Madame la Présidente, je suis heureuse d'intervenir aujourd'hui, mais il est difficile pour moi de parler d'une autre tentative de la part du gouvernement libéral de mettre en danger les membres les plus vulnérables de la société.
Quatre ans à peine après l'adoption du projet de loi C-14, la mesure législative originale sur l'euthanasie et le suicide assisté, nous étudions maintenant un projet de loi qui assouplirait encore plus les restrictions, éliminerait les mesures de sauvegarde, brouillerait la conception canadienne du caractère sacré de la vie et bouleverserait le rôle du gouvernement dans les décisions de fin de vie. On se fait dire encore une fois que pour défendre les droits garantis par la Charte de certaines personnes, il faut mettre en péril les droits et les libertés d'autres personnes.
Je me suis opposée au projet de loi C-14 pour de nombreuses raisons. Premièrement, la Cour suprême du Canada avait invoqué une loi très controversée et boiteuse, alors qu'il avait été prouvé qu'elle avait été mal appliquée ailleurs dans le monde. Deuxièmement, les libéraux avaient choisi d'élargir la portée de cette loi, dépassant largement les exigences de l'arrêt Carter. Troisièmement, le projet de loi C-14 accordait la priorité à l'euthanasie et au suicide assisté plutôt qu'aux soins palliatifs, et il continue de reléguer au second plan toute initiative importante en matière de soins palliatifs.
En 2019, le premier ministre avait promis d'élargir les critères d'admissibilité et, le 11 septembre de l'année dernière, la Cour supérieure du Québec statuait qu'il est inconstitutionnel de limiter l'aide au suicide ou l'euthanasie uniquement aux personnes dont la mort est raisonnablement prévisible. Les libéraux ont accepté cette décision sans même en interjeter appel et sans solliciter l'avis de la Cour suprême, qui est saisie de ce dossier depuis longtemps. Ils s'empressent maintenant de modifier la loi pour l'ensemble du Canada.
Les libéraux ont donné aux Canadiens à peine deux semaines pour répondre en ligne à une consultation boiteuse sur cet enjeu extrêmement personnel et complexe. La formulation compliquée et tendancieuse des questions indiquait assez clairement comment le gouvernement envisageait de légiférer en ce qui concerne l'aide médicale à mourir. Ayant moi-même tenté de répondre à ce questionnaire, je soutiens que seulement à cause du langage utilisé, bien des personnes opposées au suicide assisté ont probablement été découragées de participer à l'exercice.
Après une consultation si déficiente qui ne permet même pas de savoir si la rétroaction obtenue reflète un tant soit peu le véritable point de vue des Canadiens, comment le gouvernement peut-il de bonne foi aller de l'avant avec cette mesure législative? Je pose cette question pour la forme, car les libéraux ne semblent pas se soucier de la méthode. Il est clair qu'ils se sont servis de cette brève occasion de rétroaction pour satisfaire à la nécessité de consulter.
Nous savons également que le gouvernement a ignoré son propre échéancier pour examiner la version originale de la mesure législative sur le suicide assisté, le projet de loi C-14. Il devait le faire cet été, et au lieu de cela, il nous a présenté ce projet de loi imprudent. Même en pleine pandémie, c'était très important. On n'a pas mené d'examen approprié ni sollicité l'avis de la Cour suprême. La Chambre a eu la responsabilité d'élargir considérablement le cadre du suicide assisté et de l'euthanasie sans avoir une compréhension suffisante pour déterminer si les dispositions actuelles sont interprétées de manière cohérente ou si elles sont appliquées correctement.
On cherche à faire adopter le projet de loi C-7 à la hâte. C'est inquiétant. En le lisant, je vois des éléments qui dépassent la portée de la décision de la Cour supérieure du Québec, à savoir que le projet de loi C-7 éliminerait la période d'attente de 10 jours entre la signature de la demande et la prestation de l'aide médicale à mourir.
Depuis le tout début de ce débat, les dispositions législatives visant les personnes dont la mort est raisonnablement prévisible posent problème. Nous savons que la mort raisonnablement prévisible d'une personne est un critère dont l'évaluation peut varier, compte tenu de l’ensemble de sa situation médicale et sans pour autant qu'un pronostic ait été établi quant à son espérance de vie. Avec l'élimination de la période de 10 jours en cas de mort raisonnablement prévisible, une personne dont l'espérance de vie n'a pas été définie, qui pourrait vivre encore des années, devrait prendre une décision précipitée concernant l'aide médicale à mourir et l'euthanasie.
