Merci beaucoup.
Je vous remercie de me donner l’occasion d'aborder avec vous d’importantes questions liées à la bonne conduite des relations et du travail du gouvernement national du Canada.
Mon intérêt marqué pour les questions touchant le gouvernement fédéral remonte à près d'un demi-siècle. J'ai été fonctionnaire de 1973 à 1994. Par la suite, j'ai travaillé comme conseiller en gestion et en communications en grande partie pour des clients du gouvernement fédéral, y compris pour le Parlement. J'ai été très actif à l'Association des praticiens en éthique du Canada au cours des 10 dernières années, dont cinq à titre de président. Les membres de notre association œuvrent dans les secteurs public et privé ou en sont retraités, et nos activités de formation ont été très appréciées par les fonctionnaires qui souhaitent réfléchir aux dimensions éthiques de leur travail.
Ce contexte me permet de souligner diverses dimensions de la conduite éthique des fonctionnaires par rapport au Parlement, aux ministres et au Cabinet, mais je ne suis pas un expert des lois, des structures et des procédures relatives aux conflits d'intérêts, ni des détails de la présente affaire. J'espère plutôt élucider le contexte du travail que font les fonctionnaires de façon professionnelle et éthique.
Je terminerai par cinq recommandations.
Premièrement, la confiance est essentielle à la réussite d'une fonction publique. Le public doit faire confiance au gouvernement pour établir des relations harmonieuses et constructives entre le gouvernement et la société. Sans confiance, on ne peut pas avoir la paix, l'ordre et le bon gouvernement, pas plus qu'on ne peut avoir un marché commercial efficace. C'est pourquoi il est essentiel de tenir les intérêts privés à l'écart du processus décisionnel et des opérations du gouvernement. Les conflits d'intérêts, qu'ils soient réels, potentiels ou apparents, peuvent détruire la confiance que le public place dans le gouvernement pour agir dans son intérêt. Par conséquent, il n'est pas moins important d'éviter l'apparence de conflit d'intérêts que d'éviter son apparition réelle.
Deuxièmement, les fonctionnaires non partisans et les représentants élus doivent collaborer au travail du gouvernement. Il faut clarifier leurs rôles complémentaires et leurs principes de fonctionnement. Cette relation a été énoncée de façon prudente et inspirante dans un rapport de 1996 sur les valeurs et l'éthique dans la fonction publique intitulé « De solides assises ». En plus d'énoncer les valeurs que l'on veut retrouver dans chaque milieu de travail et dans chaque entreprise, comme l'intégrité et le respect, le rapport énonce ce que signifie être un professionnel de la fonction publique dans le système démocratique du Canada.
Troisièmement, des mécanismes essentiels ont été mis en place, depuis lors, dans ce domaine. Il y a, par exemple, des mécanismes en ce qui concerne la reddition de comptes, les conflits d'intérêts pour les élus et les fonctionnaires et la protection des personnes qui divulguent des actes répréhensibles contre les représailles. Il existe également un solide ensemble de pratiques exemplaires pour encourager une conduite éthique dans les organisations. Il s'agit notamment de l'expression des valeurs et des codes de conduite, de la formation et du dialogue, des services de consultation et de médiation et de la façon de gérer les conflits d'intérêts, par exemple dans les petites collectivités où les fonctionnaires doivent souvent traiter avec des amis et des relations. Les responsables de l'éthique de tout le gouvernement fédéral ont un réseau qui leur permet d'échanger des idées sur tout cela. Notre association leur donne l'occasion de faire la même chose et de tirer des leçons de l'expérience des autres secteurs.
Quatrièmement, une organisation peut avoir un code de conduite, un énoncé de valeurs, ou les deux.
Les codes de conduite énoncent une série de règles et de normes. L'enjeu, c'est la conformité, et nous demandons si tel ou tel comportement est conforme ou non à une norme, s'il respecte ou contrevient à une règle, et quelles sont les sanctions ou les conséquences des transgressions.
Les énoncés de valeurs, par contre, expriment les aspirations d'une organisation. Les bonnes questions à poser sont de savoir dans quelle mesure tel ou tel comportement incarne nos idéaux, et comment nous pourrions faire mieux. C'est le domaine de l'apprentissage, de l'amélioration et de la célébration de l'excellence.
À mon avis, une organisation a besoin des deux. Pour prendre l'éthique au sérieux, il faut avoir un seuil d'acceptabilité et sanctionner ce qui est en deçà de ce seuil, mais les organisations doivent viser plus haut que la simple légalité, sinon elles n'inspireront pas l'initiative et l'excellence au sein de leur personnel.
