Bonjour à tous.
Je m'appelle Allan Adam et je suis le chef de la Première Nation des Chipewyans d'Athabasca. Comme vous le savez, la saison de hockey bat son plein. La dernière fois que j'ai été aussi enthousiaste, c'est lorsque Wayne Gretzky a ramené la coupe chez nous. Connor McDavid va faire la même chose cette année.
Tout déplacement à Ottawa est significatif pour notre peuple. Nous nous attendons à pouvoir discuter ici avec les élus en vue d'une réflexion sur les moyens à mettre en œuvre pour le mieux-être de tous.
Je sais qu'il ne me reste sans doute qu'environ quatre minutes, mais je compte bien lire la déclaration que j'ai en main. Venir d'aussi loin pour se faire dire que l'on dispose de cinq minutes à peine… Vous allez écouter ce que j'ai à dire en m'accordant plus de cinq minutes, car il s'agit là de considérations très importantes quant au mode de développement de ce pays dans l'intérêt de tous les Canadiens. Si vous n'écoutez pas tout ce que j'ai à vous dire, je vais simplement me lever et quitter la salle en vous laissant le texte de la déclaration, et le tout sera terminé en 10 secondes.
Il me faudra sans doute un peu plus de cinq minutes pour lire mon exposé. Tout ce que je demande, c'est sept minutes de votre temps. Je vais être franc et direct avec vous. J'ai fait tout ce chemin depuis l'Alberta pour m'asseoir avec vous aujourd'hui afin de vous faire comprendre ce que vivent nos gens et de m'assurer que vous prenez notre situation au sérieux.
Bonjour, honorables députés. Merci de nous avoir invités aujourd’hui. Cette question est extrêmement importante et mérite une attention accrue.
J’aimerais pouvoir vous dire que c’est un plaisir pour moi d’être ici, mais ce serait mentir. Pour une raison ou pour une autre, j’ai hérité de la tâche de venir à Ottawa rappeler au gouvernement ses obligations et ses responsabilités.
Vous avez la responsabilité de défendre nos droits découlant des traités et garantis par l'article 35 de la Constitution. Vous avez la responsabilité de fournir les services de base en matière de santé, de soutiens sociaux, d’éducation et d’infrastructures que vos communautés de colonisateurs tiennent pour acquis. Vous avez la responsabilité de réglementer comme il se doit les gigantesques projets industriels qui pourraient menacer la santé et la sécurité des résidents de Fort Chipewyan et d’autres collectivités en aval. Vous avez la responsabilité d’avertir les êtres humains que leur eau peut avoir été contaminée par la fuite d’un bassin de décantation qui avait été déclaré sans danger quand il a été approuvé et autorisé par le Canada. Aidez-moi à comprendre comment il peut être possible que cela ait été approuvé par le Canada.
Vous êtes responsables, peu importe ce que vous pouvez en penser. Il en va de même de l’Alberta, mais cela n'empêche pas les résidus de se répandre dans notre territoire ancestral depuis maintenant 11 mois, sans parler de ce qui s'est passé au cours des 30 dernières années… et de tout ce qui arrive à notre insu.
Pendant 10 mois, cette fuite n’a pas été signalée, en dépit du fait que l’Alberta Energy Regulator, l'AER, l'organisme de réglementation de l'énergie en Alberta, et l’exploitant des sables bitumineux étaient au courant de ce qui se passait. Combien de gens à Ottawa savaient ce qui se passait en Alberta au cours de cette période de 10 mois?
Pendant 10 mois, les gouvernements fédéral et provincial n’ont rien fait. Je peux en témoigner personnellement, car je n'ai reçu aucun appel à ce sujet. Il a fallu qu’une fuite plus catastrophique survienne plus tôt cette année pour que nous apprenions la vérité. Même alors, les gouvernements colonisateurs n’ont rien fait.
C’est seulement quand nous avons alerté les médias nationaux que les gens à Ottawa et Edmonton ont commencé à se préoccuper de la situation. Ce n’est qu’après que nous ayons visité le lieu de la fuite et publié des photos et des vidéos des répercussions sur les plans d’eau fréquentés par des poissons et des animaux que des gens ont mis en doute l’explication officielle fournie par la première ministre de l’Alberta et l’AER.
À entendre la première ministre, il n'y a aucun problème. La faune n'est aucunement touchée. Eh bien, je vous invite à venir manger ce que nous mangeons, à venir boire l'eau que nous buvons, et il est bien possible que votre discours ne soit plus le même par la suite.
