Monsieur le Président, j'interviens cet après-midi à propos du projet de loi C-48, Loi de 2012 apportant des modifications techniques concernant l'impôt et les taxes.
C'est une mesure qui s'étale sur 955 pages et comporte 428 modifications. J'emploierai mon temps de parole à analyser, à la lumière de l'historique récent des projets de loi techniques en matière fiscale, comment nous en sommes arrivés à devoir étudier une mesure législative aussi éléphantesque. Je parlerai entre autres du rapport de 2009 de la vérificatrice générale, qui traite notamment des lois de l'impôt sur le revenu, et du rapport connexe du Comité des comptes publics.
J'expliquerai pourquoi le Parlement devrait, régulièrement et avec diligence, adopter des projets de loi techniques en matière fiscale et pourquoi il faut absolument réviser en profondeur la Loi de l'impôt sur le revenu et, oui, la simplifier.
Enfin, avec le temps qu'il me restera, j'aborderai le projet de loi C-48 lui-même.
Sur le plan de l'historique récent des projets de loi techniques en matière fiscale, si le projet de loi C-48 devait recevoir la sanction royale, ce serait une première depuis le projet de loi C-22, Loi de 2000 modifiant l'impôt sur le revenu, qui l'a reçue en juin 2001, il y a presque 12 ans.
À voir l'ampleur du projet de loi dont nous sommes saisis, on ne peut que se demander pourquoi le Parlement n'a pas approuvé de projets de loi sur des modifications techniques à la fiscalité depuis 2001.
Le gouvernement libéral précédent a certes publié à trois reprises des modifications techniques pour qu'elles puissent être commentées, soit en décembre 2002, en février 2004 et en juillet 2005. Ces modifications ont été présentées au Parlement en 2006 dans le projet de loi C-33, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu. Le projet de loi C-33 a été adopté à l'étape de la troisième lecture et renvoyé à l'autre Chambre, mais il est mort au Feuilleton lorsque le premier ministre a demandé à la gouverneure générale de proroger le Parlement en 2007. Plus tard en 2007, une version identique de cette mesure législative, le projet de loi C-10, a été déposée. Là encore, la mesure législative s'est rendue jusqu'à l'autre Chambre, puis est morte au Feuilleton lorsque le premier ministre a demandé à la gouverneure générale de proroger de nouveau le Parlement. C'était en 2008.
Depuis, plus rien. Pendant quatre ans, les conservateurs n'ont présenté au Parlement aucun projet de loi sur des modifications techniques à la fiscalité. L'adoption des nombreuses modifications fiscales techniques devenues nécessaires au fil du temps n'a jamais figuré dans la liste des priorités des conservateurs.
La semaine prochaine, cela fera sept ans que les conservateurs sont au pouvoir. Or, ils n'ont pas encore fait adopter un seul projet de loi fiscal technique. C'est de la mauvaise administration publique. Ce n'est pas une façon d'administrer les affaires publiques que d'attendre aussi longtemps, d'autant plus que, lors de l'élection des conservateurs en 2006, des mesures législatives allaient être présentées et, deux fois, une prorogation a mis fin à toute tentative de régler cette question.
Je veux mentionner le rapport de la vérificatrice générale. À l'automne 2009, la vérificatrice générale, Sheila Fraser a signalé l'incapacité du gouvernement à s'attaquer à cette question, soulignant la nécessité qu'il présente des mesures législatives sur des modifications techniques à la fiscalité afin de clarifier la Loi de l'impôt sur le revenu. Dans son rapport, elle disait:
La Loi de l’impôt sur le revenu est l’une des plus longues et des plus complexes des lois canadiennes. Les contribuables sont en droit de s’attendre à des directives claires pour pouvoir l’interpréter correctement et établir le montant de l’impôt qu’ils doivent.
Cela tombe sous le sens. Dans son rapport, elle ajoute que, en omettant d'apporter les modifications fiscales techniques nécessaires à la clarté de la loi, le gouvernement augmentait les coûts pour toutes les parties concernées. Le rapport dit:
L’incertitude peut avoir les effets négatifs suivants sur les contribuables:
une hausse des coûts pour obtenir les conseils de professionnels aux fins d’observer la loi de l’impôt; une diminution de l’efficience en ce qui a trait à l’exécution d’opérations commerciales;
l’incapacité pour les sociétés cotées en bourse d’établir leurs rapports financiers en fonction des modifications fiscales proposées, parce que ces modifications ne sont pas « pratiquement en vigueur »;
un plus grand cynisme en ce qui a trait à l’équité du régime fiscal; et une volonté accrue de recourir à une planification fiscale agressive.