Outre le simple fait d'éliminer une période de réflexion que la plupart des Canadiens jugeraient raisonnable, cet élément du projet de loi ne tient pas compte de la possibilité de faire des avancées médicales et de proposer de meilleures méthodes de traitement dans un contexte où le domaine des sciences médicales est extrêmement novateur. Comme le cardinal Collins l'a affirmé, le projet de loi C-7 crée une situation où l'accès à l'aide médicale à mourir serait plus rapide que l'adhésion à un centre de conditionnement physique ou l'achat d'un immeuble en copropriété.
Par ailleurs, je ne vois aucune raison logique pour que le gouvernement réduise le nombre de témoins indépendants exigés au moment de la signature de la demande, lequel passe de deux à un seul. Le gouvernement a même assoupli la définition d'une personne pouvant servir de témoin en incluant les professionnels de la santé ou les fournisseurs de soins personnels, et même ceux qui sont payés tous les jours pour offrir l'euthanasie et l'aide au suicide. C'est au paragraphe 1(8).
Je crois que nous convenons tous que, pour la vaste majorité des cas d'euthanasie ou de suicide assisté, il n'y a rien de déraisonnable à exiger la présence de deux témoins indépendants lorsqu'une personne demande que l'on mette fin à sa vie. Comment les libéraux vont-ils s'y prendre pour protéger les patients contre les possibles fautes professionnelles? Qu'entend faire le gouvernement pour que les patients qui présentent une telle demande connaissent la myriade d'options qui s'offrent à eux et ne se fient pas à une seule opinion?
Le texte énumère ensuite une série de mesures de sauvegarde que le médecin doit respecter avant d'aider quelqu'un dont la mort ne serait pas raisonnablement prévisible. Il doit par exemple discuter avec la personne concernée des moyens disponibles pour soulager ses souffrances, dont les soins palliatifs.
Cette exigence est encore moins élevée pour les personnes dont la mort est raisonnablement prévisible, car le médecin n'a alors qu'à informer son patient de l'existence de ces mêmes options. Le gouvernement n'a jamais donné suite à sa promesse d'investir 3 milliards de dollars dans les soins de longue durée, dont font partie les soins palliatifs. Il ne semble avoir aucune volonté politique d'améliorer les soins palliatifs.
Les Canadiens demandent en outre au gouvernement qu'il crée la stratégie nationale sur les soins palliatifs qu'ils réclament depuis longtemps. Les Canadiens veulent de véritables solutions dans le domaine des soins de fin de vie. Or, le gouvernement semble n'avoir aucun scrupule à tout simplement faire fi des 70 % de Canadiens qui n'ont pas accès aux soins palliatifs et à imposer au contraire un régime universel absolument bancal. On peut déjà constater ce qui arrive quand on fait la promotion de l'aide à mourir au détriment des soins palliatifs.
En Colombie-Britannique, la Delta Hospice Society a été privée de 94 % de son budget de fonctionnement pour avoir refusé l'euthanasie à des personnes admises dans un établissement censé offrir des soins palliatifs. Même si elle a tenté à plusieurs reprises de faire valoir que la Charte lui permet de se laisser guider par ses valeurs religieuses pour refuser de pratiquer l'euthanasie et qu'elle a cherché de bonne foi à trouver un compromis, la société risque fort de perdre le financement qu'elle recevait pour 10 de ses lits de soins palliatifs, qui se retrouvent ainsi en péril.
Pourquoi les libéraux continuent-ils d'ignorer ceux qui ont un point de vue différent sur la question des soins en fin de vie? Ceux qui veulent des soins palliatifs le font pour une raison: parce qu'ils ne veulent pas de l'aide médicale à mourir. En fait, ce qui s'est passé en Colombie-Britannique est une tentative pour redéfinir les soins palliatifs.
De fait, la décision de la Fraser Health Authority bat en brèche l'avis de la Société canadienne des médecins de soins palliatifs, qui a expliqué clairement que l'euthanasie et le suicide assisté ne sont en aucune façon des soins palliatifs. Je déconseille aux Canadiens de considérer le cas de la Delta Hospice Society comme unique. Le gouvernement a montré peu d'intérêt pour les soins palliatifs et je ne serais pas surprise qu'il s'en prenne encore à la possibilité qu'ont les Canadiens de choisir de terminer leur vie de manière naturelle.
