Monsieur le Président, c'est un plaisir de participer au débat à l'étape de la deuxième lecture du projet de loi sur la protection des Canadiens contre la cybercriminalité.
Le gouvernement a pris l'engagement de présenter cette mesure dans le dernier discours du Trône et s'en est rapidement acquitté. Le projet de loi est un élément central de la contribution du gouvernement à la lutte contre la cybercriminalité et un élément clé du programme du gouvernement visant à aider les victimes et à punir les criminels.
Il n'étonnera personne d'apprendre que les Canadiens ont adopté sans réserve Internet et les technologies de communication mobile comme les téléphones intelligents et les médias sociaux pour communiquer avec leurs amis et leur famille, établir de nouveaux liens sociaux, chercher de l'information et créer des sites Web et des blogues.
La plupart des gens se servent d'Internet de façon constructive, mais il y a un nombre croissant d'histoires bouleversantes de jeunes personnes, tout particulièrement, qui se servent d'Internet et d'autres moyens électroniques pour poser des gestes malveillants qui ont de graves répercussions pour leurs victimes.
Bien que le problème de l'intimidation n'ait rien de nouveau, la technologie a irrémédiablement changé sa nature et sa portée. Par exemple, grâce aux outils électroniques, l'intimidation peut se faire plus facilement, plus rapidement et plus méchamment que jamais. De plus, ces gestes peuvent être posés de façon anonyme et risquent de demeurer de façon permanente dans le cyberespace.
Ces quelques dernières années, la cyberintimidation aurait joué un rôle dans la décision de certaines jeunes personnes de mettre fin à leur vie. Ces histoires sont accablantes, et je suis sûr de parler au nom de tous les Canadiens lorsque j'exprime notre regret collectif pour ces événements tragiques.
Ces incidents amènent également les législateurs à se demander ce qu'ils peuvent faire. Que peut donc faire le gouvernement fédéral pour éviter que de telles tragédies se répètent à l'avenir ou au moins pour intervenir efficacement si de tels événements se produisent encore?
C'est exactement la question que s'est posé, le printemps dernier, un groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur la cybercriminalité. Ce groupe de travail s'est demandé si la cyberintimidation était suffisamment couverte par le Code criminel et s'il y avait des lacunes à combler.
En juillet, le ministère de la Justice, au nom de tous les partenaires fédéraux, provinciaux et territoriaux, a publié un rapport sur la cyberintimidation et la distribution non-consensuelle d'images intimes.
Le groupe de travail a formulé neuf recommandations unanimes concernant la réponse du droit pénal à la cyberintimidation. Je pense qu'il convient de signaler que la toute première recommandation du rapport réclame une approche plurisectorielle et pluridimentionnelle contre la cyberintimidation et demande à tous les ordres de gouvernement de continuer de renforcer leurs initiatives destinées à lutter contre la cyberintimidation de façon globale.
J'appuie sans réserve cette recommandation qui reconnaît qu'une seule mesure prise par un seul ordre de gouvernement ne peut résoudre à elle seule le problème de la cyberintimidation. D'ailleurs, la plupart des experts s'entendent pour dire que l'éducation, la sensibilisation et la prévention sont les meilleurs moyens de combattre l'intimidation et la cyberintimidation. La réforme des lois en matière pénale est une composante modeste, mais essentielle, de cette approche multisectorielle.
Pour revenir au projet de loi que nous étudions aujourd'hui, j'ai le plaisir de souligner que toutes les mesures proposées dans le projet de loi ont été recommandées par le groupe de travail fédéral-provincial-territorial, et appuyées par les procureurs généraux des provinces et des territoires.
Le projet de loi a deux objectifs principaux: créer une nouvelle infraction au Code criminel concernant la distribution non consensuelle d’images intimes; moderniser les pouvoirs d'enquête prévus dans le Code criminel pour que la police puisse enquêter de façon efficace et efficiente lorsque des actes criminels comme la cyberintimidation sont commis au moyen de l'Internet, et pour qu'elle puisse utiliser des éléments de preuve électroniques.
