Je suis heureux d'être un bon voisin et de discuter de la pratique canadienne, même si je ne suis pas expert en la matière.
Je commencerai par dire qu'en matière de budget, une bonne pratique n'est pas nécessairement une condition préalable à de bons résultats. Mon propre pays, les États-Unis, en est un exemple. Nous avons peut-être l'organisation budgétaire et législative la plus largement respectée au sein du Congrès et nous avons aussi les plus grands déficits du monde.
Sans vouloir lier les deux, il arrive souvent que la réforme budgétaire soit un substitut de politique. Or elle ne devrait jamais l'être. À la fin de mon exposé, je reviendrai sur la question de l'aide parlementaire ou de l'aide que l'on apporte à la préparation du budget parlementaire.
Je tiens à mentionner que tout ce qui a trait à un budget touche le cadre constitutionnel d'un pays — le rapport qui lie le gouvernement au Parlement, les parties au gouvernement, le système électoral. Il convient donc d'être prudent lorsque l'on importe d'un autre pays des pratiques qui pourraient ne pas convenir au sien. Cela est particulièrement vrai dans le cas du système de Westminster, dont fait partie le Canada, qui est à l'autre extrême du système du Congrès américain. Il faut donc faire attention de ne pas échanger des techniques qui pourraient s'avérer mal adaptées à un pays donné.
Cela dit, de mon point de vue d'observateur, le processus budgétaire canadien comporte quelques éléments qui méritent, je crois, qu'on s'y attarde. Le plus frappant d'entre eux est probablement l'écart qu'il y a entre le budget et le Budget principal des dépenses.
En fait, je suis un peu surpris de constater que ce que vous appelez le Budget principal des dépenses ne serait pas considéré comme tel par des dirigeants politiques. Le Budget principal des dépenses devrait être un énoncé de politique, si tant est qu'il s'agit d'un budget principal. Or il concerne davantage le travail du gouvernement qui se poursuit au quotidien que les changements apportés aux recettes ou aux politiques.
La question du calendrier est bien connue au Canada, à savoir que le Budget principal des dépenses précède, je crois, le dépôt du budget. En conséquence, le Budget supplémentaire des dépenses doit être déposé ultérieurement afin d'intégrer les changements de politiques recommandés par le gouvernement.
Il serait logique, et facile d'ailleurs, pour le gouvernement de modifier le calendrier afin de coordonner, voire de consolider, les prévisions budgétaires et le budget. En fait, le Royaume-Uni faisait à un moment donné une distinction entre le processus des prévisions budgétaires, qu'il appelait le « processus des dépenses » et le budget dont nous parlons, en particulier celui des recettes dans le cas du Royaume-Uni. Il figure désormais sur la même page. C'est une mesure que votre pays aurait intérêt à envisager.
Ce faisant, je ferai valoir que le fait d'avoir un processus divisé, par lequel les prévisions sont publiées à un autre moment que le budget, vous permet de restructurer l'ensemble du processus budgétaire. Je vous exhorterais donc, non seulement à les prévoir en même temps, mais à envisager que les deux séries différentes de mesures surviennent à des moments différents. La Suède est l'un des pays à avoir adopté avec succès la procédure qui consiste à diviser le processus budgétaire parlementaire en deux étapes distinctes, celle du cadre suivie bien après de celle des prévisions.
Le cadre relève de la politique, de la stratégie, des changements apportés aux recettes et aux programmes, des changements majeurs apportés aux prévisions et, le facteur le plus important de tous, de la prise en compte de l'environnement macro-économique, non seulement pour l'année correspondante aux prévisions, mais pour les trois à cinq ans à venir.
Si vous combinez stratégie et prévisions budgétaires, tableau d'ensemble et détail, il est fort à parier que l'un des deux, voire les deux, sera négligé. Le plus souvent, ce sont la stratégie et les politiques qui sont subordonnées aux détails du budget.
Des pays ont donc adopté un processus divisé par lequel, dans une première étape que j'appelle le cadre, ils ne s'intéressent pas au détail des prévisions budgétaires, mais plutôt à l'environnement économique, aux projections à moyen terme, aux grands changements de politiques du gouvernement, surtout par rapport au déficit, à la dette et à d'autres variables budgétaires clés.