Même après deux mois de reportages à la une, nous ne savons toujours pas au juste ce qui s’est produit. À notre connaissance, personne n’a été congédié et aucune mesure disciplinaire ou sanction n’a été imposée, que ce soit par les entreprises ou par les différents gouvernements, y compris celui‑ci. Certains dirigeants de l'Impériale ont bien tenté de présenter leurs excuses, mais l’Alberta traite toute l’affaire depuis le début comme un simple problème de communication. Il s’agit d’une tentative délibérée de minimiser pour des raisons juridiques et politiques une énorme catastrophe industrielle et les obligations financières et politiques qui en résulteront. Il y a en effet des poursuites judiciaires en cours qui visent notamment le gouvernement albertain.
Le Canada ne devrait pas croire qu'il va s'en tirer aussi facilement, car vous êtes également responsables de ce qui s'est produit. Je ne serais pas ici aujourd'hui à Ottawa s'il ne se passait rien en Alberta, mais c'est malheureusement encore le cas. La fuite se poursuit au moment où l'on se parle. Aucune solution n'a été proposée pour régler la situation.
J’en conclus que le Canada est un pays où l’on peut impunément déverser 5,5 millions de litres de boues toxiques dans l’environnement. N'oubliez pas que c'était 5,5 millions de litres en une seule journée. Lorsque j'ai visité le site de l'Impériale, on m'a indiqué que la fuite avait commencé trois jours plus tôt. Vous n'avez qu'à faire le calcul en multipliant par trois. C'est le total auquel on arrive sans que personne n'ait eu de comptes à rendre. Je l'ai vu de mes propres yeux en me rendant sur place. On menace ainsi la santé et le bien-être des collectivités en aval sans subir de conséquences. Le Régime de pensions du Canada et l’Alberta Investment Management Corp continuent d’investir des dizaines de millions de dollars chaque année dans les sables bitumineux.
Les Canadiens s’attendent à ce que cette industrie soit réglementée comme il se doit. Je suis ici pour vous dire qu’elle ne l’est pas. Il n'y a aucune réglementation. Si l’Alberta porte une grande part de responsabilité, le Canada doit également répondre de ce qui se passe. La Loi canadienne sur la protection de l’environnement, la Loi sur les pêches et l’Entente-cadre sur les eaux transfrontalières du bassin du Mackenzie — que vous avez conclue avec vos homologues sans jamais vraiment y donner suite, ce que j'aurais pu vous prédire il y a 20 ans déjà — sont autant d’instruments et de cadres juridiques qui permettraient au gouvernement fédéral de protéger la santé et la sécurité des résidents en aval des sables bitumineux.
Nous pouvons dénoncer un contrôle d’application déficient, un financement insuffisant et l’absence de volonté politique, mais ce sont là des excuses et non des solutions. Or, il nous faut des solutions. Cet incident amène tant les communautés autochtones de l’Alberta en aval que les résidents du Nord à se demander s’il s’agit d’un cas isolé ou d’un problème systémique dans l’ensemble du secteur des sables bitumineux. Lorsque je parle de « problème systémique » je fais référence au racisme systémique dont sont victimes les communautés des Premières Nations vivant en aval. Si tout cela se passait à Calgary, je peux vous garantir que c'est vous, et non moi, qui pousseriez les hauts cris aujourd'hui.
Nous demandons au gouvernement fédéral d’employer tous les moyens juridiques à sa disposition pour se charger de l’enquête et du nettoyage du déversement de Impériale–Exxon à Kearl. Toute confiance dans le gouvernement de l’Alberta est perdue, et ce depuis bien longtemps déjà. On ne peut manifestement pas compter sur lui pour veiller à la réparation de ce désastre.
La situation est désastreuse depuis les années 1960. Quand allez-vous vous décider à mettre de l'ordre dans tout cela? L'Alberta a obtenu 1 milliard de dollars pour décontaminer les sables pétrolifères. Il lui en faudrait 130 milliards. Où le Canada va‑t‑il trouver le reste des fonds requis s'il est impossible pour l'Alberta d'y parvenir? C'est la stricte vérité, et ce n'est pas moi qui l'affirme; ce sont vos pairs qui l'ont écrit.
Nous exhortons également le gouvernement à entreprendre une inspection complète de l’intégrité structurelle des bassins de décantation dans l’ensemble du secteur des sables bitumineux, et pas seulement à Kearl. Si on peut passer une fuite sous silence pendant 10 mois au site Kearl, qu’en est‑il de la situation ailleurs? Ça nous prend une vérification crédible et contrôlable de tous les bassins de décantation pour rétablir un minimum de confiance. Si cela n'est pas chose possible pour vous, voulez-vous bien me dire ce que vous faites ici?
Enfin, le Canada doit veiller à ce que les peuples autochtones aient leur mot à dire dans la manière de réglementer les sables bitumineux et de prendre des décisions sur les résidus. Nous devons définir en priorité la politique sur la gestion à long terme des bassins de décantation.
