Monsieur le Président, d'entrée de jeu, j'aimerais dire que ma défunte baba Gertie aurait été très heureuse d'entendre mes collègues utiliser des proverbes yiddish. En fait, je pense qu'elle serait schlepping nachas en ce moment si elle pouvait assister à notre débat.
La majorité des Canadiens s'imaginent que les politiciens semblent toujours être à couteaux tirés, pour une raison ou une autre. On me demande souvent la raison pour laquelle notre parti est si critique à l'égard du gouvernement, pourquoi nous opposons toujours à tout ce que le gouvernement fait. En guise de réponse, je dis souvent que le rôle de l'opposition officielle est justement de s'opposer au gouvernement et de lui demander de rendre des comptes. C'est un rôle extrêmement important dans la démocratie parlementaire.
Nous voyons encore et encore des pays sans opposition officielle s'enliser dans les ténèbres. Nous en avons un parfait exemple avec Vladimir Poutine qui a déployé tout son arsenal militaire pour attaquer l'Ukraine, un état démocratique épris de liberté. M. Poutine n'a aucune opposition politique réelle à qui rendre des comptes. Nous savons le sort qu'il réserve aux dissidents de son gouvernement: il les punit.
Nous avons la chance de vivre dans un pays où nous sommes libres de nous exprimer et où l’opposition officielle sert de contrepoids dans un système conçu pour que le premier ministre et son gouvernement soient tenus responsables de leurs décisions. Dans notre système, le premier ministre a énormément de pouvoir, et notre travail, en tant qu’opposition officielle, est de surveiller le gouvernement. En fait, Michael Ignatieff, l’ancien chef de l’opposition libérale, a dit que « l’opposition joue un rôle d’adversaire qui est essentiel à la démocratie elle-même ».
Voilà pourquoi nous nous inquiétons de cette motion, car elle limite la capacité de la loyale opposition de Sa Majesté à surveiller le gouvernement. Voilà pourquoi. La motion no 11 propose, entre autres choses, qu’« après 18 h 30 la présidence ne reçoive [aucune] demande de quorum ». La nécessité du quorum est essentielle pour un gouvernement fonctionnel. Pour pousser l’idée jusqu’à l’extrême, imaginons qu’un seul député est présent à la Chambre. En l’absence de l’exigence du quorum, ce seul député pourrait avoir le pouvoir illimité de présenter des motions et des lois, littéralement au milieu de la nuit, sans la surveillance parlementaire adéquate.
Selon la Loi constitutionnelle, légalement, la présence d’au moins 20 députés est nécessaire « pour constituer une assemblée de la [c]hambre dans l’exercice de ses pouvoirs ». Tout député a le droit constitutionnel de demander une vérification du quorum et d’attirer l’attention de la présidence sur ce sujet, sauf après 18 h 30, si la coalition néo-démocrate—libérale fait adopter cette motion. C’est du jamais vu. C’est inconstitutionnel. Les règles sur le quorum existent pour éviter qu’un petit groupe de députés ne décident de prendre des mesures à eux seuls.
Par ailleurs, des membres de l'opposition élus démocratiquement peuvent se servir de l'exigence d'avoir quorum pour faire valoir leur point de vue. Les députés de l'opposition peuvent empêcher l'assemblée législative d'avoir quorum pour empêcher l'adoption de certaines mesures auxquelles ils s'opposent. Par exemple, pendant son mandat à l'Assemblée législative de l'Illinois, Abraham Lincoln a tenté, en vain, d'empêcher qu'il y ait quorum en sautant par une fenêtre du premier étage, puisque les portes du Capitol avaient été verrouillées pour empêcher les législateurs de s'enfuir.
Pour éviter que les ministériels me posent des questions à ce sujet, je tiens à dire très clairement que je n'approuve pas ce genre de tactique. Je prie les députés de ne pas sauter d'une fenêtre pour empêcher qu'il y ait quorum. Cependant, nous avons le droit de recourir à ce genre de tactique. Notre approche par rapport à l'absence de quorum est peut-être plus civilisée, mais nous avons le droit de signaler l'absence de quorum. Quelqu'un parmi mes collègues du Bloc québécois a dit plus tôt que, dans les circonstances actuelles, avec les séances hybrides, il est très difficile de savoir s'il y a quorum, et c'est un autre problème que nous devrons régler à un certain moment. Signaler l'absence de quorum fait partie des moyens légitimes à notre disposition pour favoriser la reddition de comptes. Or, la motion no 11 nous en priverait.
Au sujet des motions dilatoires, selon Bosc et Gagnon, ces motions n'exigent pas de préavis, elles ne peuvent pas faire l'objet d'un débat ni d'amendements et, si recevables, elles doivent immédiatement être mises aux voix par la présidence. La motion no 11 indique que la présidence ne doit pas recevoir de motions dilatoires. Plus précisément, elle prévoit qu'« un ministre de la Couronne [peut] présenter, sans préavis, une motion proposant l’ajournement de la Chambre jusqu’au lundi 19 septembre 2022 » et, paradoxalement, que ladite motion peut être « mise aux voix immédiatement sans débat ni amendement ». À mon avis, cela ressemble étrangement à une motion dilatoire. D'une part, la motion interdit les motions dilatoires, d'autre part, elle propose une motion dilatoire et dit que c'est permis.
