Merci.
Je vous remercie de me donner l'occasion de prendre la parole au nom de la Société canadienne des auteurs, illustrateurs et interprètes pour enfants, les principaux créateurs du secteur de l'éducation, surtout de la maternelle à la 12e année.
Tout d'abord, je tiens à rendre hommage à cinq collègues autochtones avec qui je partage le paysage des récits. J'ai nommé Monique Gray Smith, de l'île de Vancouver, lauréate du prix Burt de littérature des Premières Nations, Inuits et Métis; Cherie Dimaline, de Vancouver, lauréate du Prix du Gouverneur général; Jacqueline Guest, de l'Alberta, membre de l'Ordre du Canada; Melanie Florence, auteure résidant à Toronto; et Rebecca Thomas, auteure et lauréate du Prix TD de littérature canadienne pour enfants, et poète lauréate du Prix du Gouverneur général, de la côte Est. Toutes ces femmes autochtones ont été publiées par de petits éditeurs canadiens.
Nous vous sommes reconnaissants d'avoir rédigé et soutenu Paradigmes changeants et nous vous disons merci à l'avance pour son imminente mise en œuvre.
Comme auteure de romans pour enfants et jeunes adultes, j'ai commencé à écrire pour gagner ma vie il y a plus de 33 ans, lorsque le respect des écrivains et du droit d'auteur était élevé et que chaque école tenait à accueillir des auteurs pour parler aux élèves, organisant même des journées spécialement consacrées à de tels événements.
Mon premier livre est paru l'année de la création du Copyright Collective. Il a été choisi comme roman à étudier dans les Maritimes, ce qui signifie la vente instantanée de 2 000 livres et un nouveau tirage. Selon les chiffres d'aujourd'hui, cet ouvrage s'inscrirait probablement dans la catégorie des best-sellers.
J'inspire les enfants à lire et à écrire. C'est mon travail. C'est aussi ma passion. J'ai eu droit à des accolades de la part de parents parce que mon livre était le premier à être lu par leurs enfants. C'était, bien sûr, à l'époque où nous pouvions nous embrasser. La semaine dernière, j'ai reçu une petite note d'Orson me disant de continuer à écrire, et sa mère m'a cousu un sac en forme d'avocat. J'ai donc remporté le prix « avocat » la semaine dernière.
Depuis mon premier roman, bon nombre de mes histoires ont fait le tour du monde. J'ai parfois eu la chance de les suivre en personne et de parler à des milliers d'enfants en Colombie et en Corée du Sud qui arboraient mon livre fièrement. J'adore être la voix canadienne qui lance un appel au reste du monde.
Aussi idyllique que cela puisse paraître, je dois gagner ma vie, comme tous les auteurs, en visitant les écoles et les bibliothèques, en écrivant des livres et des articles, en enseignant et en demandant des subventions. Les droits de prêt public et le remboursement d'Access Copyright étaient des revenus statiques sur lesquels je pouvais compter pour les paiements hypothécaires et l'épicerie. Je n'avais pas à travailler jour et nuit pour les obtenir. C'était un temps de prospérité. Mais ce temps est révolu pour Access Copyright.
À l'époque de la parution de mon premier roman, qui était au programme, je pouvais compter sur la vente d'une trentaine de livres par classe. Au fil des ans, ce chiffre a chuté à cinq, et ce en raison de nouveaux principes pédagogiques, de compressions budgétaires et, disons‑le, à coup de photocopies et de téléchargements. Les enseignants étirent leurs budgets de leur mieux, et je ne leur en veux pas.
Nous sommes toujours du côté des enseignants. Cette année, comme la plupart des écrivains, j'ai vite fait de m'équiper d'un mini studio de télévision pour pouvoir faire des visites virtuelles en classe. J'ai demandé des subventions qui permettaient aux écoles d'offrir des présentations entièrement financées. Certaines étaient assorties de livres d'une valeur de 100 $. Les enseignants ont tout de même photocopié des chapitres entiers pour les distribuer à tous les élèves.
Des enfants colombiens et coréens agitent mes romans comme des drapeaux. Les enfants de ma ville feuillètent le papier. Les devoirs de mon propre petit-fils comprenaient la lecture d'une photocopie assez bâclée d'un conte populaire autochtone. Je suis sûre qu'il aurait été tout autrement inspiré s'il avait eu le livre entre ses mains.
Avec 17 visites virtuelles — trois dans des écoles du Nord, dont 50 % sont des élèves autochtones —, les enseignants lisent mon roman en ligne du début à la fin. En raison de la réglementation sur la COVID, certains conseils scolaires ont interdit l'achat de livres. Surtout dans le Nord, je leur ai permis de m'enregistrer pour que les élèves qui ont accès à Internet puissent le regarder à leur gré. Je sais que mes collègues auteurs de livres d'images ont permis que tous leurs livres soient reproduits de cette façon et décrits lors des tournées de contes.
Nous sommes ici pour le Canada. Nous voulons que les écoles utilisent notre travail. C'est la meilleure façon d'enrichir notre culture, mais nous avons besoin de votre appui.
Plus que jamais, avec la fermeture des librairies et le gel des budgets des bibliothèques scolaires et publiques, l'achat de livres a pris un coup. Un de mes éditeurs qualifie cette année comme la pire que l'on n’ait jamais connue. Pour moi, même avec un contrat pour un nouveau roman que je viens de signer et quelques ventes à l'étranger, mon revenu sera réduit de moitié cette année, et ce sera le quart de ce que j'avais gagné avant l'utilisation équitable en 2012.
Ma petite-fille veut être écrivaine, mais si le Comité du patrimoine canadien ne peut pas mettre en œuvre les suggestions de Paradigmes changeants, je lui dirai de faire plutôt des études de droit. Il n'y aura pas de travail de rédaction, et nos revendications ne feront que s'éterniser devant les tribunaux. Qui racontera nos histoires à ce moment‑là?
Cette année de pandémie, je crains que de nombreux éditeurs ne fassent faillite. Je crains pour les emplois culturels de nos enfants. Plus encore, je crains pour notre voix future.
Merci beaucoup de m'avoir écoutée.