L’industrie et l’Alberta proposent de traiter les résidus liquides et de les reverser dans la rivière Athabasca. Il n’est pas question pour ma communauté ou quelque autre collectivité en aval d’accepter cette solution. Ce n’est pas notre dégât. Nous ne permettrons pas que les pollueurs rejettent ces résidus dans notre eau potable. Si jamais c'était la solution retenue, est‑ce que le Canada aurait suffisamment de fonds pour déplacer notre communauté et nos gens afin qu'ils se retrouvent en lieu sûr?
Je vais avoir l'obligeance de vous servir une mise en garde quant à ce que l'avenir pourrait vous réserver. C'est un dossier qui pourrait fort bien donner lieu à des poursuites judiciaires, et le Canada va se retrouver au banc des accusés, au même titre que l'industrie des sables bitumineux et le gouvernement de l'Alberta.
Il y a une chose qui m'apparaît totalement injustifiée, monsieur le président. Pourquoi les communautés des Premières Nations doivent-elles se présenter devant un comité pour obtenir un permis afin d'exploiter leurs territoires traditionnels? Pourquoi devons-nous dépenser des millions de dollars pour témoigner de ce que nous vivons afin d'obtenir l'accès à de l'eau potable et de pouvoir consommer en toute sécurité du poisson, de la viande d'orignal et tout le reste?
Pourquoi se fait‑il que pendant que nous dépensons ces millions de dollars, le gouvernement albertain continue d'approuver automatiquement toutes les demandes de permis d'exploitation des sables bitumineux dont il est saisi? Pourquoi ne pourrions-nous pas faire partie nous-mêmes du comité, ce qui nous éviterait d'engager tous ces coûts, pour les entendre parler des torts qu'ils veulent causer à nos communautés?
L'AER, l'organisme de réglementation de l'énergie de l'Alberta, c'est une véritable farce. Si, tout bien considéré, vous partagez tous cet avis, alors pourquoi dois‑je encore me présenter ici? Voilà maintenant 40 ans que l'on approuve automatiquement tout ce que l'industrie propose. Vous pouvez bien vous mordre les lèvres; vous avez toutes les raisons de le faire, car ce n'est pas une blague, mais la triste réalité.
Il y a encore chez nous des gens qui meurent en raison de conditions sanitaires déficientes dont personne n'a daigné parler pendant 10 ans. Si vous souhaitez que j'en traite de nouveau, je vais le faire volontiers, et nous reprendrons tout ce débat.
À ce titre, je peux vous dire que j'attends des nouvelles de mon beau-père. On va lui communiquer aujourd'hui même ses résultats d'analyse après avoir trouvé la semaine dernière une tumeur cancéreuse dans son foie. Je suis censé être avec mon épouse pour la réconforter quand elle recevra cette nouvelle, mais je suis plutôt ici pour témoigner devant tous les Canadiens des problèmes que vit notre communauté.
Si ces bassins de décantation continuent à fuir, nous n'aurons bientôt plus une espérance de vie de 80 ans. Pour l'ensemble de notre communauté, elle sera sans doute d'environ 60 ans. J'affirme une telle chose parce que des jeunes commencent à être frappés par le cancer, et ce, sans parler de tous les problèmes de santé mentale qui perdurent depuis la fin de la pandémie. Ces problèmes existaient déjà longtemps avant la COVID et nous affecteront encore longtemps après. Si nous n’arrivons pas à régler ces problèmes, la situation va se détériorer. Il ne devrait plus y avoir de nouveaux projets dans notre secteur, car ce sont nos gens qui en paient le prix. Les communautés en aval continuent d'en ressentir les conséquences. Si quelqu'un ici croit que c’est sans danger, je l'inviterais à offrir la source d’approvisionnement en eau de sa collectivité pour le stockage à long terme de résidus.
Ce problème ne se réglera pas tout seul. Le Canada et la population canadienne ont tiré des milliards de dollars de cette ressource. Le Canada a la responsabilité de s’attaquer à la crise globale des résidus et de la remise en état qui se joue dans notre région et qui menace tout le bassin du Mackenzie en aval des sables bitumineux. Pour ce faire, il doit charger un organisme de cogestion mandaté par le gouvernement fédéral et dirigé par les peuples autochtones d’assurer une surveillance efficace et le doter des pouvoirs d’exécution pour corriger le problème.
Nous demandons en fait, monsieur le président, que les communautés des Premières Nations qui vont être touchées par les grands projets industriels deviennent elles-mêmes les instances réglementaires. Nous devrions être assis de l'autre côté de la table, plutôt que de témoigner des torts causés à nos communautés par l'industrie et des raisons pour lesquelles c'est encore le cas aujourd'hui.
Quel est votre mandat? Votre mandat a des répercussions sur les personnes qui vivent en aval, une situation qui ne changera pas de sitôt.
Je vais en rester là pour l'instant, monsieur le président. Merci.