Si les détails des dépenses ne sont pas publiés au cours de cette première étape du cadre, le gouvernement communique quand même, pour utiliser l'expression canadienne célèbre ou tristement célèbre, d'« enveloppe des dépenses » que l'on pourra utiliser pendant l'étape des prévisions — en d'autres termes, le montant des dépenses totales qui est ensuite divisé par secteur ou champ de politiques clé.
C'est là la première étape qui, dans certains pays, fait en fait l'objet d'un vote par le Parlement; dans d'autres, on se contente d'en discuter. Cette étape est présentée par le gouvernement et, en fonction du rôle que joue la législature, le Parlement en accuse réception ou en convient. Les ministères préparent ensuite leur budget conformément au cadre voté ou déposé.
Cela mène à la seconde étape, qui traite des prévisions et de l'affectation des dépenses autorisées. Selon la règle qui s'applique en l'occurrence, les prévisions doivent être conformes de deux façons au cadre qui a été précédemment établi. Premièrement, les détails des dépenses ne peuvent dépasser le montant total des crédits votés selon le cadre. Deuxièmement, les prévisions budgétaires doivent tenir compte des initiatives ou changements de politiques adoptés par le gouvernement.
Cette façon de procéder est très différente de celle qu'utilise actuellement Ottawa, mais elle est toutefois conforme à un système divisé et amène le Parlement à se pencher à deux moments différents de l'année sur les questions budgétaires. En un premier temps, il s'occupe de la stratégie et du tableau d'ensemble et, dans un deuxième temps, des détails des dépenses.
De mon point de vue d'observateur, il y a un autre aspect de la pratique canadienne qui était autrefois très courant dans le monde et qui persiste aujourd'hui encore dans de nombreux pays en développement, mais qui a pratiquement disparu dans d'autres pays avancés tels que le Canada. Je veux parler de la distinction que l'on fait entre les dépenses de fonctionnement et celles d'immobilisations. À une certaine époque, il était très courant dans le monde d'avoir deux budgets distincts; l'un pour les investissements du gouvernement et l'autre, pour les dépenses de fonctionnement courantes ou répétées.
Cette distinction a pour fondement historique que les deux séries de dépenses avaient des sources de financement différentes; l'une, les recettes courantes; l'autre, les emprunts. Une sorte de règle d'or voulait que le gouvernement ne puisse emprunter que pour financer les investissements. Et pour faire en sorte que cette règle soit respectée, on avait créé deux catégories, l'une pour le budget et l'autre pour les dépenses. Deux raisons principales expliquent la disparition de cette pratique dans les pays développés.
La première raison en est que dans la mesure où le gouvernement se soucie de sa position budgétaire, des principaux sous-ensembles — total des recettes, total des dépenses et total de la dette et du déficit —, il faut un relevé consolidé qui ne fasse pas de distinction entre les dépenses d'immobilisations et celles de fonctionnement.
La seconde raison en est que souvent, on ne fait pas de distinction entre les dépenses d'immobilisation et celles de fonctionnement parce qu'elles sont interchangeables, ce qui est le cas dans de très nombreux domaines des politiques gouvernementales. On peut ainsi concrétiser une politique par l'investissement — par exemple, en construisant des cliniques dans des régions rurales. Par contre, le gouvernement peut poursuivre le même but d'améliorer les services de santé dans les régions rurales en offrant des subventions aux médecins afin de les y attirer. Dans le premier cas de figure, il s'agit d'une dépense d'immobilisations; dans l'autre, d'une dépense de fonctionnement.
Plus vous privilégiez une option, par exemple la construction de cliniques, et moins vous aurez besoin de l'autre, et vice versa. Par conséquent, si vous voulez avoir une analyse solide des options stratégiques du gouvernement et des liens qu'il y a entre elles, il devient logique de fusionner les deux types de budget, sans oublier les données dont il faut disposer par rapport aux investissements.
Cela n'implique pas de retirer du budget les informations sur les investissements et les immobilisations, qui en constituent un chapitre. Reste à savoir ce que ce chapitre devrait être. Comment le cadre devrait-il être classé pour qu'y figurent à la fois les investissements et les dépenses de fonctionnement?
S'offrent alors deux grandes options, dont l'une est largement pratiquée et l'autre, largement recommandée. La première consiste en un classement par unité organisationnelle. Dans la mesure où une organisation assume à la fois les coûts de fonctionnement et ceux d'immobilisations, les deux coûts devraient être combinés dans son budget.
