Merci.
Je m'appelle Michael Spratt. Je suis un spécialiste en droit pénal reconnu par le Barreau de l'Ontario. Je suis un associé du cabinet AGP Law, ici à Ottawa. Je pratique exclusivement le droit pénal depuis 2005.
Toute discussion concernant notre système de mise en liberté sous caution doit commencer par tenir compte des principes constitutionnels fondamentaux inscrits dans la Charte des droits et libertés, à savoir la présomption d'innocence et le droit de ne pas se voir refuser une libération sous caution raisonnable sans motif valable.
Nous devons nous rappeler que les personnes qui se voient refuser la liberté sous caution sont présumées innocentes. Nous ne devrions pas chercher à punir des personnes avant qu'elles n'aient été déclarées coupables. La détention provisoire est une punition de la pire espèce.
Je veux que vous imaginiez une prison si dépourvue d'humanité que les gardiens restent les bras croisés pendant qu'une femme enceinte accouche dans sa cellule, une prison si anarchique que les gardiens peuvent brutaliser les détenus et camoufler les mauvais traitements en toute impunité, une prison si surpeuplée que les détenus sont forcés de dormir dans une cellule de douche humide, une prison si sale que les vêtements et la literie sont tachés d'urine, d'excréments et de sang, et où il y a des infestations de punaises de lit et d'autres conditions insalubres qui causent des infections impossibles à traiter. Ce n'est pas une exagération. C'est la réalité.
Plus de 70 % de la population carcérale de l'Ontario est constituée de personnes en attente de procès. Nous enfermons des personnes parce qu'elles sont pauvres, sans abri, toxicomanes, malades ou marginalisées. Malheureusement, la plupart des détenus en détention provisoire n'ont pas accès à des programmes de réadaptation, du counselling en matière de toxicomanie ou à des traitements de santé mentale.
Le sale secret du système judiciaire, c'est que les gens sortent généralement de prison en pire état que lorsqu'ils y sont entrés.
Nos prisons sont des fabriques de la souffrance de plus en plus coûteuses qui entravent la réinsertion sociale, privent les accusés de leur famille et du soutien de leur communauté, entraînent l'itinérance et le chômage, et rendent nos communautés moins sécuritaires.
Le plus inquiétant, c'est que la détention provisoire a pour effet pervers d'inciter les gens à reconnaître leur culpabilité afin d'échapper à ces horribles conditions de détention et de ne pas avoir à attendre leur procès pendant des mois. Je l'ai constaté à maintes reprises.
Toute étude du système de mise en liberté sous caution devrait examiner ces questions. Nous devons parler de sa réforme, mais je pense que ce n'est pas le type de réforme que vous cherchez ou le type de questions que vous me poserez.
Le débat actuel sur la libération sous caution et les infractions commises avec une arme à feu a été alimenté par des tragédies très médiatisées, comme le meurtre de l'agent de la PPO Pierzchala et, plus récemment, les décès par balle des agents de police d'Edmonton Jordan et Ryan.
Il est peut-être facile d'ignorer des faits importants face à de telles tragédies. Voilà pourquoi je voudrais brièvement commencer par vous mentionner quelques faits.
Premièrement, les statistiques sur la criminalité sont très complexes.
Deuxièmement, le fait est que, d'un point de vue historique, nous vivons l'une des périodes les plus sécuritaires de l'histoire du Canada. Les taux de crimes violents sont à la baisse depuis des années; nous avons observé une diminution de 11 % au cours des 20 dernières années.
Le taux d'infractions commises avec une arme à feu a augmenté depuis l'an 2000, mais l'utilisation d'armes à feu dans les homicides est restée relativement stable au cours des 20 dernières années. Selon Statistique Canada, le nombre d'homicides liés à des gangs a diminué de près de 10 % en 2020, et les crimes violents commis avec une arme à feu ont diminué de 5 % en 2021.
Troisièmement, le fait est qu'il n'y a pas de tendance à la hausse du nombre de décès de policiers en service.
Quatrièmement, le fait est que la détention provisoire accroisse les taux de récidive.
Cinquièmement, le fait est que le projet de loi C‑75 ne prévoyait pas de politique de mise en liberté sous caution. Rien de cela n'est mentionné dans la mesure législative. Ce type de discours est une escroquerie politique.
Le projet de loi C‑75 inscrit dans la loi les décisions récentes de la Cour suprême, comme les principes de restriction de la liberté sous caution, et permet en fait aux agents de police d'imposer des conditions de mise en liberté sous caution plus strictes, lorsqu'ils libèrent des accusés. Il a également inversé le fardeau de la preuve en ce qui concerne les cautionnements pour de nombreuses infractions liées à la violence entre partenaires intimes.
Sixièmement, le fait est que les infractions commises avec une arme à feu sont prises très au sérieux par nos tribunaux. D'après mon expérience, la police libère rarement les accusés, sauf s'il s'agit d'un agent de police; les procureurs consentent rarement à cette libération, et les enquêtes sur le cautionnement sont toujours longues et très contestées.
Septièmement, le fait est que le renversement du fardeau de la preuve relativement à la mise en liberté sous caution pour les infractions commises avec une arme à feu est très probablement constitutionnel et pourrait prévenir certaines infractions.
Huitièmement, le fait est que ce renversement ne dissuadera pas les délinquants de commettre des infractions, tout comme l'augmentation de la durée des peines ne les dissuade pas.
Neuvièmement, le fait est que les dispositions liées au renversement du fardeau de la preuve relativement à la mise en liberté sous caution pour les infractions commises avec une arme à feu n'auraient pas empêché la mort des agents de police Pierzchala, Jordan et Ryan.
Les solutions à trouver ne consistent pas à modifier la loi sur la mise en liberté sous caution, mais à envisager un financement accru de l'accès à la justice, des services d'aide sociale en amont et de l'application de la loi sur la mise en liberté sous caution.
Une crise sévit dans notre système de mise en liberté sous caution, mais ce n'est pas celle que vous pensez. Notre système de mise en liberté sous caution n'est pas trop clément. L'expression calomniatrice « capture et remise en liberté » n'est pas vraie. La récente mesure législative n'est pas à l'origine de la récente tragédie, et je vous exhorte à examiner les réalités et les données probantes et à ne pas utiliser le système de justice pénale comme une sorte de levier politique.