Merci beaucoup, monsieur le président.
Chers membres du comité, je suis effectivement ravi d'être de retour à Ottawa, de comparaître de nouveau devant le comité et de voir autant de visages familiers, ainsi que certains nouveaux visages, parmi les membres du comité. Je voudrais me joindre à mes collègues pour vous féliciter d'avoir entrepris l'étude.
J'imagine que, chaque fois que vous tenez des audiences, un témoin dit qu'il s'agit du problème le plus important auquel le Canada fait face aujourd'hui. Eh bien, selon moi, il s'agit de l'un des cas où les données empiriques — les données sur le commerce, les chiffres, notre histoire commune, le nombre de gens qui circulent entre les pays, les données tout simplement — confirment vraiment l'importance du sujet que vous étudiez; pourtant, il est souvent négligé au Canada. C'est souvent ce qui est le plus près de nous, ce à quoi on accède le plus facilement, qu'on néglige, et ce soupçon de complaisance est l'un des thèmes sous-jacents, selon moi, des relations Canada-Amérique du Nord, Canada-États-Unis et Canada-Mexique.
Il ne s'agit pas d'une critique à l'égard des hommes et des femmes qui travaillent aux affaires étrangères ou des gens qui siègent aux comités et qui sont membres des groupes qui travaillent d'arrache-pied sur la relation. C'est un commentaire au sujet du contexte général de la relation et des dangers liés à notre succès, au fait de nous assurer du travail qui doit être effectué pour maintenir les avantages dont nous jouissons en Amérique du Nord.
Par conséquent, je félicite le comité. Sur ce, je vais commencer mon témoignage.
Vous remarquerez que j'ai retenu la leçon la plus importante au sujet des témoignages devant des comités parlementaires: apportez votre café. Je ne suis jamais certain si le café ici provient du libre-échange ou non; c'est le problème.
Ce que je voudrais faire aujourd'hui, c'est vous en dire un peu plus au sujet de ce que vous avez entendu de la part de mes deux distingués collègues.
Mon expérience du travail sur les relations Canada-États-Unis, Canada-Mexique et Canada-Amérique du Nord remonte à plus d'une décennie, mais le point de vue unique que je peux ajouter à cette conversation consiste à l'ancrer dans la perspective régionale ainsi qu'à parler de l'importance de la troisième patte oubliée du tabouret en Amérique du Nord: le Mexique et la relation Canada-Mexique.
J'ai dirigé un groupe de travail binational Canada-Mexique avec la Fondation canadienne pour les Amériques et le Conseil mexicain des relations internationales. Certaines des recommandations — pas des recommandations, je ne devrais pas être aussi ambitieux —, mais certaines des suggestions et des idées que je formulerai à la fin de l'exposé sont issues de ce travail antérieur.
Ce que je voudrais faire aujourd'hui, c'est parler un peu de l'importance de la relation Canada-Mexique du point de vue régional et au sujet de notre situation, pourquoi nous en sommes arrivés là, et comment cela a entraîné le besoin d'un nouveau cadre pour réfléchir à ce qui est possible en Amérique du Nord, puis donner des idées précises pour améliorer la relation en vue du SLNA — ou Sommet des leaders nord-américains — en particulier, puis du Sommet des leaders nord-américains de 2017. Je pense que nous devons vraiment commencer à travailler maintenant afin de nous préparer à la prochaine possibilité pour nous de travailler sur l'Amérique du Nord, et ce sera en 2017.
Tout d'abord, concernant le point de vue régional, d'après les voyages que j'ai faits dans tout l'ouest du Canada, je peux vous dire sans craindre de me tromper qu'on est de plus en plus conscient ou qu'on prend de nouveau conscience de l'importance de l'Amérique du Nord. Cela est en partie dû à notre sensibilisation de l'autre côté du Pacifique, en Asie. Il ne fait aucun doute pour quiconque dans l'ouest du Canada que l'Asie — la Chine, l'Inde, le Japon, la Corée — possède des marchés énormément importants. Celui du Japon l'est depuis un certain temps, mais, comme nous faisons de plus en plus affaire sur ces marchés qui sont plus distants et plus difficiles, cela nous rappelle ce que nous avons juste ici, de ce côté-ci du Pacifique.
Nous avons un accès privilégié au marché le plus gras, le plus riche et le plus facile au monde, soit les États-Unis. Le marché du Mexique est maintenant majoritairement un marché de la classe moyenne, où cette classe s'accroît et dont l'économie devrait devenir la neuvième en importance dans le monde d'ici 2030 et sixième en importance d'ici 2050. Nous bénéficions d'énormes avantages dont nous devons vraiment prendre soin de ce côté-ci du Pacifique.