L'autre solution est ce que nous appelons un budget ou une structure de programme. Si les dépenses de fonctionnement et d'immobilisations contribuent au même objectif, elles devraient être inscrites dans le même programme, quel que soit l'endroit où se situe l'organisation. En d'autres termes, un budget de programme ne tiendra pas compte, dans certains cas, des limites organisationnelles ou ministérielles. La raison pour laquelle cette approche est hautement recommandée, mais rarement adoptée, est que le gouvernement souhaite, en plus d'élaborer de solides politiques qui exigent que les dépenses d'immobilisations et de fonctionnement contribuent au même objectif… Le gouvernement vise un autre but dans la gestion de ses finances, à savoir la responsabilisation.
Dans presque tous les cas, la responsabilisation suppose que l'organisation qui a procédé à la dépense ou mené l'activité qui en a fait l'objet puisse en rendre compte. C'est une pratique profondément ancrée dans la tradition de Westminster et à laquelle il pourrait être très difficile de renoncer.
Cette façon de procéder est appelée dans de nombreux pays budget de programme, mais le programme n'est qu'un simple écran à une instance organisationnelle. Un exemple qui me vient spontanément à l'esprit est celui d'un bureau des ressources en eau, qui est une unité organisationnelle, mais que l'on désignerait au lieu de cela comme programme de la qualité de l'eau. Les limites du programme et celles du bureau sont identiques et ce que vous avez désigné comme budget de programme n'est en réalité qu'un budget administratif et organisationnel.
Quelle que soit la solution que vous adoptez, vous auriez intérêt à réexaminer le lien qu'il y a entre le budget de fonctionnement et le budget d'immobilisations.
Cela m'amène au troisième point que je souhaite aborder, qui est celui du rôle du Parlement et, facteur encore plus important, de la façon dont on devrait aider celui-ci à jouer ce rôle de façon responsable et informée.
On constate aujourd'hui dans le monde, pas dans tous les pays cependant et encore moins dans ceux qui sont régis par le système de Westminster, u ne fausse tendance à élargir les capacités du Parlement à revoir et même à modifier le budget du gouvernement. Rappelez-vous ce que je vous ai dit au début de l'exposé, à savoir que la marge de manoeuvre qu'on laisse au Parlement pour modifier le budget participe d'un enjeu constitutionnel.
Dans de plus en plus de pays qui ne sont pas régis par le système de Westminster, on constate un large accroissement des amendements déposés au Parlement, aboutissant à l'adoption de certains sous-amendements. Mais la plupart des amendements sont spécifiques et détaillés, et s'inscrivent dans l'enveloppe budgétaire du gouvernement. C'est là un point très important.
Un pays qui élargit les pouvoirs discrétionnaires du Parlement sur le budget doit impérativement soumettre ce dernier à certaines contraintes. En effet, un Parlement qui pourrait mener une action sans limite sur le budget pourrait mettre en péril les finances du pays.
Je n'ai pas l'impression que le Canada se dirige dans cette voie et qu'il va d'ailleurs rompre de façon fondamentale avec la tradition de Westminster. Il s'agit donc plutôt pour lui d'informer le Parlement plutôt que de lui donner d'autres pouvoirs qui lui permettraient d'apporter des changements significatifs au budget du gouvernement. Informer le Parlement signifie que celui-ci demande des comptes au gouvernement en débattant sans entrave des options contenues dans le budget, des prévisions budgétaires déposées, des hypothèses économiques et programmatiques qui les sous-tendent et de la viabilité à long terme de la position du gouvernement. Tout cela est clairement conforme au rôle que joue votre comité.
Dans vos remarques liminaires, monsieur le président, vous avez indiqué en fait que vous étiez député de l'opposition. Cela m'a rappelé le rôle historique que jouent depuis plus d'un siècle et peut-être même deux les comités des comptes publics pour demander des comptes au gouvernement, à savoir que c'est l'opposition qui présiderait ce comité, que ce dernier fonctionnerait de façon non partisane et entendrait les témoignages du gouvernement.
Peut-être que ce système est suffisant et il a certainement perduré bien longtemps. Mais moi qui vis à des centaines de kilomètres d'Ottawa, je me dis que si le Canada a créé il y a de cela des années un poste de directeur parlementaire du budget, c'est qu'il n'était pas sûr que le seul fait d'avoir un comité présidé par l'opposition soit suffisant pour demander des comptes au gouvernement et permettre un débat informé. Si cela avait été suffisant, on n'aurait pas ressenti le besoin de créer un tel poste.