Je demande à tous les députés qui sont intervenus jusqu'à présent et à ceux qui prendront la parole après moi de se demander comment les policiers pourraient faire enquête sur certaines infractions liées à la cyberintimidation, comme dans le cas d'Amanda Todd, si on ne leur accordait pas ces pouvoirs d'enquête, et s'ils n'étaient pas en mesure de préserver les éléments de preuve, ni de retracer l'auteur des messages d'intimidation. Nous savons tous que le tortionnaire d'Amanda Todd est toujours en liberté. Ne serions-nous pas heureux de pouvoir trouver cette personne afin de la traduire en justice?
Pour le temps qui me reste, j'aimerais parler de la nouvelle infraction proposée. Elle permettrait de combler un vide juridique dans le cas des formes graves de cyberintimidation impliquant l'échange ou la distribution d'images de nudité ou à caractère sexuel utilisées sans le consentement de la personne qui y est représentée.
Je crois qu'il est important d'insister sur le fait que cette infraction ne vise pas à criminaliser la création de ces images, ni même leur échange consensuel, notamment entre des partenaires ou des amis intimes. Il s'agit plutôt de cibler les comportements qui y sont de plus en plus associés, c'est-à-dire la distribution de ces images sans le consentement de la personne qui y est représentée.
Bien souvent, un tel acte est commis par l'ancien partenaire ou l'ex-conjoint du sujet de l'image afin de se venger ou d'humilier la personne en question. Plus précisément, la nouvelle infraction interdirait toute forme de distribution de ce genre d'image sans le consentement du sujet. Pour obtenir une condamnation pour cette infraction, le procureur devra prouver que l'accusé a sciemment distribué l'image d'une personne sachant que celle-ci n'y consentait pas ou sans se soucier de savoir si elle y consentait ou non.
Un élément important de l'infraction proposée est la nature de l'image même. Le projet de loi propose une définition à trois volets de ce qui est considéré comme une « image intime », afin d'aider les tribunaux à déterminer si la distribution d'une image pourrait effectivement être considérée au titre de l'infraction proposée. Une image intime s'entend d'une image d'une personne où celle-ci y figure nue, exposant ses organes génitaux ou sa région anale ou se livrant à une activité sexuelle explicite. Dans le Code criminel, on trouve une définition similaire dans le contexte du voyeurisme, à l'article 162, et dans celui de la pornographie juvénile, à l'article 163.
Toutefois, à lui seul, le contenu de l'image ne suffirait pas à qualifier l'image d'image intime. Le tribunal devra également être convaincu que l'image a été prise dans des circonstances pour lesquelles il existe une attente raisonnable de protection en matière de vie privée et que la personne qui y figure avait toujours cette attente raisonnable au moment où l'infraction a été commise.
Ces deux éléments sont essentiels pour s'assurer que la définition de l'infraction proposée n'est pas trop vague et qu'elle n'inclut pas des images pour lesquelles il ne peut y avoir d'attente raisonnable de protection en matière de vie privée. Par exemple, si une personne produisait, dans l'intimité de son foyer, des images à caractère sexuel d'elle-même qu'elle destinait à ses seules fins personnelles, les images seraient vraisemblablement considérées comme des images intimes. Par contre, si cette même personne affichait ces images sur un site Web public, il serait moins probable qu'un tribunal juge raisonnable l'attente de protection en matière de vie privée, et ce, même si l'enregistrement initial des images s'était fait en privé.
L'infraction proposée serait appuyée par plusieurs modifications complémentaires au Code criminel afin d'offrir une protection aux victimes de cette forme de cyberintimidation particulièrement abjecte. Les modifications complémentaires permettraient à un tribunal d'ordonner que des images intimes soient retirées d'Internet et d'autres réseaux numériques et de formuler une ordonnance de dédommagement visant à couvrir certaines des dépenses associées au retrait des images en question.