La motion confère à un ministre de la Couronne un droit procédural qui n'est pas accordé aux autres députés, ce qui me semble foncièrement injuste. J'irais jusqu'à dire que la recevabilité de la motion pourrait faire l'objet d'une question de privilège.
La motion no 11 vise à lier les mains de l'opposition officielle tout en augmentant les pouvoirs du gouvernement. Il est évident que le gouvernement cherche à se donner ne porte de sortie en se donnant le pouvoir de proroguer. Je le sais, certains députés d'en face prétendent qu'il ne s'agit pas d'une prorogation. Ils disent qu'ils proposeront la motion avec l'approbation du leader d'un autre parti à la Chambre et que celle-ci sera mise aux voix, mais, en réalité, il est interdit de faire indirectement ce qu'on ne peut faire directement à la Chambre. Voilà ce que fait cette motion: elle permet au gouvernement de se soustraire à l'examen de l'opposition, lequel est pourtant « un élément indispensable à la démocratie », comme le disait M. Ignatieff.
Bref, le gouvernement veut se donner le pouvoir de stopper les motions de l'opposition, de proroger le Parlement dès qu'il le souhaite, de se soustraire à l'obligation de rendre des comptes, d'interrompre l'important travail des comités et de gouverner sans quorum. Voilà ce que ferait cette motion. Elle neutraliserait le Parlement, purement et simplement. C'est un coup de force éhonté.
En ce qui concerne le travail jusqu'à minuit, j'entends des députés ministériels, notamment le député de Winnipeg-Nord, affirmer que les députés du Parti conservateur ne veulent pas travailler aussi tard. En tout respect, je crois que tous les députés ont toujours travaillé d'arrache-pied. D'ailleurs, il est impossible d'arriver jusqu'ici sans travailler fort. Je n'ai pas d'objection à travailler aussi longtemps et aussi tard qu'il le faut, à l'instar de mes collègues. Je nous invite donc à faire preuve de respect et à cesser d'insinuer que certains députés refusent de travailler. Ce n'est tout simplement pas vrai.
Ce n'est pas le fait de travailler tard qui pose problème. C'est plutôt que la décision soit prise au dernier moment. La motion permettrait au gouvernement et au leader du NPD à la Chambre de décider à 18 h 29 de siéger jusqu'à minuit. Je sais que le NPD affirme se soucier des travailleurs. Or, la Chambre compte des centaines d'employés, qu'il s'agisse des greffiers, des préposés au nettoyage, des gardiens de sécurité, du personnel de cuisine, des interprètes, de ceux qui conduisent les navettes sur lesquelles nous comptons pour nous déplacer sur la Colline du Parlement, ainsi que des jeunes pages. Est-il acceptable de leur annoncer à 18 h 29, alors qu'ils sont au travail depuis 9 heures, qu'ils devront continuer à travailler jusqu'à minuit? Leurs syndicats s'y opposeront peut-être. En tout cas, je pense qu'ils le devraient.
J'ai hâte de voir les députés de la coalition libérale—néo-démocrate travailler avec nous jusqu'à des heures tardives à la Chambre à améliorer le sort des Canadiens. Je les prends au mot lorsqu'ils disent qu'ils seront là. S'ils ne se présentent pas aux débats après avoir décidé unilatéralement de prolonger la durée des séances, peut-être devrons-nous modifier les dispositions du Règlement qui nous interdisent de faire des commentaires sur la présence ou l'absence de députés.
L'objectif de cette motion est purement et simplement de limiter la capacité des partis de l'opposition de demander des comptes au gouvernement. La motion réduit notre capacité à tenir le gouvernement responsable et mine la confiance des Canadiens envers les institutions au pays. Comment peut-on prendre au sérieux un gouvernement qui prétend collaborer avec l'opposition tout en utilisant des stratagèmes de la sorte? Le premier ministre s'arroge le pouvoir de proroger le Parlement jusqu'en septembre et de perturber les travaux des comités parlementaires. Ce n'est pourtant pas étonnant. C'est la tendance avérée du premier ministre de tenter d'échapper à toute responsabilité et à la transparence.
La semaine dernière, les députés libéraux et néo-démocrates qui siègent au comité des affaires étrangères ont voté contre la motion raisonnable du député de Wellington—Halton Hills réclamant la production des documents sur le laboratoire de Winnipeg. Ironiquement, le NPD avait voté en faveur de cette même motion pendant la dernière législature. En outre, le premier ministre refuse de fournir les documents liés à l'invocation de la Loi sur les mesures d'urgence. Il pourrait faire l'objet d'une enquête de la GRC. La liste ne cesse de s'allonger.
Je vais conclure en disant que la motion est un affront à la démocratie au pays. Au cas où je n'aurais pas été assez clair, je précise que je vote contre. Dans l'intervalle, les Canadiens peuvent être assurés que les conservateurs rempliront leurs obligations constitutionnelles et continueront de demander des comptes au gouvernement.