Ce faisant, le Canada a suivi une pratique largement répandue dans le monde et qui consiste à créer au Parlement des postes lui permettant de mieux assumer ses fonctions liées au budget. Il faut remarquer toutefois que, dans la plupart des pays, ces postes sont créés au sein de comités pour étudier les prévisions budgétaires, proposer des options et contester, le cas échéant, les hypothèses avancées. Comme il s'agit de postes créés au sein de comités, leur action est peu visible et est assujettie au processus des comités en vigueur au Parlement.
Dans un nombre restreint de pays, dont les États-Unis, le Mexique et la Corée, on ne s'est pas servi de la structure des comités comme moyen principal d'améliorer le travail budgétaire du Parlement. On a préféré créer pour ce faire un organisme distinct et indépendant. C'est le cas en Grande-Bretagne où cet organisme n'est pas officiellement rattaché au Parlement, mais conseille ce dernier.
Cet organisme a souvent pour mandat d'examiner les prévisions budgétaires pour voir si elles sont fiables. Le travail budgétaire clé que l'on mène aujourd'hui dans le monde ne consiste pas simplement à déterminer s'il faut dépenser l'argent, mais à vérifier si les hypothèses sous-jacentes à ces prévisions sont solides et fiables.
Et n'oublions pas ce que sont ces hypothèses. Si la table qui est là-bas représente la ligne de flottaison, tout ce qui est au-dessus représente le budget et les prévisions. Ils sont ouverts et transparents. Ils peuvent être étudiés et publiés. Tout ce qui est au-dessous représente les hypothèses. Les hypothèses ne sont pas transparentes. Elles ne sont pas visibles. Mais les chiffres que l'on voit au-dessus de la table dépendent des hypothèses qui se trouvent au-dessous et qui sont très peu éclairées. Et c'est là qu'intervient la difficile tâche — et peut-être la tâche la plus importante d'un Parlement d'aujourd'hui — lorsqu'il s'occupe du budget.
Quant aux recettes, elles dépendent de différents facteurs et sont fonction du rendement économique du gouvernement. Or, ce rendement ne peut être connu d'avance et n'est fondé que sur des hypothèses, sur lesquelles doit se pencher le Parlement.
Et qu'en est-il de la viabilité à long terme du budget? La réponse à cette question est critique pour la marche à suivre et la santé budgétaire et économique de votre pays. Mais cette réponse repose sur une foule d'hypothèses.
Et qu'arrive-t-il lorsque le gouvernement adopte un changement d'orientation? On veut en connaître les conséquences à moyen terme sur le budget. En effet, un changement n'entraîne que des coûts modestes la première année, mais qui peuvent s'accélérer par la suite. Le gouvernement a-t-il communiqué tout ce qu'il savait à ce sujet? Utilise-t-il des estimations fiables?
L'une des raisons pour lesquelles les hypothèses gisent au-dessous de la ligne de flottaison, au-dessous de la table, est que la lumière ne leur convient pas. Très souvent, les hypothèses… Comment les décrire? Les a-t-on établies à la va-vite? Sur la base de devinettes? Elles sont quelquefois le résultat de manipulations politiques, et même si elles ne le sont pas, la meilleure réaction que l'on peut avoir à leur sujet est de prendre une différente série d'hypothèses, de les soumettre à une analyse critique et de les mettre à l'épreuve pour voir si elles tiennent la route.
Le Parlement peut tirer profit d'un tel exercice et je conseillerais vivement au comité de l'envisager, que ce soit dans le cadre des fonctions assumées par le directeur parlementaire du budget, ou dans un cadre plus large — je ne connais pas suffisamment bien la situation pour être plus précis.
Mais vous avez déjà une organisation en place, celle du directeur parlementaire du budget, qui est très réputée à l'étranger et que vous pourriez avoir intérêt à étoffer. Je crois savoir qu'elle collabore étroitement avec les comités et que ce n'est donc pas une organisation laissée à elle-même. C'est quelque chose que votre comité pourrait envisager.
Voilà les commentaires que j'avais à faire. Je serai heureux de répondre à vos questions ou d'aborder d'autres sujets sur lesquels je pourrais vous être utile.
Merci.