Cinquièmement, ce qui se passe dans une organisation reflète sa culture. La culture existe à tous les niveaux et elle est constamment façonnée par le comportement à tous les niveaux, mais le facteur clé est le leadership, le ton donné au sommet. La culture se répand en cascade; l'éthique des hauts dirigeants est signalée par leurs actions encore plus que par leurs paroles, et elle se répercute dans toute l'organisation.
Sixièmement, une bonne façon de passer à l'action en matière d'éthique consiste à dire ce qu'on pense, à soulever une question au risque de susciter de l'opposition et de se rendre impopulaire ou pire. Aux États-Unis, une enseignante et chercheuse, du nom de Mary Gentile, a découvert que les gens savent souvent ce qui est juste et veulent le faire, mais qu'ils se sentent mal à l'aise pour dire la vérité à l'autorité même si la culture l'accepte. Sa méthodologie « Donner la parole aux valeurs » amène une personne à réfléchir à son courage moral, à faire des simulations et des exercices pratiques. Son approche a des adeptes partout dans le monde, y compris dans certaines écoles de commerce et ailleurs au Canada. La capacité de dire la vérité à tous les niveaux est nécessaire, qu'il s'agisse d'un employé subalterne qui a des problèmes avec son superviseur ou de l'interaction entre un ministre et son sous-ministre. Soit dit en passant, je n'ai personnellement rien à gagner à faire connaître son travail.
Septièmement, il est nécessaire de dire ce qu'on pense pour que la situation s'améliore. Le secret permet que des choses comme l'intimidation et la fraude se poursuivent en cachette. Cependant, le secret n'est pas du tout la même chose que la confidentialité. La confidentialité est absolument nécessaire pour que les fonctionnaires puissent donner des conseils honnêtes aux ministres et pour que les ministres puissent les demander.
Je vais maintenant vous faire part de mes cinq recommandations. Les deux premières portent précisément sur les conflits d'intérêts.
Tout d'abord, pour éviter qu'un conflit d'intérêts ne soit pas signalé, il faudrait qu'à toutes les réunions du Cabinet, le président commence la réunion en soulevant la question du conflit d'intérêts et en suggérant de se récuser s'il y a lieu.
Deuxièmement, il pourrait y avoir un processus semblable au niveau ministériel. Lorsqu'il aide le ministre à se préparer pour une réunion du Cabinet, le sous-ministre pourrait, dans le cadre de son breffage par écrit ou en personne, lui rappeler de s'assurer qu'il n'est pas en conflit d'intérêts au sujet des questions à l'ordre du jour. Cela devrait être considéré comme faisant partie du soutien qu'un sous-ministre apporte à un ministre.
Troisièmement, les demandes qu'un ministre ou le cabinet adresse à un ministère peuvent être aussi générales que « fournir des options réalisables pour réaliser x », mais peuvent également être aussi précises que « faire preuve de diligence raisonnable à l'égard du choix de y pour réaliser x ». Afin de donner les meilleurs conseils possibles, de dire la vérité aux autorités et de protéger les ministres contre les risques potentiels, la réponse du sous-ministre à une demande plus précise peut compléter tout autre renseignement pertinent que le personnel du ministère peut fournir.
Quatrièmement, les fonctionnaires se sentent parfois soumis à des pressions inappropriées lorsqu'ils prennent des décisions ou fournissent des renseignements ou des analyses. Bien sûr, ils devraient respecter leur code de valeurs et d'éthique et résister aux pressions les poussant à y contrevenir. En même temps, les autres parties devraient également respecter le code et ne pas essayer d'amener les fonctionnaires à s'en écarter. Il faudrait ajouter au code un énoncé à l'intention de toute personne qui traite avec la fonction publique portant que « le fait d'exercer des pressions sur un fonctionnaire fédéral pour qu'il y contrevienne constitue une violation du code ». Cela est compatible avec les directives actuelles aux ministres et au personnel ministériel.
Cinquièmement, une culture éthique est soutenue par un dialogue constant sur le « bien » ainsi que par une instruction spécifique sur les normes, les valeurs, les structures et les processus. Les hauts dirigeants doivent donner le ton en appuyant ce dialogue et cette formation et en y participant constamment.
En conclusion, je crois que la fonction publique du Canada a la capacité de fournir un service expert et éthique. Si c'est ce que veulent les parlementaires, qu'ils l'appuient et qu'ils exigent rien de moins et rien de plus.