Dans l'Ouest, on a l'impression d'avoir besoin d'accorder une attention et une considération sérieuses à la défense de notre part du marché aux États-Unis et d'y affecter des ressources ainsi que de songer à acquérir une part du marché du Mexique, à mesure que les perspectives s'accroissent dans ce pays. En ce qui concerne l'Ouest, pour les secteurs du blé, des légumineuses et du canola, même pour des entreprises comme Palliser Furniture, il y a des perspectives au Mexique, et, dans l'Ouest, nous avons l'impression que nous pouvons croître à mesure que le Mexique croît.
La devise de la Canada West Foundation, c'est un Ouest fort dans un Canada fort, et je pense que, à présent, nous avons atteint le point où nous pouvons ajouter un Canada fort dans une Amérique du Nord forte comme étant la clé de notre prospérité dans l'avenir.
Encore une fois, je voudrais tout simplement souligner que, pour chaque province de l'Ouest, plus de la moitié des exportations sont destinées à l'Amérique du Nord. C'est manifestement le cas pour l'Alberta et le Manitoba, mais ça l'est également aujourd'hui même en Colombie-Britannique, que nous voyons comme une province qui dépend plus fortement du commerce avec la Chine. Quoi qu'il en soit, la moitié des exportations de la Colombie-Britannique sont destinées à l'Amérique du Nord, alors le marché est très important.
En outre, on s'inquiète de plus en plus au sujet de l'Amérique du Nord et de notre situation, dans l'Ouest, par rapport à l'Amérique. Il ne fait aucun doute que, si on lit les journaux, tous les analystes travaillant en Amérique du Nord s'entendent presque à l'unanimité pour dire que la relation ne va pas bien, et, même si cette situation n'a pas commencé à avoir de répercussions sur notre relation avec le Mexique, elle en a sur la relation avec les États-Unis. Il y a des sources d'irritation relativement aux produits qui traversent la frontière, en ce qui a trait à l'impact de 1 milliard de dollars par année pour notre industrie du boeuf, qui suscite vraiment des inquiétudes chez les grands éleveurs de l'Ouest quant à la capacité d'accéder à ce marché qui est très important, alors que nous luttons pour percer des marchés qui sont, encore une fois, bien plus difficiles, comme celui de la Corée et d'autres marchés en Asie. Nous devons vraiment nous assurer que nous avons accès à l'Amérique du Nord, marché qui a si bien contribué à notre prospérité dans le passé.
Encore une fois, il y a trop à dire à ce sujet, mais je soulignerais seulement que les enjeux — et les problèmes, je dirais — liés à l'Amérique du Nord ont commencé il y a environ sept ans en raison de la nouvelle administration, à Washington D.C. Plusieurs d'entre nous étaient préoccupés par le manque d'attention et l'absence de préoccupation de l'administration Obama à l'égard de l'Amérique du Nord, plus particulièrement le peu de cas qu'elle faisait de la relation spéciale avec le Canada. Il faudrait que ce soit le sujet d'une autre séance du comité, afin que nous puissions l'étudier plus en détail, mais, d'après mon expérience personnelle, après avoir été à Washington et avoir parlé avec des conseillers en politique étrangère dans des salles où aucun Américain ne se trouvait, aucun journaliste, seulement des chefs d'entreprise latino-américains, nous entendions à maintes et maintes reprises les mêmes sentiments qu'on voit les gens exprimer sur YouTube de nos jours au sujet de l'Amérique du Nord, des relations en Amérique du Nord et au sujet de l'ALENA... par l'administration Obama.
Je dirais que cette administration a efficacement tué l'idée d'une grande vision pour l'Amérique du Nord. C'est imputable non seulement à cette administration, mais également à l'opposition continuelle à l'ALENA. Si on veut tenter de tuer un accord commercial avec les États-Unis, comme le partenariat transatlantique de commerce et d'investissement, l'accord entre les États-Unis et l'Union européenne, la meilleure façon de le faire n'est pas simplement de l'associer à l'ALENA, mais de le faire rimer avec « ALENA », alors au lieu d'appeler l'accord « TTIP », ses opposants à Washington l'appellent « TAFTA ».
