Je m’appelle Merv Thomas. Je suis un Cri-Nehiyaw de la Saskatchewan.
Je tiens tout d’abord à saluer le peuple algonquin, sur le territoire duquel se tient cette réunion à Ottawa. Je témoigne par vidéoconférence depuis le territoire des Salish de la côte à Vancouver, en Colombie-Britannique.
Je tiens à remercier le Comité de m’avoir invité à témoigner. Je suis ici à titre de chef de l'exploitation du Réseau canadien autochtone du sida, un poste que j’occupe à temps partiel. Je travaille également à la Circle Of Eagles Lodge Society en qualité de directeur général, alors j’apporte une perspective unique du fait que je travaille en étroite collaboration avec les Autochtones dans le domaine du VIH et que j'aide les Autochtones à réintégrer la société.
Le mandat principal du Réseau canadien autochtone du sida est le VIH, mais en 2013, son mandat a été élargi pour inclure l’hépatite C, les infections transmissibles sexuellement par le sang et la tuberculose, la santé mentale et les problèmes de comorbidité. La Circle Of Eagles Lodge Society exploite deux maisons de transition et plusieurs autres programmes culturels.
Je suis né et j’ai grandi en Saskatchewan. J’ai été témoin du colonialisme, de la discrimination systémique, du racisme, du système des pensionnats indiens et des lois et politiques du Canada, j'ai senti leur impact et j'ai vu la façon dont ils ont contribué et continuent de contribuer à la surreprésentation des Autochtones dans les prisons.
En 2017, 92 % des personnes incarcérées en Saskatchewan étaient autochtones. Je sais aussi que la Saskatchewan possède les taux de VIH les plus élevés et qu'environ 80 % des personnes vivant avec le VIH sont autochtones. Cette discussion avec le comité de la justice de la Chambre des communes et les lois dont il est question ici contribuent aux problèmes des Autochtones, notamment au fait qu'ils sont surreprésentés dans les prisons et très nombreux à être porteurs du VIH.
J’aimerais parler de certaines statistiques du rapport de la vérificatrice générale concernant les Autochtones dans le système correctionnel fédéral. Ce bureau a déclaré:
Au cours de la décennie écoulée entre mars 2009 et mars 2018, la population carcérale autochtone a augmenté de 42,8 %, alors que la croissance générale a été de moins de 1 % pendant la même période. Au 31 mars... les détenus autochtones représentaient 28 % de l'ensemble de la population carcérale sous responsabilité fédérale, tandis que les Autochtones ne constituent que 4,3 % de la population canadienne.
En ce qui concerne le VIH, je tiens à souligner que les Autochtones continuent également d'être surreprésentés en ce qui a trait au VIH et au sida. Cette tendance est à la hausse, car les Autochtones se tournent vers la toxicomanie pour traiter leurs traumatismes. La consommation de drogues injectables constitue le vecteur de cette épidémie.
En Colombie-Britannique, nous sommes aux prises avec une crise des opioïdes, mais cette crise s’étend aussi à d’autres régions et il est temps d’agir. De nombreux Autochtones qui ont des démêlés avec le système de justice pénale sont très à risque. La plupart de ceux qui ont des démêlés avec le système judiciaire ont des problèmes de toxicomanie et ils sont touchés.
J’aimerais raconter l’histoire d’un jeune homme de Regina, en Saskatchewan. Il était membre d'un gang, c'était un jeune homme de 23 ans. Il avait trois enfants. Il a été transféré dans la région du Pacifique parce qu’il voulait quitter ce gang, commencer une nouvelle vie pour sa femme et ses enfants et repartir à neuf dans l’espoir d’un changement positif. Il est arrivé à une maison de transition de la Circle Of Eagles Lodge Society, mais il s'est absenté sans rien dire peu après. Puis quelques jours plus tard, il est revenu à la maison de transition, manifestement sous l’influence d’une substance quelconque. Avant même qu'on puisse le prendre en charge, il est reparti.