Dans le Globe and Mail, Sarah Gray l'a bien dit: les gens ne vont pas dans les établissements de soins palliatifs pour y mourir. Ils y vont pour avoir une bonne qualité de vie pendant le peu de temps qu'il leur reste. Ce sont des lieux de célébration, d'interconnexion, de réconfort et d'aide. Ce sont des lieux où les mourants et leur entourage se sentent en sécurité. Comme l'a dit le cardinal Collins, travaillons à une culture des soins, au lieu de nous précipiter vers une culture de mort à la demande.
Il serait aussi judicieux pour le gouvernement de se rappeler qu'une grande partie du débat sur le projet de loi C-14 tournait autour de la demande d'établissement d'un cadre solide de protection de la liberté de conscience pour les médecins praticiens présents tout au long du processus de fin de vie. Au comité, des témoins ont affirmé que la protection de la liberté de conscience devrait être incluse dans la réponse législative du gouvernement à l'affaire Carter c. Canada.
L'Association médicale canadienne a confirmé que protéger la liberté de conscience des médecins ne nuirait pas à l'accès à l'aide médicale à mourir ou à l'euthanasie. En fait, d'après ses statistiques, 24 000 médecins au Canada, c'est-à-dire 30 % des membres de cette profession, sont prêts à offrir ces services. Je vis dans une région rurale du Canada, et je peux assurer aux députés qu'il y a beaucoup de services auxquels je n'ai pas directement accès.
Malheureusement, les libéraux n'ont pas défendu la liberté de conscience des Canadiens dans le projet de loi C-14. Par ailleurs, j'ai été déçue que, lors de la dernière législature, ils n'aient pas appuyé le projet de loi C-418, Loi sur la protection de la liberté de conscience. Cette mesure législative cruciale, présentée par David Anderson, aurait érigé en infraction criminelle le fait d'intimider un professionnel de la santé pour le forcer à prendre part à la prestation de l’aide médicale à mourir. Il aurait également érigé en infraction criminelle le fait de renvoyer ou de refuser d'employer un professionnel de la santé qui refuse de prendre part, directement ou indirectement, à la prestation de l’aide médicale à mourir.
Nous voici maintenant quatre ans plus tard, et le projet de loi C-7 ne contient aucune disposition pour protéger les droits des Canadiens garantis par l'article 2 de la Charte. Au Canada, tout le monde jouit de la liberté de conscience et de religion au titre de l'article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés. Personne n'a le droit d'exiger tous les services de tous les fournisseurs en toutes circonstances. Comme M. Anderson l'a indiqué, il faut instaurer des mesures de protection pour les médecins et les fournisseurs de soins de santé qui ne souhaitent pas abandonner leurs principes éthiques fondamentaux lorsqu'ils se trouvent au chevet d'un patient. L'accès à l'aide médicale à mourir et le droit à l'objection de conscience ne sont pas incompatibles.
Jusqu'où les libéraux iront-ils? C'est une question que nous devons nous poser en tant que législateurs. Il y aura toujours des personnes dans la société qui trouvent que les mesures de sauvegarde et les limites sont trop strictes. Quand les libéraux trouveront-ils que c'est assez? Où s'arrêteront-ils? Quel message envoyons-nous aux personnes les plus vulnérables et fragiles de la société?
Au cours des cinq dernières années, j'ai défendu la cause des anciens combattants. Je sais qu'il y a de nombreux anciens combattants qui semblent avoir trouvé une façon de composer avec leurs blessures physiques invalidantes, mais dont la santé mentale est extrêmement fragile. Nous sommes tous préoccupés par le nombre d'anciens combattants qui choisissent de se suicider à cause de complications découlant de leur service militaire. C'est tout à fait contradictoire, d'une part, d'essayer de les empêcher de mettre fin à leur vie et, d'autre part, de leur dire que le gouvernement a mis en place un processus qui leur donne la possibilité de le faire.
Le projet de loi C-7 ne prévoit aucune disposition liée à la protection de la liberté de conscience, ne protège pas les personnes vulnérables et ne répond pas à la nécessité...