Cette anecdote vous dit ce que vous devez savoir au sujet des grandes ambitions pour l'Amérique du Nord. Au contraire, nous sommes arrivés à une époque où je dirais que nous adoptons une approche méthodique. Il nous faut un travail sur l'Amérique du Nord qui va au-delà de la gestion quotidienne de la relation, sur laquelle les gens du MAECD font un travail admirable, qui va jusqu'à l'enjeu du jour, l'enjeu de la semaine: garder le Conseil Canada-États-Unis de coopération en matière de réglementation en vie; voilà, à mon avis, probablement le seul et unique grand enjeu pour l'ouest du Canada après, bien entendu, les pipelines.
J'avancerais que le conseil de coopération en matière de réglementation se classerait comme le plus important enjeu dans l'ouest du Canada. Lorsque je parlais aux représentants des gouvernements provinciaux avant de partir, on m'a demandé d'insister là-dessus devant le comité.
À une époque où on adopte une approche méthodique, que pouvons-nous faire? Eh bien, il y a plusieurs idées.
La première est une question qui me concerne particulièrement; il s'agit de notre capacité en Amérique du Nord. Colin l'a mentionnée brièvement en parlant des consuls honoraires, mais la vérité, c'est que, la dernière fois que j'ai témoigné au Congrès mexicain, à la séance conjointe du Sénat et de la Chambre, on a invité un Canadien; pourtant, on a été en mesure de produire trois Mexicains spécialistes du Canada, qui travaillent dans des institutions — pas des universités, mais des institutions de politique publique — où ils reçoivent des ressources et des fonds afin de travailler sur le Canada.
Aux États-Unis, des centres sont dotés d'experts sur le Canada. Mais, au Canada, si on veut trouver un expert sur la politique Canada-États-Unis ou sur la politique Canada-Mexique, une personne qui n'est pas un diplomate à la retraite, qui travaille à temps plein et qui reçoit un financement, comme Colin, afin de travailler sur la politique Canada-États-Unis, ou bien, si vous voulez, trouver une personne équivalente qui travaille sur le Mexique, vous devriez prendre le téléphone et composer le code régional 202 pour joindre Washington D.C. La majeure partie des ressources pouvant travailler sur le Mexique sont à Washington D.C.
Lest États-Unis subissent le plus grand changement démographique de leur histoire. Cela nous a presque complètement échappé, au Canada. Nous ne comprenons pas les États-Unis actuels. La majorité des Mexicains font maintenant partie de la classe moyenne. C'est arrivé sans que nous sachions vraiment ce que cela signifie. Alors, le premier enjeu, c'est la capacité en Amérique du Nord. Il est essentiel non pas que nous atteignions le même niveau que les États-Unis, mais, je vous en prie, le même niveau que le Mexique, ce n'est pas trop demander.
Le deuxième enjeu est le Partenariat transpacifique. À Washington D.C., le fait que les Américains ont l'intention de remplacer l'ALENA par le PTP est un secret de Polichinelle. Si cela doit bel et bien arriver, nous devons nous y préparer. Nous devons y réfléchir, songer aux conséquences, commencer à tenir des conversations et commencer à nous demander ce qu'il faut faire à ce sujet.
Je pense qu'il s'agira du problème le plus important auquel le Canada fera face. Nous nous sommes plaints du fait que les négociations se fassent à trois en Amérique du Nord. Que se passera-t-il lorsqu'elles se feront à 13? Je compte la Corée, puisque, essentiellement, elle dispose d'un accès privilégié aux deux marchés. Il faut que nous comprenions cela. Le Mexique serait heureux que cette conversation ait lieu. C'est quelque chose qui préoccupe tout autant les Mexicains, et il n'y a vraiment pas d'autres pays avec qui nous puissions discuter, mis à part le Mexique. Je pense que nous devrions probablement envisager de collaborer avec le Mexique à l'occasion de cette réunion. Le SLNA constitue une excellente organisation où le premier ministre peut prendre le président mexicain à part et commencer à discuter pour rétablir nos relations.
Pour le SLNA qui vient, il y a quatre choses.
La première, c'est l'initiative trilatérale des voyageurs dignes de confiance. Il est absolument essentiel que nous signions le protocole d'entente pendant la rencontre qui vient. Le ministère doit s'assurer que ce protocole est prêt. Il s'agit d'un signal à envoyer au Mexique pour indiquer que nous sommes sérieux par rapport à l'Amérique du Nord, que nous sommes de nouveau prêts à négocier. L'impression qui me reste de mon dernier voyage au Mexique, c'est qu'il a essentiellement abandonné tout espoir par rapport au Canada. Pas pour toujours, mais il ne prendra plus l'initiative, n'essaiera plus d'amener le Canada à être proactif, de l'amener à s'engager. Il faut que nous changions cette perception au Mexique. Travailler sur l'initiative des voyageurs dignes de confiance, entre autres, peut être un pas dans la bonne direction, mais cela ne suffira pas. Il faut que ce soit un début. Nous ne pouvons pas nous en laver les mains et nous dire que, après avoir fait cela, nous avons terminé. Il faut que ce soit le début d'une conversation et d'un mouvement plus vaste.
