Merci beaucoup monsieur.
Je vous remercie de votre aimable invitation et de m'avoir donné l'occasion de présenter au comité mon analyse de la situation des droits de la personne en Iran.
Près de deux ans se sont écoulés depuis le début de la présidence de Hassan Rouhani et des négociations nucléaires entre l'Iran et l'Occident, mais malheureusement, la situation des droits de la personne en Iran ne fait que se détériorer. Même si cela peut paraître paradoxal et qu'on aurait plutôt tendance à s'attendre à une amélioration dans la foulée des négociations, nous assistons à tout le contraire.
Dans mon exposé d'aujourd'hui, je voudrais expliquer pourquoi j'estime qu'il en est ainsi et parler des incidents qui ont aggravé la situation des droits de la personne au lieu de l'améliorer par rapport à la période précédant l’arrivée au pouvoir de Rouhani et le début des négociations.
Pour vous donner une analyse vraiment succincte, ces négociations sont perçues à Téhéran comme un signe de faiblesse. Même si les concessions au groupe P5+1 nous paraissent plutôt minimes, elles comptent pour Téhéran et constituent un signe de faiblesse du régime aux yeux des Iraniens. Cette faiblesse perçue pousse le régime à accroître la répression en redoublant de brutalité, en guise de compensation.
Téhéran a entamé les négociations nucléaires avec le groupe P5+1 dans une position désavantageuse. Le régime de sanctions internationales, ainsi que huit années de mauvaise gestion sous l’ancien président Ahmadinejad, ont nui à l’économie et le pays était au bord de la faillite. Rouhani a posé sa candidature à l’élection présidentielle en promettant d’améliorer l’économie iranienne, ce qui lui a valu d'être élu par le peuple iranien. Et comme le guide suprême Ali Khamenei comprenait le déplorable état de l'économie, il a respecté les résultats des élections et permis à M. Rouhani d'accéder à la présidence.
Bien entendu, tous les Iraniens ont compris que c'était la situation économique déplorable qui avait obligé le régime à accepter et à respecter le vote populaire. Le peuple iranien a compris encore plus clairement que l'Iran était en position de faiblesse lorsque de nombreux fonctionnaires du gouvernement Rouhani, après avoir consulté les livres comptables et étudié l'état de l'économie, ont découvert et admis publiquement que la situation héritée de M. Ahmadinejad était encore pire que prévu.
C’est dans ces conditions désastreuses que le 17 septembre 2013, le guide suprême Ali Khamenei a officiellement appuyé la diplomatie nucléaire de Rouhani en appelant à la « souplesse héroïque ». Toutefois, cette « souplesse héroïque » n’a été employée que pour traiter avec un ennemi de taille, les États-Unis. Dans ses relations avec le public iranien et l'opposition, le régime n'a pas fait preuve de souplesse, héroïque ou autre.
Si nous nous penchons sur le nombre d'exécutions qui ont eu lieu en Iran, et je crois que plusieurs de nos collègues ici présents ont peut-être des chiffres plus à jour, en 2014, il y en a eu au moins 753, dont 53 exécutions publiques. Il s’agit du nombre le plus élevé de ces 12 dernières années. En comparaison, 580 exécutions ont eu lieu en 2012 et 687 en 2013. La plupart des exécutions étaient liées aux drogues ou aux homicides, mais nous sommes persuadés que les exécutions publiques constituaient des démonstrations de force et de pouvoir de la part du gouvernement central. Tout cela se passe sous la présidence de M. Rouhani.
C'est également sous sa présidence que la République islamique a poursuivi sa pratique de détention arbitraire des dissidents politiques. Parmi les exemples les plus éloquents se trouvent Mehdi Karroubi et Mir-Hossein Mousavi, dirigeants du Mouvement vert prodémocratique iranien, qui sont toujours assignés à résidence. M. Rouhani n'a rien fait pour secourir ces personnes très respectées.
Ali Motahari, un parlementaire qui a profité de sa tribune pour demander leur libération, a été sauvagement battu le mois dernier par des groupes de justiciers proches de l’organisation paramilitaire Basij. Motahari et son chauffeur ont cherché refuge dans un poste de police local, mais les agents se sont contentés de regarder pendant que la foule s'acharnait contre M. Motahari.
Le régime est tout aussi répressif envers la presse iranienne. Selon Motahari — ce même parlementaire remarquable qui d'ailleurs n'est pas pro-Occident ni même en faveur d'une démocratie de style occidental, mais qui critique la situation en Iran — il règne un climat de peur parmi les journalistes, qui s’autocensurent beaucoup plus que par le passé. Cela n’est guère surprenant quand on sait que 13 journalistes et blogueurs ont été détenus au cours de la dernière année, ce qui porte leur total à 30.
