Monsieur le Président, c'est paradoxal: l'affaire SNC-Lavalin qui secoue le gouvernement a commencé avec des pots-de-vin allégués à la famille Kadhafi, mais voilà que le gouvernement, qui s'est empêtré dans ce scandale en tentant de protéger la société de poursuites au criminel et en violant l'indépendance du procureur, se montre cynique et sinistre au point de croire pouvoir, au moyen du budget, corrompre les Canadiens avec 41 milliards d'argent public.
Malheureusement pour le gouvernement, les Canadiens sont trop intelligents et trop intègres pour se laisser distraire par des milliards de dollars puisés à même leur propre argent. Ils comprennent que le premier ministre tente de faire oublier son manque d'éthique avec des dépenses irresponsables à hauteur de 41 milliards de dollars et ils ne sont pas dupes.
Les choses ont évolué au cours des 24 dernières heures. Commençons par ce qui est sans doute le plus important de ces nouveaux faits. Lors d'une conférence de presse tenue le 15 février afin de détourner l'attention du scandale, le premier ministre s'est adressé aux Canadiens, à 37 millions de ses concitoyens, et a déclaré que si quelqu'un, y compris l'ancienne procureure générale, n'était pas d'accord concernant quelque chose qu'il avait vécu au sein du gouvernement ou s'il avait l'impression que le gouvernement ne respectait pas les normes élevées qu'il s'était fixées, c'était la responsabilité de cette personne de manifester ses préoccupations, mais que personne ne l'avait fait.
C'est ce qu'il a dit à 37 millions de Canadiens, que personne ne l'avait avisé d'un quelconque malaise. Voici pourtant ce que l'ex-procureure générale a dit au comité de la justice:
Ma réponse — et je m'en souviens très bien — a été de poser une question directe au premier ministre, tout en le regardant droit dans les yeux. Je lui ai demandé: « Êtes-vous en train de vous ingérer politiquement dans mon rôle, dans ma décision de procureure générale? Je vous conseille fortement de ne pas le faire. »
Voilà qui ressemble fort à une personne exprimant directement son malaise au premier ministre. En toute justice, avant la journée d'hier, nous ne disposions d'aucune source indépendante permettant de confirmer qu'il s'agissait des mots exacts de l'ex-procureure générale au premier ministre. Nous n'avions rien d'autre que sa parole, et même si, moi, je l'ai crue, nous n'avions pas de transcription écrite ou d'enregistrement audio de leur conversation.
Hier, j'ai dit ceci à la Chambre des communes:
Monsieur le Président, lors de cette fameuse réunion en septembre, l'ancienne procureure générale affirme qu'elle a regardé le premier ministre droit dans les yeux et qu'elle lui a demandé: « Êtes-vous en train de vous ingérer politiquement dans mon rôle [...] de procureure générale? Je vous conseille fortement de ne pas le faire. »
Le premier ministre se souvient-il qu'elle ait tenu de tels propos?
Ce à quoi le premier ministre a répondu: « Monsieur le Président, à ces propos, j'ai répondu que ce n'était pas ce que je faisais [...] » C'est la première partie de la réponse du premier ministre — « à ces propos » — qui nous intéresse surtout, car il s'agit d'une admission. En disant « à ces propos », il confirme qu'elle l'a regardé droit dans les yeux et qu'elle lui a demandé: « Êtes-vous en train de vous ingérer politiquement dans mon rôle, dans ma décision de procureure générale? Je vous conseille fortement de ne pas le faire. » Qu'il ait admis qu'elle l'avait directement mis en garde contre son ingérence politique en septembre prouve qu'il proférait des faussetés flagrantes quand il disait, en février, que personne ne lui avait parlé de quoi que ce soit.
Le seul moyen qu'il pourrait rester au premier ministre pour justifier ses déclarations du 15 février serait de dire qu'il ne se rappelait pas que l'ex-procureure générale l'ait regardé droit dans les yeux et qu'elle lui ait demandé s'il était en train de s'ingérer politiquement dans son rôle. Or, comme il a admis hier qu'il s'en souvenait, cette défense est inadmissible.
Le premier ministre s'en souvenait hier. Donc, on peut en déduire qu'il s'en souvenait le 15 février. Enfin, on peut conclure que lorsqu'il regardait les Canadiens dans les yeux en prétendant que personne ne s'était manifesté, il faisait une déclaration qu'il savait fausse. Il y a un mot pour cela, mais pour le prononcer, il faudrait que je contrevienne au Règlement, ce que je ne ferai pas en ce lieu. Cependant, je ferai bien attention d'éviter que le nez qui devient de plus en plus long de l'autre côté de la Chambre ne finisse pas par me percer l'oeil pendant mes observations.
L'intervention du premier ministre prouve qu'il n'a pas dit la vérité aux Canadiens. Au moment même où il a lâché sa meute pour qu'elle détruise la réputation de ses deux anciennes ministres — deux dénonciatrices qui s'étaient élevées contre lui —, il était prêt à raconter des faussetés flagrantes à leur sujet.
L'histoire qu'il essayait de créer en racontant ces faussetés, c'est que l'ancienne procureure générale avait témoigné contre lui au comité de la justice par opportunisme politique. Elle n'avait jamais soulevé de préoccupations au sujet de l'affaire SNC-Lavalin; elle n'avait eu absolument aucun problème avec tout ce qu'il avait fait. Ce n'est que lorsqu'elle a été démise de ce que Gerry Butts a appelé son « emploi de rêve » qu'elle aurait inventé cette grosse histoire voulant que le premier ministre se soit ingéré dans un procès criminel. Or, pour rendre cette histoire crédible, il devait affirmer une fausseté, c'est-à-dire qu'elle ne lui en avait absolument jamais parlé. Nous savons maintenant non seulement que c'était faux, mais qu'il savait que c'était faux et qu'il l'a dit quand même.
