Monsieur le président, membres du Comité permanent des langues officielles, je tiens d'abord à vous remercier de m'avoir invité à témoigner sur les répercussions de la pandémie de COVID-19 sur la capacité du gouvernement à fournir de l'information dans les deux langues officielles.
L'Alliance de la Fonction publique du Canada, ou AFPC, représente plus de 200 000 travailleuses et travailleurs partout au pays et ailleurs dans le monde. Nos membres travaillent dans des agences et des ministères fédéraux, des sociétés de la Couronne, des entreprises de sécurité, des universités, des casinos, des organismes de services communautaires, des communautés autochtones ainsi que des aéroports. En plus de son siège social à Ottawa, l'AFPC compte 23 bureaux régionaux. Nous représentons près de 50 % des fonctionnaires fédéraux.
La pandémie de COVID-19 a amené son lot de défis pour nos membres. Du jour au lendemain, bon nombre d'entre eux se sont retrouvés en télétravail à domicile, ne se côtoyant plus que virtuellement. Ils ont fait des pieds et des mains pour offrir des services d'urgence aux Canadiennes et aux Canadiens dans des délais extrêmement courts. Je pense particulièrement à l'instauration de la Prestation canadienne d'urgence, un outil qui a aidé des milliers de personnes et qui a vu le jour grâce au travail acharné de nos membres.
D'emblée, il est important de reconnaître que tous les travailleurs et toutes les travailleuses ont le droit de parler et de travailler dans la langue officielle de leur choix au sein de la fonction publique fédérale. Bien que cela soit vrai sur papier, force est de constater qu'il y a toujours une iniquité dans la place qu'occupent le français et l'anglais dans nos institutions, et que la pandémie a accentué les nombreux problèmes existants. Je me permets même d'aller jusqu'à dire qu'il existe bel et bien une discrimination systémique profondément ancrée dans l'appareil gouvernemental fédéral. En effet, on tient pour acquis que tout se passe en anglais d'abord, et ensuite en français.
Vous savez que le commissaire aux langues officielles, M. Raymond Théberge, a conclu dans son dernier rapport qu'il existait des lacunes dans les communications gouvernementales en français en temps de crise, comme en ce moment avec la pandémie de COVID-19. Il a insisté sur la nécessité de moderniser la Loi sur les langues officielles, qui a fêté son 50e anniversaire l'an passé. Il affirme qu'une refonte en profondeur de la Loi s'impose, sinon, nous continuerons à avoir les mêmes problèmes.
L'AFPC est entièrement d'accord avec le commissaire Théberge. Nous devons absolument réformer la Loi sur les langues officielles.
La pandémie a fait ressortir davantage les iniquités en matière de langues officielles. La plupart des fonctionnaires, qui travaillent maintenant à domicile et ne se côtoient plus que virtuellement, se sont souvent plaints du fait que les gestionnaires ne leur envoient pas les informations importantes dans les deux langues officielles. J'ai moi-même été en mesure de le constater. Par ailleurs, la pandémie a rendu plus difficile le travail de nos membres en français. Le fait que les réunions sur Zoom, Teams et Skype se déroulent souvent en anglais et que l'accès à des services d'interprétation soit malheureusement plutôt rareen est un exemple flagrant.
Sans réunions en personne pour briser la glace, les barrières linguistiques deviennent plus que jamais un obstacle à une communication efficace. Souvent, les francophones ont l'impression qu'ils doivent s'exprimer dans leur deuxième langue pour ne pas laisser de côté leurs collègues, soit parce que l'interprétation n'est pas disponible, soit parce qu'elle n'est pas assez rapide. Les anglophones, quant à eux, ne se sentent pas à l'aise de parler en français, de peur d'être jugés. Deux lacunes importantes ressortent donc: d'une part, le manque d'informations transmises dans les deux langues aux employés et, d'autre part, l'absence d'outils et d'espaces d'échange qui faciliteraient l'utilisation des deux langues, particulièrement dans le contexte du télétravail.
