’une approche prudente et lucide des menaces qui nous guettent. Mon collègue de Thornhill pourra me corriger sur l’auteur initial de la citation. Comme Disraeli est le plus ancien de la liste, c’était probablement de lui.
Maintenant que j’ai précisé par quelle lentille nous regardons, et par quelle lentille nous devrions examiner ce projet de loi, je désire aborder un certain nombre de changements précis qui sont proposés. Un des éléments dont parle souvent le gouvernement, ce sont les changements qu’il a apportés sur la question de la torture. Un amendement a été proposé en comité. Selon ce que je comprends, cela ne faisait pas partie du projet de loi initial, mais a été proposé dans le cadre d’un amendement. Il réitère la position du Canada à l’effet que la torture est évidemment inacceptable. Il n’y aucun désaccord au sein de la Chambre sur la question de la torture. Manifestement, nous sommes tous d’accord sur le caractère inacceptable de la torture. Certains éléments de cet amendement, qui édicte ce qui était déjà une directive ministérielle, ne constituent de toute évidence pas un changement de fond quant à la manière ou la place dont on exprimait cela.
Bien sûr, lorsqu’on parle de torture, c’est une excellent occasion pour se demander en théorie, dans les cours de philosophie, ce qui se passerait si une information obtenue de cette façon pouvait sauver des vies. Dans la réalité cependant, les faits indique que la torture est non seulement immorale, mais qu’elle n’est pas efficace pour réunir du renseignement. Un engagement à l’égard de l’efficacité, de la fourniture aux organismes d’application de la loi tous les outils nécessaires et efficaces, est en fait très cohérent avec l’interdiction de la torture. Je ne crois pas qu’il y a quoi que ce soit de fondamentalement nouveau dans les dispositions proposées par le gouvernement.
Il est important d’être limpide à ce sujet. S'il y a des éléments sur lesquels nous sommes d’accord, il y en a cependant d’autres sur lesquels nous sommes en désaccord; nous pouvons clairement les cerner.
Il y a d’autres éléments. Dès l’abord, le projet de loi instaure l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement. Ce nouvel organisme administratif s’accompagne de nouveaux coûts administratifs. Une des questions que nous posons est d’où viendra l’argent. Le gouvernement ne propose pas d’augmentation correspondante de notre investissement global dans nos organismes de sécurité.
Si l'on ajoute un nouveau rouage à l'appareil administratif de l'État, avec des coûts administratifs qui lui sont associés, il est évident qu'il faut trouver de l'argent quelque part pour financer une telle mesure. L'argent viendra probablement d'une réaffectation interne de l'enveloppe budgétaire, ce qui engendrera dans les faits une réduction assez substantielle des sommes que les organismes de sécurité du pays consacrent à leurs activités de première ligne, sur le terrain. Si ce n'est pas le cas, je serais très heureux d'entendre le gouvernement nous expliquer comment ce sera possible et d'où viendra l'argent. Il paraît assez évident que, lorsqu'un travail administratif doit être effectué au coût d'environ 97 millions de dollars sur cinq ans, l'argent doit venir de quelque part. Vu le rythme auquel les risques pour la sécurité apparaissent et prolifèrent, je sais que les Canadiens n'aimeraient pas voir des compressions dans les services de première ligne. C'est nettement un objet de préoccupation pour les Canadiens.
La partie 2 porte sur le commissaire au renseignement, et les libéraux ont rejeté l'idée de fixer des délais dans lesquels le personnel du commissaire devrait faire son travail. Les opérations de sécurité pourraient donc être retardées parce que le personnel du commissaire est en train d'analyser l'information. Le projet de loi pose certains problèmes d'ordre technique, que nous avons bien sûr soulignés, et nous continuerons de le faire. Nous voulons nous assurer, comme mes collègues l'ont dit, que les organismes canadiens chargés de la sécurité ont les outils nécessaires pour faire leur travail très efficacement.
C'est quelque chose qui a retenu mon attention. La partie 3 prévoit des restrictions quant à la capacité des organismes de sécurité et de renseignement d'accéder à des données accessibles au public.