De plus, les tribunaux auraient le pouvoir d'ordonner la confiscation des outils ou des biens utilisés pour commettre l'infraction, comme un téléphone intelligent ou un ordinateur, et de prononcer une ordonnance d'interdiction visant à restreindre l'utilisation que pourrait faire d'un ordinateur ou d'Internet la personne condamnée. Une telle ordonnance d'interdiction serait essentiellement utile dans le cas des récidivistes.
Le projet de loi permettrait aussi à un tribunal de rendre une ordonnance de bonne conduite à l'endroit d'une personne qui détient des images intimes s'il est raisonnable de craindre qu'elle commette cette nouvelle infraction. La nouvelle infraction proposée et les modifications connexes comblent une lacune du droit pénal. Elles offriraient une protection très large aux victimes de ces gestes.
J'ai parlé de la possibilité d'obtenir une ordonnance d'interdiction afin d'éviter qu'une personne utilise les images qu'elle détient déjà. C'est un point très important. Nous pourrons désormais intervenir dans des situations où on croit qu'une personne s'apprête à utiliser les images qu'elle détient à des fins d'intimidation. Nous pourrons donc intervenir avant que ces images soient distribuées sur Internet, ce qui est crucial.
Voici ce que quelques Canadiens ont dit du projet de loi depuis qu'il a été déposé, il y a quelques semaines. Le 20 novembre, Mme Carol Todd, mère d'Amanda Todd, a déclaré:
C'est un pas dans la bonne direction. Je ne peux m'empêcher de penser que, si cette mesure avait été en place il y a trois ans, quand j'ai commencé à signaler ce qui arrivait à Amanda [...] je crois que ma fille serait encore parmi nous aujourd'hui.
Selon Lianna McDonald, du Centre canadien de protection de l'enfance, le projet de loi C-13 contribuera à mettre fin à l'utilisation de la technologie à mauvais escient et aidera de nombreux jeunes touchés et anéantis par cette forme d'intimidation.
David Butt, avocat de la Kids' Internet Safety Alliance, a déclaré, dans le Globe and Mail du 21 novembre, que le nouveau projet de loi est une nette amélioration, car il contient des dispositions applicables spécifiquement à ce problème. Auparavant, il fallait se contenter des dispositions inappropriées de nos lois sur la pornographie juvénile.
Le 21 novembre, Allan Hubley, conseiller municipal d'Ottawa et père d'un adolescent victime d'intimidation qui s'est suicidé, a déclaré ceci à l'antenne de CTV News:
Lorsque nous étions jeunes, nous savions qui étaient nos tourmenteurs, alors nous pouvions remédier au problème. Aujourd'hui, tant que cette mesure législative ne sera pas adoptée, ils agiront sous le couvert de l'anonymat.
Je précise qu'il parlait du moment choisi pour adopter cette mesure législative. Il a ajouté que, grâce à cette mesure législative, les intimidateurs seront démasqués et devront faire face à de graves conséquences.
Le 21 novembre, Glen Canning, le père de Rehtaeh Parsons a déclaré ceci dans le Huffington Post:
Je suis très heureux d'apprendre que le [ministre de la Justice] et le ministre de la Sécurité publique aient annoncé le dépôt d'un nouveau projet de loi pour punir ceux qui commettent ce crime dégoûtant qui a anéanti notre fille, Rehtaeh.
Voici ce qu'on pouvait lire dans l'éditorial du quotidien The Province le 22 novembre:
Grâce aux modifications proposées dans le projet de loi, la police pourra démasquer les prédateurs responsables de ces crimes odieux et braquer sur eux les projecteurs de la justice. Beaucoup d'entre eux finiront, comme il se doit, en prison.
En terminant, j'aimerais citer Gil Zvulony, un éminent avocat torontois, spécialiste d'Internet: « Il y a une logique à tout cela, en ce sens que le projet de loi vise à moderniser [le Code criminel] afin de l'adapter à l'ère numérique. »
Même si cette mesure législative ne réglera pas tous les problèmes entourant ce vaste phénomène social qu'est la cyberintimidation, elle est un élément essentiel de la solution à ce problème complexe. J'exhorte tous les députés à l'appuyer.