Si nous voulons créer une fonction publique fédérale dynamique, diversifiée et bilingue, nous devons instaurer une atmosphère où les employés sont à la fois capables de travailler dans la langue de leur choix et encouragés à le faire. Le travail à domicile devrait être une bougie d'allumage qui incite le gouvernement à agir pour améliorer le bilinguisme dans la fonction publique fédérale afin de lui permettre d'offrir de meilleurs services à la population et ainsi garantir que chaque travailleuse ou travailleur se sent à l'aise de travailler dans la langue de son choix.
Il est du devoir du gouvernement fédéral de fournir les outils nécessaires pour y arriver. La fonction publique canadienne devrait être un endroit de prédilection où le bilinguisme est encouragé et soutenu par l'employeur. Il ne faut jamais oublier qu'il y a aussi des francophones et des personnes bilingues dans toutes les provinces et les territoires du pays, pas seulement au Québec.
Ces personnes ont le droit de travailler dans la langue de leur choix, et la population a le droit de recevoir les services en français ou en anglais. Il est de la plus haute importance que les employés fédéraux aient accès à des communications et à de la documentation dans les deux langues. Cela s'applique autant à eux qu'aux Canadiennes et aux Canadiens qui reçoivent des services. Dans un contexte de pandémie, c'est très souvent une question de santé et de sécurité.
L'amélioration du bilinguisme doit absolument être une priorité pour le gouvernement fédéral. Un des exemples les plus concrets de l'immobilisme du gouvernement face aux langues officielles dans la fonction publique est la prime au bilinguisme. Les postes actuellement bilingues sont assortis d'une prime de 800 $. Or ce montant n'a pas été revu depuis les années 1990. Nous avons poussé le gouvernement à revoir cette politique à maintes reprises, mais celui-ci a toujours refusé de bouger. Pire encore, en 2019, le gouvernement a proposé d'éliminer la prime au bilinguisme. C'est en quelque sorte ajouter l'insulte à l'injure.
Les fonctionnaires bilingues qui reçoivent cette prime risible sont de plus en plus enclins à la refuser en raison de la surcharge de travail que cela occasionne. Je vous le répète: on parle ici de 25 cents l'heure après impôt. Le bilinguisme devrait être reconnu comme une compétence de qualité supérieure. Il existe des pistes de solutions pour améliorer la place du français au sein de la fonction publique. Nous devons augmenter la prime au bilinguisme afin de reconnaître la valeur du travail dans les deux langues officielles.
L'AFPC revendique également une prime en vue de reconnaître et de rémunérer les employés qui, dans l'exercice de leurs fonctions, s'expriment à l'oral ou à l'écrit dans une langue autochtone. Comme le Parlement a pris des mesures législatives afin de faire progresser la reconnaissance des langues autochtones, le gouvernement fédéral, en tant qu'employeur, devrait montrer l'exemple et reconnaître officiellement la contribution de son personnel qui utilise les langues autochtones dans l'exercice de ses fonctions en lui offrant une prime au bilinguisme.
En outre, il faut offrir plus de formation linguistique pour encourager les travailleuses et les travailleurs anglophones et francophones à développer leur langue seconde.
Le Conseil du Trésor doit également cesser toute forme de sous-traitance en matière de formation linguistique et se focaliser sur la création de son propre programme de formation, composé de travailleuses et de travailleurs de la fonction publique qui se concentrent sur des demandes spécifiques de la fonction publique fédérale.
Le gouvernement doit également prendre en considération le fait que la pandémie de COVID-19 affecte énormément l'accès à l'information dans les deux langues officielles et s'employer à corriger le tir immédiatement.
Je tiens à dire, en terminant, que je fonde des espoirs quant au projet de loi de la ministre Joly. C'est un pas dans la bonne direction. Cela dit, pour établir une législation ainsi qu'un système solidement établis et respectés, il reste encore beaucoup de travail à faire.
Je vous remercie de votre attention. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.