Monsieur le président, honorable vice-président, mesdames et messieurs, merci beaucoup de m'avoir donné l'occasion aujourd'hui de vous parler des droits de la personne en Iran.
J'aimerais commencer par féliciter le gouvernement du Canada, qui d'année en année, a été un chef de file à l'Assemblée générale des Nations Unies pour ce qui est de dénoncer les violations systématiques que le régime iranien commet contre ses propres citoyens. Freedom House applaudit cet effort et, comme toujours, nous nous engageons à travailler avec le gouvernement canadien à ce sujet.
La situation a beaucoup changé depuis deux ans. Les négociations internationales sur le programme nucléaire de l'Iran ont permis aux Iraniens d'espérer qu'ils pourraient sortir de l'isolement qui leur est imposé par leur propre gouvernement depuis des décennies.
Nous devons toujours nous réjouir du dialogue et de la diplomatie, mais ce ne sont pas des fins en soi. Les pourparlers avec l'Iran ont malheureusement coïncidé avec la mise au second plan des droits de la personne et leur dissociation du programme mondial, alors qu'ils devraient au contraire mettre de l'avant les préoccupations du peuple iranien et veiller à ce que le monde partage les inquiétudes relatives à la répression qu'exerce le régime à l'égard de ses propres citoyens.
Il y a deux ans, dans un climat tendu, les Iraniens devaient décider s'ils allaient voter lors de nouvelles élections largement biaisées dans leur propre pays. Dans un geste courageux, ils ont été nombreux à retourner aux urnes pour tenter d'en finir avec les huit ans de plus en plus répressifs de l'administration Ahmadinejad et contribuer à prévenir le spectre du conflit entre leur pays et l'Occident. Un pragmatiste iranien a décrit le choix comme étant le « meilleur des pires » parmi les huit candidats approuvés par le clergé au pouvoir.
Hassan Rouhani, qui s'était autoproclamé modéré et d'accord avec les principaux réformistes et militants des droits de la personne, a été élu parce qu'il avait promis de supprimer les restrictions à la liberté d'expression, de faire avancer les droits de la femme et de libérer des dizaines de prisonniers politiques. Dix-huit mois plus tard, ces promesses ne se sont pas matérialisées. Malgré la rhétorique du président et quelques mesures superficielles, il n'a pas respecté ses promesses de réforme et l'administration se concentre entièrement sur les négociations nucléaires.
Les partisans de la ligne dure ont renforcé la répression. La situation des droits de la personne s'est encore détériorée, qu'il s'agisse de l'égalité des sexes ou de l'emprisonnement et de l'exécution de plus en plus fréquents des adversaires politiques, comme mon collègue l'a fait remarquer, ou de réprimer la liberté d'expression et de culte.
Les Iraniens continuent de demander l'égalité des sexes, mais ils ne voient qu'une plus grande dégradation de la situation. Des attaques vicieuses à l'acide contre des femmes ont été perpétrées en toute impunité et une nouvelle loi devrait limiter les heures pendant lesquelles les femmes sont autorisées à travailler, tout en créant une hiérarchie pour la dotation de la fonction publique qui marginaliserait les femmes, en particulier celles qui ne sont pas mariées. D'autres projets de loi habiliteraient les employeurs et les membres des milices religieuses à faire appliquer le code vestimentaire conservateur du gouvernement pour les femmes, éliminer l'utilisation des méthodes de contraception modernes, interdire la stérilisation volontaire et annuler les programmes de planification familiale financés par l'État.
Depuis 2013, les autorités ont interdit l'accès des femmes à 77 domaines d'étude, remettant en cause des acquis durement gagnés. Une autre loi, adoptée malgré les vives objections de la communauté des droits de la personne de l'Iran, légalise le mariage forcé en permettant aux hommes d'épouser des filles à partir de l'âge de neuf ans, à condition qu'elles soient des filles ou des belles-filles adoptées.
Les femmes iraniennes n'ont pas le droit d'assister à des événements sportifs publics et elles font campagne depuis des années contre cette politique discriminatoire. Comme un signe que la pression internationale donne des résultats, les avertissements d'autorités sportives internationales refusant à l'Iran le privilège d'accueillir des événements sportifs ont mené les fonctionnaires à donner des indices d'un changement possible. Ce genre de pression fonctionne.
Dans ce contexte, dans une décision particulièrement mal avisée, le 10 avril, des membres des Nations Unies ont choisi l'Iran pour siéger au Conseil des femmes des Nations Unies, un embarras public par rapport aux efforts d'un organisme qui cherche à faire avancer l'autonomisation des femmes.
