Madame la Présidente, c'est avec grand plaisir que je prends la parole aujourd'hui à titre de ministre du cabinet fantôme responsable de la justice. Mon allocution aura pour sujet le projet de loi C-7 du gouvernement. J'y parlerai de quelques inquiétudes sur certains aspects du projet de loi et même de la façon dont il a été présenté à la Chambre cette semaine. Malheureusement, un grand nombre d'entre nous en ont appris le contenu dans les médias au lieu d'en être informés d'abord à la Chambre.
Ce projet de loi devait être une réponse à la décision que la Cour supérieure du Québec a rendue le 11 septembre 2019. La Cour a statué que la version actuelle de la loi était trop restrictive en ce qui concerne le critère de mort raisonnablement prévisible. À ce moment-là, l'opposition officielle a demandé au gouvernement de faire appel de la décision devant la Cour suprême du Canada afin que le Parlement reçoive des précisions sur les paramètres à respecter. Or, le projet de loi nous a été présenté sans de telles précisions.
Non seulement le projet de loi a été présenté sans avoir obtenu de précisions, mais il va également bien au-delà de ce qu'exigeait la décision de la Cour supérieure du Québec. À mon avis, c'est un affront au Parlement. Lorsque le projet de loi précédent, le projet de loi C-14, a été adopté à la 42e législature, le Parlement, dans sa sagesse, a exigé un examen législatif du régime d'aide médicale à mourir du Canada. Cet examen législatif devait avoir lieu en juin de cette année, et c'est bien ce qui est prévu.
C'est pendant cette période d'examen que les parlementaires auraient dû étudier en profondeur la manière dont la loi du gouvernement a été appliquée ces dernières années et déterminer la meilleure façon de procéder. Au lieu d'attendre cet examen, comme il aurait dû le faire, le gouvernement a décidé de proposer des modifications à la loi maintenant, en faisant l'économie de l'étude en profondeur qui doit avoir lieu prochainement.
La réalité lorsqu'il est question de ce projet de loi, c'est qu'il est littéralement question de vie ou de mort. Il s'agit d'un enjeu extrêmement sensible. Les députés de tous les partis ont des opinions diverses et c'est en raison de cette diversité des opinions et de la sensibilité de la question que la décision de la Cour supérieure du Québec aurait dû être portée en appel devant la Cour suprême du Canada pour que nous ayons plus de clarté. Cependant, le gouvernement a décidé de rouvrir la loi et nous avons maintenant le devoir, en tant que législateurs, de mettre en évidence tout ce qui devrait être corrigé et ajouté dans la loi.
Bien des Canadiens ont communiqué avec mon bureau pour faire part de leurs inquiétudes quant à l'absence de protections concernant la liberté de conscience des professionnels de la santé. C'est d'autant plus important maintenant que le gouvernement a décidé d'élargir l'aide médicale à mourir aux personnes dont le décès n'est pas raisonnablement prévisible. En élargissant l'admissibilité à l'aide médicale à mourir, on risque en fait de réduire le nombre de professionnels de la santé prêts à la prodiguer. Concrètement, une admissibilité élargie pourrait entraîner un lourd fardeau émotionnel pour les fournisseurs de soins de santé.
Personne ici ne peut vraiment comprendre le fardeau imposé aux professionnels de la santé qui doivent, à l'heure actuelle, prodiguer l'aide médicale à mourir. Il n'y a même rien pour assurer un soutien adéquat des professionnels de la santé qui offrent ce service et il n'y a toujours pas de peine pour ceux qui forcent un professionnel de la santé à prodiguer l'aide médicale à mourir ni de peine pour ceux qui pénalisent un professionnel de la santé qui refuse de prodiguer ce type d'aide médicale. C'est donc dire qu'il n'y a toujours rien de concret pour protéger la liberté de conscience des professionnels de la santé.
La question des directives anticipées, que le gouvernement a rebaptisées « renonciation au consentement final », est complexe et amène des interrogations en matière d'éthique et de sécurité, ainsi que des problèmes quant à la surveillance. Le fait que cette partie du projet de loi ne fasse qu'une demi-page montre bien le peu d'importance qu'on a accordé à cette question. Elle aurait dû être abordée dans le cadre de l'examen parlementaire qui aura lieu pendant l'été.
Le processus à respecter pour établir et mettre en application cette entente reste peu clair. Par ailleurs, il y a un manque de clarté quant au processus à suivre dans le cas d'une entente préalable concernant une date donnée. Le processus ne sera arrêté que si le patient manifeste une forme de résistance, mais on ne sait pas vraiment comment cela se manifestera. Que fera-t-on si le patient a simplement les idées confuses ou s'il est apathique à ce moment-là? Aux termes du projet de loi, à moins que le patient ne résiste, le processus suivra son cours.