Parmi les journalistes emprisonnés se trouvent Seraj al-Din Miramadi, parent éloigné du guide suprême Khamenei, Ali-Asghar Qavari, du journal réformiste Bahar, et Jason Rezaian, du Washington Post, bien entendu, qui a faussement été accusé d'être un espion étranger par l'organisation des Gardiens de révolution.
Il y a beaucoup d'autres journalistes. Arya Jafari et quatre autres journalistes de l’Agence de nouvelles des étudiants iraniens ont été arrêtés en octobre dernier pour avoir couvert les protestations publiques contre une vague d’attaques à l’acide envers des femmes dans la ville d'Ispahan. Bien que Jafari ait été relâché depuis, le sort de ses collègues de l’agence demeure incertain.
Parmi les autres journalistes et blogueurs moins connus qui ont été emprisonnés, mentionnons Sajedeh Arabsorkhi, fille d'un militant des droits civils, mais qui était inconnue jusqu'à ce qu'elle commence ses activités et soit arrêtée, ainsi que Zahra Ka’bi, Hamid Hekmati et de nombreux jeunes iraniens qui utilisent la blogosphère en farsi pour exprimer leur mécontentement à l’égard du régime.
Les journaux ne sont pas en meilleure posture. Le quotidien réformiste Roozan a fermé en décembre 2014 après avoir commémoré l’anniversaire du décès du grand ayatollah Hossein-Ali Montazeri, qui critiquait les violations des droits de la personne en Iran. C'est en fait la raison pour laquelle il avait perdu sa place dans la structure du pouvoir de la République islamique. L’hebdomadaire Setareh Sobh a fermé en janvier dernier après avoir demandé le procès équitable des chefs de l’opposition assignés à résidence, tandis qu’un autre journal a fermé en janvier pour avoir publié une photo de l’acteur George Clooney arborant une épinglette en l’honneur du magazine satirique Charlie Hebdo.
La répression des travailleurs et militants syndicaux iraniens est également préoccupante. Huit militants syndicaux sont actuellement en prison pour avoir tenté d’organiser des grèves de protestation contre les salaires insuffisants. De nombreux autres se trouvent dans un flou juridique en attendant le jugement du Tribunal révolutionnaire de la République islamique. Encore la semaine dernière, juste avant la fête du Travail du 1er mai, deux autres militants syndicaux ont été arrêtés.
Toutefois, ce sont mes compatriotes disciples de la foi bahaïe qui sont soumis aux pires répressions. Cent d'entre eux sont actuellement en prison. Téhéran considère la foi bahaïe comme un affront théologique direct et une menace pour les fondements du régime. Chaque fois que j'entends le ministre des Affaires étrangères de l'Iran, M. Javad Zarif, affirmer qu'il n'y a pas de prisonniers politiques, il me semble qu'il faudrait lui demander s'il estime que les disciples de la foi bahaïe sont autre chose que des prisonniers politiques. La même chose s'applique, bien entendu, aux musulmans convertis au christianisme, aux disciples du mysticisme islamique et à des interprétations plus libérales de l'Islam, au soufisme. Cet aspect n'a fait que s'aggraver pendant la présidence de M. Rouhani.
De nombreuses arrestations de militants des droits ethniques, particulièrement au Kurdistan et dans la région du Balochistan, sont également signalées. Nous pourrons en parler plus longuement pendant la période des questions.
Qui sont donc les agents de la répression? Il s'agit en fait du Corps des Gardiens de la révolution islamique et de l’organisation paramilitaire Basij, le volet jeunesse qui relève des Gardiens de la révolution, d'une part, et du ministère du Renseignement et de la Sécurité de l’Iran et du Tribunal révolutionnaire, d'autre part. Les champs de responsabilité se recoupent entre ces différentes organisations, créant une rivalité permanente entre elles. Il arrive parfois qu'une personne arrêtée puis relâchée par une agence de sécurité soit arrêtée de nouveau par une agence rivale. Malheureusement, le président Rouhani ne montre pas le moindre intérêt pour intervenir et contrôler ces institutions.
M. Rouhani a malgré tout pris de rares mesures — et c'est la dernière chose dont je vais parler pour l'instant — en demandant notamment à la police de ne pas participer à la défense de la morale religieuse dans la rue. La police ne devrait donc s'occuper que du maintien de la paix et non de religion ou d'application de la charia, mais il ne fait rien pour empêcher les Gardiens de la révolution, les milices Basij et de nombreux autres groupes, dont les groupes de justiciers, de s'exprimer sur la bonne manière de pratiquer l'islam.
Enfin, permettez-moi de vous remercier de m’avoir donné l’occasion de témoigner de l’état des droits de la personne en Iran, une question qui a malheureusement été éclipsée par les négociations nucléaires, mais je suis persuadé et j'espère bien sincèrement que votre comité saura redonner sa place à la question des droits de la personne.
Merci.