En ce qui a trait aux autorités fiscales, les effets négatifs peuvent être les suivants:
une hausse des coûts pour fournir des directives et des interprétations additionnelles aux contribuables et aux vérificateurs de l’impôt; et
une hausse des coûts administratifs pour traiter une seconde fois les déclarations de revenus par suite de l’adoption de modifications législatives en attente, et pour obtenir, de la part du contribuable visé, la renonciation nécessaire en vue de prolonger le délai fixé pour l’établissement éventuel d’une nouvelle cotisation.
Ces situations peuvent créer de l’incertitude quant aux sommes que le gouvernement prévoit percevoir en revenus fiscaux et occasionner une perte à cet égard.
Ce que la vérificatrice générale veut dire, c'est qu'il ne s'agit pas d'obscures discussions ésotériques visant à déterminer si le gouvernement est parvenu ou non à présenter ces modifications techniques concernant l'impôt et les taxes en temps opportun à la Chambre et à les faire adopter. Tout cela entraîne des coûts de transaction plus élevés pour les entreprises. Cela sème aussi la confusion parmi les contribuables canadiens, qui ne savent pas quelles seront les répercussions pour eux. Cela entraîne également une hausse des coûts des professionnels comme les comptables et les vérificateurs.
Selon le rapport de la vérificatrice générale, cela peut créer de l’incertitude quant aux sommes que le gouvernement prévoit percevoir en revenus fiscaux et occasionner une perte à cet égard. Cela a une incidence sur les sommes que le gouvernement perçoit ou peut percevoir.
La vérificatrice générale a ensuite prévenu les parlementaires qu'il fallait adopter sans tarder ce genre de projet de loi apportant des modifications techniques concernant l'impôt et les taxes, rattraper immédiatement le retard, puis adopter régulièrement de telles modifications. Voici ce qu'on peut lire dans son rapport:
Si les modifications techniques proposées ne sont pas déposées régulièrement, elles en viennent à constituer un vaste ensemble, que les contribuables, les fiscalistes et les parlementaires ont de la difficulté à absorber.
Enfin, elle a supplié le ministère des Finances de corriger la situation.
La vérificatrice générale Sheila Fraser disait ceci:
Le ministère des Finances doit faire plus pour alerter le gouvernement et le Parlement à l'urgence du problème. Il devrait revoir sa façon de gérer ce processus.
Outre le rapport de la vérificatrice générale, mentionnons le rapport du Comité des comptes publics. Au début de 2010, le Comité des comptes publics a étudié le rapport de la vérificatrice générale. Le comité était alors présidé par mon ancien collègue de Charlottetown, l'honorable Sean Murphy. Le comité partageait les inquiétudes exprimées par la vérificatrice générale quant au gaspillage et à la mauvaise gestion attribuables au fait que les conservateurs n'avaient pris aucune mesure pour présenter ces modifications techniques. Comme le comité voulait savoir quand le problème serait réglé, il a demandé au sous-ministre des finances ainsi qu'à la commissaire de l'Agence du revenu du Canada de venir témoigner. Ces fonctionnaires ont donné aux membres du comité l'assurance que le gouvernement avait la situation bien en main et proposerait une solution. Voici ce qu'on peut lire dans le rapport publié par le comité en avril 2010:
Les fonctionnaires du Ministère ont dit au Comité qu’ils espéraient être en mesure de soumettre à l’examen du gouvernement un nouveau projet de loi technique d’ici quelques mois. Ils envisagent aussi la possibilité de publier à intervalles réguliers des séries plus restreintes de modifications techniques [...] Par contre, les fonctionnaires ont fait savoir au Comité qu’ils ne seraient pas en mesure de proposer des projets de loi techniques annuels avant la fin de 2011.
Si les hauts fonctionnaires ont affirmé à un comité parlementaire en 2010 qu'un projet de loi technique sur le régime fiscal serait prêt d'ici quelques mois, nous devons nous demander ce qui s'est produit. En gros, ce dont nous avons réellement besoin, c'est d'une réforme fiscale et d'une simplification du régime fiscal. Au fil du temps — et ce n'est pas uniquement depuis que le gouvernement actuel est au pouvoir — la Loi de l'impôt sur le revenu est devenue trop volumineuse et complexe. Cela dit, il convient de signaler que, sous le gouvernement conservateur, la Loi de l'impôt sur le revenu a encore pris de l'ampleur et a grossi d'un sixième. Nous en sommes maintenant au point où les comptables, ceux-là même qui gagnent leur vie en interprétant des lois fiscales complexes pour le compte de leurs clients, exercent régulièrement des pressions sur le Parlement et le Comité des finances afin que le régime fiscal soit simplifié. Même les comptables sont d'avis que le code fiscal est trop complexe.