En passant, nous avons vu récemment des études dans lesquelles est quantifié le coût des visas pour le commerce et les investissements. Nous avons toujours eu de l'information sur le coût pour le tourisme, grâce aux travaux de recherche universitaires, mais nous n'avions pas vraiment encore vu d'information concernant l'incidence sur le commerce et les investissements. Selon une étude publiée récemment dans la revue Applied Geography, ils subissent une baisse de 25 % lorsque les visas sont imposés dans le cadre d'une relation bilatérale et une baisse de 19 % lorsque les visas sont imposés unilatéralement. Nous n'avons pas été en mesure d'obtenir les chiffres pour le Canada, mais on peut imaginer qu'ils sont tout aussi élevés.
La seconde idée, c'est celle de la Banque de développement de l'Amérique du Nord. Nous examinions cette idée dans le cadre de l'initiative canado-mexicaine, il y a des années. Mais c'est une idée qui, encore là, serait bien accueillie au Mexique, celle de confier un nouveau mandat à la banque pour qu'elle travaille au-delà de la frontière entre le Mexique et les États-Unis et règle les problèmes que nous avons avec les États-Unis — convaincre les Américains de terminer le pont entre Detroit et Windsor et les amener à mettre en oeuvre les ententes conclues dans le cadre de l'initiative Par-delà la frontière. Une banque d'infrastructure nord-américaine pourrait obtenir de l'argent du secteur privé et nous offrir un autre moyen d'amener les Américains à régler les problèmes auxquels nous faisons face dans le domaine des infrastructures essentielles, et cela serait un signal extrêmement important à envoyer au Mexique.
J'ai parlé du Conseil de coopération en matière de réglementation. L'intervention en cas de catastrophe est un autre domaine dans lequel nous devrions être en mesure de collaborer avec nos collègues nord-américains. Donnez de l'expansion aux accords bilatéraux; faites-en des accords trilatéraux. Après l'ouragan Katrina, nous avons envoyé un navire à la Nouvelle-Orléans. Les Mexicains ont posté des soldats à la frontière — et, cette fois-ci, ils étaient là pour offrir leur aide, et non pour reprendre du territoire perdu. Mais les Américains n'étaient pas disposés à accepter l'un ou l'autre. Si nous voulons redonner vie à l'idée de l'Amérique du Nord, l'idée que nous formons un ensemble particulier, distinct du Partenariat transpacifique, travailler à l'aide en cas de catastrophe devrait permettre de faire des gains faciles. Chaque pays a sa spécialité et son expertise, et la mise en commun de ces choses va simplement de soi.
Enfin, pour le prochain SLNA, envisagez l'idée d'une collaboration accrue en matière d'énergie. À ce sujet, je vais vous proposer une idée vraiment folle. Le Venezuela et Petrocaribe se sont effondrés dans les Amériques. Les pays des Caraïbes s'adressent aux États-Unis pour que ceux-ci les aident à remplacer ce qu'ils ont perdu au Venezuela. Cela pourrait en fait être une initiative nord-américaine. Nous pourrions fournir une expertise en matière de réglementation, d'efficacité énergétique. Nous pourrions prendre la place dans ces pays et aider ceux qui offrent des services liés au pétrole à trouver des marchés, ce qui les intéresse énormément.
Enfin, l'Amérique du Nord n'est pas seulement la responsabilité du gouvernement. De nombreux témoins vous diront que le gouvernement devrait faire telle ou telle chose, qu'il devrait créer un comité et qu'il devrait financer des initiatives. L'Amérique du Nord est la responsabilité de l'ensemble des segments de la société canadienne. Il faut que les provinces soient représentées à la réunion qui se tiendra au Colorado. Le secteur privé doit prendre les devants et en faire davantage, dans le cas du Mexique.
On le remarque au Mexique. On le remarque aux États-Unis, ce manque de soutien du secteur privé du Canada dans les relations avec le Mexique, ainsi que le silence au sujet des visas et d'autres questions. Ce n'est pas seulement le gouvernement qui doit prendre les devants. C'est tout le Canada. Nous ne voulons pas que le Mexique abandonne tout espoir par rapport à nous, et nous ne voulons assurément pas que les États-Unis le fassent non plus.
Merci.