J’ai reçu un appel de l'hôpital me disant qu’il était dans le coma. Je suis allé avec un autre membre du personnel et nous sommes restés avec A.B. jusqu’à ce qu’il passe dans le monde des esprits ce soir-là. Appeler sa mère et l’entendre pleurer est l’une des choses les plus difficiles que j’ai eu à faire dans toute ma carrière.
Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai découvert qu’il vivait aussi avec le VIH. Cela soulève un autre enjeu qui, je l'espère, sera abordé. Il est très difficile de vivre avec le VIH dans la communauté en raison de la stigmatisation et de la discrimination. Imaginez ce que cela peut signifier que d'être un homme séropositif dans un établissement fédéral. La divulgation ouverte de son statut sérologique au sein de la population carcérale comporte des dangers qui n'existent même pas dans une communauté. Nous savons aussi que les Autochtones quittent leur foyer et leur réserve pour avoir accès à des soins de santé, mais ils fuient aussi la persécution. En raison de leur séropositivité, bon nombre d’entre eux ne sont pas autorisés à rentrer chez eux.
Un autre défi auquel font face le Circle Of Eagles Lodge et les organisations qui aident les Autochtones à effectuer la transition de retour vers leur communauté est l’accès aux renseignements médicaux. Nous continuons de voir beaucoup de gens libérés sans pièce d’identité valable, et je me demande ce qu'il en est pour ceux qui vivent avec le VIH. Comment peuvent-ils avoir accès à un médecin ou à un spécialiste du VIH? Comment les aide-t-on pour qu’ils continuent de recevoir leurs médicaments après leur libération? Dans le cas d’A.B., quelles mesures de soutien étaient en place pour l’aider avec le VIH?
La recherche a démontré que la charge virale d'une personne médicamentée était indétectable et que la maladie était alors intransmissible. À l’occasion de la Journée mondiale du sida et de la Semaine de sensibilisation au sida chez les Autochtones l’an dernier, la ministre de la Santé, Ginette Petitpas Taylor, a réitéré la position du Canada selon laquelle « I égale I ».
Je suis très préoccupé par le fait que le Canada continue de criminaliser les dépendances et le VIH, au lieu d'en faire des enjeux de santé. Je suis également préoccupé par le fait qu’on utilise souvent le terme « réduction des préjudices », mais on n’a pas vraiment envie de s’assurer que tous les ordres de gouvernement travaillent de concert.
Je tiens à souligner que le modèle du Portugal devrait être considéré tant par le Comité que par le gouvernement fédéral. En y décriminalisant les dépendances, on y a considérablement réduit le taux d’incarcération et le taux de VIH.
À l’occasion de la Semaine de sensibilisation au sida chez les Autochtones, l’an dernier, le SCC a signalé qu’il avait distribué sept seringues depuis qu'il fait la distribution de seringues propres en prison. Il faut que ce soit amélioré.
La Commission de vérité et réconciliation comporte plusieurs appels à l’action. Le Comité peut aider à répondre à ces appels. Nombre d'entre eux concernent la santé, comme la recommandation 19, qui dit : « Nous demandons au gouvernement fédéral, en consultation avec les peuples autochtones, d’établir des objectifs quantifiables pour cerner et combler les écarts dans les résultats en matière de santé entre les collectivités autochtones et les collectivités non autochtones... ». Cette partie traite également de la santé mentale, des maladies chroniques, de l’incidence de la maladie et des blessures et de la disponibilité de services de santé appropriés.
En ce qui a trait à la justice, il est demandé aux gouvernements fédéral et territoriaux de fournir un financement suffisant et stable pour évaluer et établir des sanctions communautaires réalistes qui offriraient des solutions de rechange à l’incarcération des délinquants autochtones et de cibler les causes sous-jacentes de la délinquance.
Pour gagner du temps, je vais me garder de parler des autres appels à l'action de la Commission de vérité et réconciliation, mais si vous voulez les vérifier, ils se trouvent aux numéros 30, 31, 32 et 33.
La criminalisation du VIH n’est pas une loi juste. Il existe des solutions de rechange.