Le projet de loi supprime également l'obligation d'attendre dix jours si la mort d'une personne est raisonnablement prévisible. Lorsque j'ai appris par les médias, avant le dépôt du projet de loi, que cette disposition serait incluse, je me suis demandé, comme bon nombre de mes collègues, ce qui avait motivé cette suppression. L'ajout de cette disposition continue à me préoccuper sérieusement, en particulier parce qu'il était déjà possible de supprimer la période d'attente de dix jours si la personne concernée risquait incessamment de mourir ou de perdre sa capacité à donner son consentement. Pourquoi donc supprimer une mesure de protection que le Parlement avait jugé bon d'inclure dans la mesure législative précédente?
Je m'interroge également sur la raison pour laquelle le projet de loi C-7 stipule qu'une période d'attente de 90 jours est nécessaire quand le décès d'un patient n'est pas raisonnablement prévisible. Pourquoi ajouter une période d'attente prolongée dans un cas et supprimer complètement la période d'attente dans l'autre?
Le projet de loi n'apporte aucune précision ou ligne directrice pour aider les professionnels de la santé à déterminer si la mort d'une personne est raisonnablement prévisible ou non. Par conséquent, il ne devrait pas leur revenir de le faire. Cette détermination indique si le patient peut accéder à l'aide médicale à mourir immédiatement ou s'il doit attendre 90 jours. C'est une pression énorme que le gouvernement place sur les professionnels de la santé du Canada.
Le ministre a également mentionné la modification du nombre de témoins indépendants exigé, lequel passerait de deux à un.
Toutes ces modifications représentent une expansion de la loi dont la portée dépasse largement le correctif qui s'imposait à la suite de la décision de la Cour supérieure du Québec. Une telle expansion aurait dû faire l'objet d'une réflexion approfondie dans le cadre de l'examen qui doit s'amorcer cet été.
Prenons un instant pour parler d'un élément qui semble omis dans toute cette histoire: les services de soins palliatifs.
En l'absence de services de soins palliatifs de qualité, les options autres que l'aide médicale à mourir sont nulles pour apaiser les souffrances. Malheureusement, au cours des dernières années, des patients se sont sentis forcés de choisir l'aide médicale à mourir parce qu'ils ne pouvaient pas accéder à des soins palliatifs.
Cela me fait penser à l'histoire d'Archie Rolland, de Montréal. M. Rolland était un architecte paysagiste qui a choisi de mettre un terme à sa vie au lieu de continuer à souffrir dans un établissement de soins de longue durée qui ne lui fournissait pas les soins appropriés.
Il était atteint de la maladie de Lou-Gehrig, et sa vie a été complètement bouleversée lorsqu'il a été obligé de quitter un hôpital de Montréal se spécialisant dans le traitement de patients ayant de graves problèmes respiratoires pour aller dans un établissement de soins de longue durée pour les malades gériatriques. M. Rolland ne voulait pas y aller, mais on a procédé à son transfert contre son gré. Il a qualifié le système d'inhumain. Selon lui, les soins qu'on lui prodiguait étaient inadéquats, alors il a préféré mourir.
Selon moi, ce n'est pas un véritable choix. Nous devons soulever la question des soins palliatifs au Canada parce que les gens ne doivent pas se sentir obligés de recourir à l'aide médicale à mourir. L'histoire de M. Rolland nous indique clairement que le système a manqué à son devoir de lui fournir les soins appropriés. Il ne faut surtout pas que l'aide médicale à mourir devienne une espèce de solution bureaucratique pour les personnes qui nécessitent un niveau supplémentaire de soins. Dans un pays comme le Canada, c'est tout à fait inacceptable. Le gouvernement risque de créer une culture où on n'attache pas de valeur à la vie. Nous devrions tous nous entendre à la Chambre pour dire que la vie humaine doit être valorisée.
En terminant, le projet de loi est un affront au Parlement et au processus parlementaire. Lors de l'étude du projet de loi C-14, les députés ont déployé énormément d'efforts, à la Chambre et en comité, pour parvenir à un consensus. Ce travail a été contesté par la Cour supérieure du Québec, et les libéraux, au lieu de défendre la volonté des représentants élus devant le tribunal, ont immédiatement fait marche arrière.
Maintenant, en plus de donner suite à cette décision, les libéraux sont en train de faire échec au travail réalisé par le comité sur le projet de loi C-14 en proposant de nouvelles mesures.
Beaucoup de ces questions devraient être abordées au cours de l'été, lors de notre examen parlementaire. Il s'agit d'un dossier complexe qui nécessite un examen attentif et un débat.