Voici ce qu'a fait valoir l'Institut canadien des comptables agréés dans son plus récent mémoire prébudgétaire:
Il est essentiel, pour réduire le fardeau réglementaire des entreprises et attirer l’investissement, de simplifier le régime fiscal canadien. Cette simplification aiderait le Canada à être plus concurrentiel, et permettrait aux particuliers et aux entreprises de prospérer.
Selon le Rapport global sur la compétitivité 2010-2011 du Forum économique mondial, la fiscalité est l’un des quatre principaux irritants mentionnés par les dirigeants d’entreprise qui veulent faire des affaires au Canada. En effet, le régime fiscal canadien est devenu, sous de nombreux aspects, beaucoup trop complexe. Nous recommandons au gouvernement de mener une consultation nationale pour évaluer les mesures possibles à cet égard [...]
Cette citation provient des réponses soumises par l'Institut canadien des comptables agréés lors des consultations prébudgétaires de 2012 effectuées par le comité permanent des Finances de la Chambre des communes.
Dans sa plus récente participation aux consultations prébudgétaires, l'Association des comptables généraux accrédités du Canada a formulé les recommandations suivantes:
Moderniser le système fiscal du Canada pour en assurer la simplicité, la transparence et l’efficience.
Déposer et adopter un projet de loi technique à caractère fiscal pour régler la question des mesures fiscales qui ont été proposées, mais n’ont pas été intégrées à la loi.
Mettre en place une disposition de réexamen pour prévenir dorénavant l’accumulation de mesures fiscales qui sont proposées sans être adoptées.
Nommer un groupe d’experts indépendant qui aura pour mandat de recommander des mesures en vue d’une réforme du système fiscal du Canada.
Soulignons que, depuis la Commission royale d'enquête sur la fiscalité au cours des années 1960, aucun examen exhaustif de notre code des impôts et des lois canadiennes en matière de fiscalité n'a eu lieu. La Commission Carter a publié son rapport en 1966, et les changements ont été mis en oeuvre en 1972, il y a de cela plus de 40 ans. Or, si nous devions résumer en un seul mot ce qui a changé depuis 1972 sur le plan de l'économie canadienne et mondiale, ce mot serait « tout ».
En fait, la structure des économies canadienne et mondiale a subi tant de changements fondamentaux depuis 1972 qu'il nous faut absolument une étude, un examen exhaustif, et même une commission royale, pour se pencher sur les modifications fiscales dont le pays a besoin, afin de créer un régime fiscal plus simple, de même qu'un contexte plus équitable et, du point de vue de la croissance économique, potentiellement plus compétitif et susceptible d'attirer les investissements.
À la Chambre, nous avons discuté du problème de l'inégalité des revenus, un problème dont il faut tenir compte lorsqu'il s'agit de réforme fiscale.
Nous avons parlé de la question de la compétitivité et discuté du genre de taxes qui rendent une économie moins concurrentielle. Nous devons nous pencher là-dessus. Il faut analyser jusqu'à quel point on peut utiliser le régime fiscal pour stimuler l'investissement dans la recherche, le développement et la commercialisation des technologies et, potentiellement, les énergies propres, afin d'écologiser la production d'énergie au Canada, y compris les énergies traditionnellement moins polluantes et les sables pétrolifères. À mesure que les choses progresseront, il faudra aussi examiner le genre d'incitations fiscales qui pourraient stimuler les investissements dans ces technologies et le développement de celles-ci.
À l'époque, la Commission Carter a, entre autres, supprimé la taxe sucessorale canadienne pour la remplacer par un impôt sur les gains en capital, ce qui représentait alors un changement important. Il est possible que nous voyions les choses différemment aujourd'hui, selon les conseils d'experts en fiscalité du Canada et d'ailleurs.
Comme notre régime fiscal n'a pas fait l'objet d'un examen approfondi depuis 1972, il ne fait aucun doute que le régime est tout simplement désuet. En fait, depuis que le gouvernement conservateur est au pouvoir, la loi fiscale a grossi d'un sixième. Le régime est maintenant plus complexe et moins juste à cause des mesures que le gouvernement a fait adopter et que certains appellent les crédits d'impôt à la pièce, lesquels visent les enfants qui jouent au hockey et qui étudient la musique, les aidants naturels et les pompiers volontaires. Nous croyons tous qu'il est louable d'appuyer les pompiers volontaires et les aidants naturels et d'aider les familles à faire en sorte que leurs enfants participent à des activités; nous souscrivons à ces objectifs.
Par ailleurs, il faut tout d'abord prendre conscience que ces mesures alourdissent le régime fiscal. Ensuite, ces crédits d'impôt ne sont pas remboursables, ce qui veut dire que les familles canadiennes à faible revenu n'y auront même pas droit; or, ce sont ces gens qui ont le plus besoin d'aide, et ce, qu'il s'agisse du crédit d'impôt pour aidants familiaux ou de l'appui offert aux familles dont les enfants souhaitent participer à des activités.