Effectivement, le projet de loi prévoit des restrictions pour ce qui est d'accéder à des données auxquelles le public a déjà accès. Je ne vois pas pourquoi les organismes de sécurité devraient surmonter de nouveaux obstacles pour obtenir de l'information qui figure déjà sur Facebook ou sur Twitter, et je ne vois pas de quelle façon ces restrictions supplémentaires pourraient donner des résultats favorables. C'est un autre point à régler en ce qui concerne le fonctionnement du projet de loi.
Compte tenu du contexte politique de certains des changements, on peut se demander pourquoi le gouvernement prend une telle mesure. C'est parce que les libéraux se sont mis dans le pétrin sur le plan politique. Ils ont appuyé le projet de loi C-51 et ils ont voté pour son adoption. Le premier ministre actuel, qui était alors membre du troisième parti, a voté pour cette mesure législative. Cependant, les libéraux ont voulu par la suite modifier leur position à cet égard, et c'est pourquoi ils ont affirmé qu'ils apporteraient certains changements lorsqu'ils arriveraient au pouvoir. Certains de ces changements ne sont d'aucune utilité évidente. Malgré cela, ils soulèvent d'autres questions quant aux restrictions qu'ils imposeraient aux organismes d'application de la loi et qui auraient une incidence sur la capacité de ces organismes de mener leurs activités avec efficacité et efficience.
La partie 4 du projet de loi prévoit d'autres restrictions en ce qui concerne la communication de renseignements entre ministères. Les députés en ont parlé longuement dans le cadre du débat, mais il y a des éléments importants à prendre en compte.
Le plus grand acte de terrorisme dans l'histoire du pays, l'attentat d'Air India, aurait pu être évité, selon l'enquête menée à la suite de la tragédie. Le problème est qu'un organisme ne communiquait pas les renseignements à un autre organisme, ce qui aurait pu empêcher l'attentat. Si les renseignements sont déjà entre les mains du gouvernement, il est certainement logique de donner aux organismes les outils pour échanger ces renseignements. Il semble assez clair que les gens devraient être en mesure d'échanger ces renseignements. C'est manifestement dans l'intérêt national. Si le transfert efficace de renseignements d'un ministère à l'autre concernant les dossiers d'individus pouvant présenter une menace pour la sécurité peut sauver des vies, et que le Service canadien du renseignement de sécurité dispose déjà de ces renseignements et qu'il les communiquera à la GRC, je pense que tous les Canadiens diraient que c'est logique. Cependant, le projet de loi C-59 imposera d'autres restrictions à cet échange de renseignements.
En examinant froidement les menaces qui nous guettent et la nécessité de les combattre, les parlementaires devraient être préoccupés par ces dispositions du projet de loi.
On a soulevé un autre enjeu relativement à ce projet de loi, à savoir le fait de contrer les menaces. Les organismes de sécurité devraient-ils pouvoir prendre des mesures en vue de contrer une menace à la sécurité? Auparavant, au titre du projet de loi C-51, on pouvait prendre des mesures sans demander de mandat afin de contrer des menaces si ces mesures étaient légales. S'il fallait faire quelque chose qui est normalement illégal, un mandat était nécessaire, mais si les mesures étaient d'ordinaire légales, les organismes pouvaient intervenir. Il peut s'agir par exemple de parler aux parents d'un voyageur terroriste potentiel pour les aviser de ce qui se passe dans la vie de leur enfant ou encore d'assurer une présence dans un salon de clavardage en ligne pour tenter de contrer un message de radicalisation. Ces mesures sont actuellement légales au titre du projet de loi C-51.
Toutefois, au titre du projet de loi C-59, les normes seront beaucoup plus élevées quant aux activités qui nécessiteront un mandat, notamment pour la communication d'information, de dossiers ou de documents. Il me semble que le fait d'exiger un mandat pour quelque chose d'aussi simple que de faire intervenir un agent de sécurité dans un salon de clavardage en vue d'orienter une conversation dans une direction précise en disséminant de l'information peut créer des difficultés si on souhaite entretenir une conversation naturelle afin de contrer les messages en temps réel.
Tous les députés croient qu'il est nécessaire que des paramètres et des règles encadrent ces mesures, mais le projet de loi C-51 a déjà établi des paramètres permettant aux organismes d'application de la loi d'intervenir lorsque c'est nécessaire. Cette mesure législative a permis d'assurer notre sécurité, mais, malheureusement, le projet de loi C-59 compliquera cette tâche et sèmera la confusion. Voilà pourquoi nous nous y opposons.