Nous savons aussi que le premier ministre est resté les bras croisés tandis que son secrétaire principal — son meilleur ami — déclarait à un comité parlementaire que personne n'avait exprimé la moindre réserve. Si ce qu'ils avaient fait était aussi inacceptable, a demandé Gerald Butts, pourquoi n’en avait-on pas parlé en septembre, en octobre, en novembre ou en décembre?
Pourquoi n’en avait-on pas parlé? Nous disposons maintenant de 41 pages de preuves documentaires qui montrent que, en septembre, en octobre, en novembre et en décembre, on semble plutôt en avoir parlé sans cesse. Gerald Butts s'est présenté devant le comité, il a regardé les députés ainsi que les millions de téléspectateurs canadiens droit dans les yeux, puis il a débité une fausseté flagrante. Il savait qu'il s'agissait d'une fausseté flagrante parce qu'une grande partie des preuves documentaires montrent qu'il avait pris part aux conversations mêmes dont il a nié l'existence plus tard.
Le fait que des membres du gouvernement soient prêts à se présenter devant un comité parlementaire et à faire des déclarations qu'ils savent être absolument fausses nous éclaire sur la raison pour laquelle les libéraux qui siègent au comité de la justice ne voulaient pas que les témoins prêtent serment avant de livrer leur témoignage. De toute évidence, Gerald Butts ne voulait pas jurer de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. Il voulait être en mesure de dire autre chose que la vérité.
Je pense notamment à la phrase concernant la raison pour laquelle personne n'avait discuté de la situation pendant les quatre mois en question, soit de septembre à décembre. Gerald Butts savait qu'il voulait dire quelque chose de complètement faux. Par conséquent, il a fait en sorte que les membres libéraux du comité s'organisent pour qu'il n'ait pas à prêter un serment qui pourrait l'exposer à des allégations d'outrage, quoique nous n'éliminions pas la possibilité qu'il en ait commis un, puisqu'il a débité des faussetés aussi flagrantes, comme on l'a maintenant démontré.
La première chose que nous avons apprise au cours des dernières 24 heures, c'est le fait que le premier ministre a avoué que l'ancienne procureure générale lui avait parlé en septembre, soit presque six mois avant que le scandale n'éclate. Il a cependant dit exactement le contraire dans un point de presse.
La deuxième chose que nous avons apprise est de taille. Je ne sais pas si les gens se rendent compte de son importance. Selon un article publié par CBC hier le 3 avril, à 20 heures, la décision très controversée du premier ministre d'expulser deux députées en vue a été prise après des semaines de négociations tendues.
Pendant que le premier ministre essayait de donner une version publique des faits entourant ce scandale, il tentait en coulisse, nous le savons maintenant, d'en arriver secrètement à une entente pour, en fait, empêcher l'ancienne procureure générale et l'ancienne présidente du Conseil du Trésor de quitter le caucus. Il a voulu les dissuader de partir pour éviter de perdre l'image de féministe et d'idéaliste, déjà quelque peu ternie, qu'il avait mis du temps et des efforts à créer, une image on ne peut plus fausse. Il a voulu trouver un moyen de les amener à le louanger plutôt qu'à condamner sa conduite et à le dénoncer. Pendant que ce scandale faisait rage, il envoyait en coulisse ses émissaires leur faire des offres.
Selon l'article, l'ancienne procureure générale voulait que cinq conditions soient réunies pour mettre fin à la controverse ou du moins cesser d'en parler. Avant de les énumérer, je ferai remarquer qu'aucune de ces conditions ne représentait un avantage pour elle. Les voici donc.
Premièrement, elle voulait le renvoi de Gerald Butts, l'ancien secrétaire principal du premier ministre, désormais tombé en disgrâce.
Deuxièmement, elle voulait le renvoi du greffier du Conseil privé qui, nous le savons par l'enregistrement d'une conversation de 17 minutes avec elle, s'était acharné sur elle, en faisant des menaces voilées, pour qu'elle change d'avis par rapport à la poursuite au criminel de SNC-Lavalin.
Troisièmement, elle voulait le renvoi de Mathieu Bouchard, dont nous parlerons plus en détail plus tard.
Quatrièmement, elle voulait que le nouveau procureur général s'engage à ne pas infirmer la décision de la directrice des poursuites pénales Kathleen Roussel et à ne pas lui ordonner de conclure avec SNC-Lavalin un accord de suspension des poursuites.
Enfin, cinquièmement, et c'est l'évidence même, elle voulait que le premier ministre admette publiquement ou seulement au sein du caucus que, comme le fait remarquer un article de la CBC: « son cabinet avait agi de façon inappropriée en cherchant à la convaincre d'envisager d'accorder à SNC-Lavalin un [accord de suspension des poursuites]. » Autrement dit, elle demandait au premier ministre de reconnaître le comportement qu'il avait eu, d'en prendre la responsabilité, d'admettre ses torts et de s'engager à ne plus recommencer.
On ne sait pas si toutes les conditions ont été réunies, mais nous savons celles qui l'ont été et que je vais énumérer très brièvement.
Selon l'article, les exigences de l'ancienne procureure générale, qui voulait le renvoi de MM. Butts et Wernick ont été satisfaites. Ces deux personnes tombées en disgrâce, le secrétaire principal et le greffier du Conseil privé, sont parties.
Il ne reste désormais que trois conditions à remplir, renvoyer Mathieu Bouchard, conseiller principal en politiques du premier ministre et empêcher le nouveau procureur général de…