Les conservateurs ont non seulement complexifié le régime fiscal, mais, en faisant en sorte que ces crédits d'impôt ne soient pas remboursables, ils l'ont aussi rendu moins équitable et ils ont contribué à l'inégalité des revenus en refusant d'aider les gens qui ont le plus besoin de ce soutien. Ce sont ces familles à faible revenu qui, paradoxalement, ne pourront pas profiter de ces crédits d'impôt.
Parlons de l'Agence du revenu du Canada. Plus les lois fiscales gagnent en volume et en complexité, plus l'agence reçoit des demandes de précision. Les gouvernements peuvent obliger les citoyens à payer de l'impôt, et c'est un énorme pouvoir, mais ce pouvoir s'accompagne de responsabilités: le gouvernement doit faire en sorte que les contribuables bénéficient d'un régime clair et il doit reconnaître que ce ne sont pas tous les Canadiens qui peuvent se payer les services d'un professionnel pour se pencher sur ces questions complexes; en fait, la vaste majorité ne peut pas se le permettre.
Entre autres façons de clarifier le droit fiscal, le gouvernement pourrait améliorer la prise de décisions anticipée en matière d'impôt. C'est une question qu'a abordée la vérificatrice générale dans son rapport de 2009. Le rendement de l'ARC en la matière va de mal en pis. L'agence s'était engagée à émettre de telles décisions anticipées en matière d'impôt en 60 jours; en 2004, elle avait atteint cette cible. Il y a trois ans, elle prenait en moyenne 98 jours pour prendre une décision anticipée. Il y a deux ans, le délai de traitement était de 102 jours, et l'année dernière, il était de 106 jours, soit quasi le double de la cible que l'ARC s'était fixée. Ces retards coûtent de l'argent autant aux contribuables qu'au gouvernement.
Pour les fonctionnaires de l'ARC qui travaillent à Charlottetown, à l'Île-du-Prince-Édouard, et ailleurs, les coupes à l'ARC contribueront à la confusion entourant l'interprétation des modifications fiscales et entraîneront même une perte de revenus fiscaux pour le gouvernement.
Notre étude sur les comptes à l'étranger et les fortunes personnelles que tant de Canadiens y déposent a révélé que les investissements effectués par l'ancien gouvernement libéral permettant à l'ARC de cibler les comptes à l'étranger ont permis de récupérer des sommes importantes. Les conservateurs ont réduit le financement de l'ARC, ce qui nuira à la direction de l'agence et sapera sa capacité de cerner et de cibler les comptes à l'étranger, d'y récupérer des sommes et de déployer d'autres efforts en vue d'accroître ses revenus fiscaux.
Dans son rapport, la vérificatrice générale a dit ce qui suit à propos de l'ARC:
Si les directives de l’Agence ne sont pas exactes et fournies à temps, des contribuables pourraient, par mégarde, ne pas observer la loi ou devenir frustrés parce qu’ils ne peuvent obtenir l’information dont ils ont besoin. Ces deux situations pourraient entraîner une perte de revenus fiscaux ou occasionner un paiement en trop qu’il faudra réclamer par la suite.
Elle a fait la recommandation suivante:
(4) Compte tenu de l’importance que revêtent les décisions anticipées en matière d’impôt sur le revenu dans le cas d’opérations commerciales envisagées par les contribuables, l’ARC devrait élaborer des plans plus concrets, qui lui permettent d’atteindre les cibles qu’elle se fixe pour la délivrance de ces décisions en temps opportun;
Encore une fois, la vérificatrice générale énonce très clairement certaines mesures correctives que le gouvernement pourrait prendre.
En 2009, le gouvernement a dit qu'il acceptait la recommandation, mais les résultats désolants obtenus par l'agence portent à croire qu'on n'y a pas donné suite.
La semaine dernière, la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante a émis un communiqué de presse intitulé « La FCEI attribue un C- au service d'assistance téléphonique de l'ARC ». Selon la fédération, seulement 61 % des personnes qui ont fait appel au service d'assistance ont reçu des renseignements complets et fiables, et « les normes de services et le professionnalisme des agents ont régressé ». Je répète que je ne rejette pas la faute sur les employés de l'agence; c'est le gouvernement qui leur rend la tâche difficile.
Les libéraux sont inquiets. Nous appuyons en principe la présentation du projet de loi C-48, qui vient enfin s'attaquer à certains de ces problèmes, mais nous nous opposons à l'orientation fiscale du gouvernement, qui aurait pour effet de rendre le régime fiscal canadien plus compliqué, moins juste et moins compétitif. À notre avis, on ne peut se contenter d'un simple bricolage fiscal; il faut enclencher une véritable réforme du régime afin de rendre le code fiscal plus concurrentiel, plus juste et plus simple.