Le taux d'exécution extrêmement élevé constitue une deuxième violation de plus en plus flagrante des droits de la personne. L'Iran n'est devancé que par la Chine pour le nombre d'exécutions, et ce n'est pas par habitant, mais en chiffre absolu. Il est le premier pour les exécutions de jeunes. Comparons les chiffres. Comme mon collègue l'a signalé, l'Iran a atteint son niveau le plus élevé depuis 12 ans l'an dernier, avec 753 personnes mises à mort, dont 53 ont été exécutées publiquement et 14 étaient des jeunes. Par comparaison, l'Arabie saoudite, qui n'a pas les meilleurs chiffres en termes d'exécution, a exécuté 90 personnes l'an dernier. Le taux d'exécution est encore plus élevé — apparemment 20 % de plus — pour l'année civile en cours.
L'Iran a au moins 1 150 prisonniers politiques, mais probablement beaucoup plus car de nombreuses familles iraniennes n'osent s'exprimer par crainte des représailles. Certains prisonniers politiques sont maintenus en isolement dans des installations qui ne dépendent pas des autorités pénitentiaires officielles. Les candidats aux élections présidentielles de 2009 et les dirigeants du Mouvement vert sont en résidence surveillée sans inculpation depuis quatre ans. Ce matin encore, Narges Mohammadi, éminente défenseure des droits de la personne, a été arrêtée pour crimes présumés contre la sécurité nationale comme punition de son activisme pacifique pour l'abolition de la peine de mort.
Les médias et l'environnement en ligne de l'Iran sont parmi les plus répressifs du monde. C'est sur cet aspect que se concentrent les travaux de Freedom House. En 2014, sept journaux et magazines ont été fermés et des blogues et des sites Web d'information ont été censurés et filtrés. Au moins 44 journalistes iraniens ont été emprisonnés. Bien entendu, le journaliste du Washington Post, Jason Rezaian, en fait partie. Accusé d'espionnage, il est en prison depuis neuf mois.
Le Conseil conservateur de supervision de la presse de l'Iran a récemment interdit la parution d'un magazine féminin populaire qui avait reçu un nouveau permis du gouvernement Rouhani après des années de répression sous le gouvernement précédent. En quoi consistait la violation? Le magazine publiait des opinions sur la cohabitation d'adultes non mariés et sur l'accès des femmes à des événements sportifs publics. Comment osent-elles?
Parmi les 65 pays que Freedom House étudie dans le rapport Freedom on the New, l'Iran est au bas de la liste. Les autorités imposent des restrictions sur l'accès à l'information en ligne par le contrôle des infrastructures Internet, le filtrage massif des sites Web, une surveillance généralisée et des arrestations systématiques. Les Iraniens n'ont pas accès à des millions de sites Web, dont Facebook et Twitter.
L'automne dernier, la Cour suprême de l'Iran a confirmé la peine de mort de Soheil Arabi, un blogueur de 30 ans, pour avoir affiché sur Facebook un blogue jugé insultant pour les valeurs sacrées de la religion. D'autres contrevenants en ligne ont reçu des condamnations de 7 à 20 ans pour des blogues, pour un site technologique, pour avoir contribué à un site soufi et pour avoir affiché sur Facebook des messages jugés blasphématoires à l'égard du régime.
La liberté religieuse est également continuellement et gravement menacée. Les Bahaïs, les musulmans convertis au christianisme, les Sunnites et les Soufis continuent d'être ciblés et sont emprisonnés par dizaines.
La liberté universitaire est limitée, en particulier pour les Bahaïs et les femmes, mais le président Rouhani a pris quelques mesures positives pour alléger la répression sur les campus universitaires. En 2014, une dizaine d'associations étudiantes ont été autorisées à reprendre leurs travaux après avoir été fermées par la force par l'administration précédente et plusieurs nouveaux groupes ont récemment obtenu une autorisation. Cela dit, une véritable réforme est peu probable car le ministre des Sciences, de la Recherche et de la Technologie, qui avait levé les restrictions, a été destitué par le parlement.
Les syndicats indépendants continuent d'être interdits et ceux qui participent aux protestations sont licenciés ou traînés devant les tribunaux. Au moins 230 personnes ont été arrêtées au cours de manifestations syndicales pacifiques l'an dernier et près de 1 000 personnes ont été licenciées en février 2015 pour avoir participé à des manifestations. Cinq dirigeants syndicaux ont été arrêtés la veille de la Journée internationale des travailleurs.
Malheureusement, il semble que ces répressions vont se poursuivre. Le parlement a introduit un projet de loi qui restreindrait encore la liberté d'expression et d'association des Iraniens tout en permettant aux conservateurs du régime de contrôler l'espace civique et politique du pays en prévision de l'Assemblée des experts et des élections parlementaires l'an prochain. Par ces mesures, les partis politiques, les journalistes et les ONG seraient fermement contrôlés par des commissions et des conseils dominés par les autorités les plus intransigeantes et rendraient illégale toute activité jugée préjudiciable par le régime.
En effet, les élections, qui sont utilisées en Iran pour légitimer la règle théocratique, changent rarement la réalité politique du pays. Elles ne le font que rarement car les institutions non élues — le Guide suprême, le Conseil des gardiens de la révolution et de plus en plus les services judiciaires et de sécurité — ont un droit de veto sur les décisions des institutions élues.
Même si Khamenei veut être perçu comme un guide suprême incontestable, il est en fait le micro gestionnaire d'un réseau en expansion de comités et de conseils et de divers organes et branches du gouvernement. Les personnes désignées par Khamenei contrôlent, supervisent et influencent la politique socioculturelle, étrangère et économique et veillent à ce que l'élaboration des politiques soit conforme aux opinions du dirigeant et qu'aucun centre de pouvoir n'ait davantage influence que lui.
De même, le système électoral est conçu pour veiller à ce que la sélection des candidats et tout le processus électoral se déroulent sous l'autorité du Guide suprême et non du ministère de l'Intérieur. Tous les candidats à de hautes fonctions publiques sont minutieusement vérifiés par le Conseil des gardiens de la révolution en fonction de critères subjectifs et de procédures opaques. Dans les faits, cela veut dire que les fonctionnaires et les candidats politiques doivent répondre avant tout au Guide suprême et accessoirement seulement aux électeurs.
Les Iraniens ont tenté à plusieurs reprises de réaliser des réformes par la voie des urnes et des manifestations pacifiques, mais ce que nous constatons depuis 20 ans montre qu'il sera difficile et coûteux, voire impossible, d'y arriver sans une aide internationale. À cette étape critique, la communauté internationale ne doit pas tourner le dos aux aspirations démocratiques du peuple iranien. Les États qui font affaire avec l'Iran devraient indiquer clairement aux autorités iraniennes que les droits de la personne ne seront pas négligés au profit de la poursuite d'une coopération sur le plan stratégique et de la sécurité.
Le grand défenseur des droits de la personne, Nasrin Sotoudeh, a récemment déclaré, en avril, qu'en ce qui concerne les négociations nucléaires, « Penser que la réalisation d'un consensus international [sur les pourparlers concernant le nucléaire] conduira à elle seule à une ouverture sur le plan intérieur... est une erreur ».
Freedom House est prête à appuyer la résolution parrainée par le Canada à l'Assemblée générale des Nations Unies qui devrait demander instamment au Secrétaire général de prendre de nouvelles mesures pour renforcer l'engagement de son bureau envers l'Iran. Freedom House recommande en particulier que le secrétaire général nomme un conseiller spécial pour l'Iran, comme celui que Kofi Annan a nommé pour la Birmanie en 1995 pour fournir des orientations politiques aux autorités birmanes. Le Rapporteur spécial de l'ONU sur l'Iran aurait ainsi accès au pays et cela permettrait d'autres procédures spéciales de l'ONU, tout en faisant pression pour une totale coopération du gouvernement iranien avec le Haut-Commissariat aux droits de l'homme.
Voici d'autres recommandations.
Nous espérons que le Canada collaborera avec les États-Unis et la Suède au Conseil des droits de l'homme, en mars prochain, pour en venir à une résolution plus ferme que celle qui a été adoptée en 2011 sur la situation des droits de la personne en Iran.
Le mandat du rapporteur spécial doit avoir plus de poids. L'accès du rapporteur à l'Iran devrait être une priorité de la diplomatie internationale, et les pays qui comptent un grand nombre de réfugiés iraniens devraient permettre au rapporteur d'accéder à leur territoire.
Enfin, je tiens à souligner que les auteurs iraniens de violations des droits de la personne devraient être tenus responsables en imposant des sanctions ciblées. Même si les sanctions globales sont levées dans le cadre des négociations sur les capacités nucléaires, les sanctions ciblées permettraient d'exercer une pression et de stigmatiser les auteurs des violations de la dignité fondamentale des hommes et des femmes en Iran. Nous espérons que le Canada se joindra aux États-Unis et à l'Union européenne dans l'application d'un gel des avoirs et d'une interdiction de visa pour les dirigeants iraniens responsables d'exactions.
Pour terminer, la situation des droits de la personne en Iran est catastrophique. Le Canada a été un chef de file en attirant l'attention sur ce point. Votre semaine annuelle de la responsabilisation fait partie de cet effort. Les pays qui respectent les droits de la personne, du Nord comme du Sud, doivent montrer leur solidarité avec les Iraniens ordinaires soumis à la répression du gouvernement. L'attention accordée aux négociations et aux accords nucléaires ne justifie pas de fermer les yeux sur les graves violations des droits de la personne.
Merci beaucoup.