Monsieur le Président, la semaine dernière, j'ai envoyé une lettre au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile. J'aimerais en faire la lecture pour qu'elle figure dans le compte rendu.
Je l'ai également fait parvenir au whip en chef du gouvernement, au premier ministre, au chef de l'opposition officielle, au chef de mon parti ainsi qu'à tous les parlementaires de la Chambre des communes et de la Chambre haute.
Voici la lettre en question:
Monsieur le ministre [...]
Je tiens à vous faire part de mes inquiétudes au sujet de la motion du gouvernement qui vise à accorder à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) la responsabilité de toutes les mesures de sécurité sur la Colline du Parlement, tant sur le terrain que dans l'ensemble de la Cité parlementaire.
Tout d'abord, j'appuie le principe d'une sécurité entièrement intégrée sur la Colline du Parlement et je crois que les employés chargés actuellement de la sécurité parlementaire devraient conserver leur emploi. Ils sont très compétents, et personne ne remet en question leur professionnalisme.
Toutefois, je crois que nous devons respecter la primauté du Parlement, le privilège parlementaire et la séparation des pouvoirs. Le privilège parlementaire est un des moyens permettant de respecter le principe constitutionnel fondamental de la séparation des pouvoirs. Ce privilège protège le Parlement contre l'ingérence extérieure. Une force de sécurité qui relèverait du gouvernement, plutôt que du Parlement, pourrait être perçue comme une ingérence extérieure.
Compte tenu du temps limité consacré à l'étude de l'initiative ministérielle no 14, j'aimerais faire une recommandation. Il est essentiel que la GRC (à qui incomberait la responsabilité opérationnelle de la force de sécurité intégrée proposée) relève du Parlement par l'entremise des Présidents des deux Chambres, et non du gouvernement. Par conséquent, je vous exhorte à modifier votre motion pour qu'elle précise que le commandant de la GRC responsable de la sécurité sur la Colline du Parlement relèverait des autorités parlementaires.
En outre, je vous exhorte à consulter le protocole d'entente du 1er avril 2012 entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de la Colombie-Britannique au sujet des services de police provinciaux.
Plus particulièrement, l'article 7 de ce protocole d'entente prévoit que le « commandant [de la GRC], qui relève du ministre provincial, participe à l'administration de la justice dans la province et à la mise en application des lois qui y sont en vigueur ». Par conséquent, il existe déjà un modèle au pays qui pourrait s'appliquer au Parlement canadien, une institution constitutionnelle. Ce type d'arrangement pourrait très facilement être inclus dans votre motion et dans toute entente de service future. L'article 7 de l'entente sur les services de police provinciaux de la Colombie-Britannique de 2012 est joint à la présente.
J'aimerais aussi attirer votre attention sur un autre exemple au Royaume-Uni. Le service de police de Londres fournit des services de sécurité au Parlement du Royaume-Uni en vertu d'une entente de service. L'unité responsable travaille avec le directeur de la sécurité parlementaire, qui est un employé des Chambres du Parlement chargé de présenter des recommandations au comité mixte de la sécurité (composé de membres de la Chambre des communes et de la Chambre des lords).
À mon avis, la vaste majorité des Canadiens approuveraient un arrangement en vertu duquel la GRC signerait un contrat afin de fournir à la Chambre des communes et au Sénat des services de sécurité entièrement intégrés et relèverait des autorités parlementaires. Il s'agit d'un modèle qui permettrait de respecter la séparation des pouvoirs et la primauté du Parlement, ainsi que d'assurer la sécurité par l'entremise de la GRC. Par conséquent, je vous exhorte à modifier votre motion pour qu'elle précise que les services de sécurité de la GRC sur la Colline du Parlement soient régis par une entente de service entre la GRC et le Parlement du Canada, en vertu de laquelle la GRC relèverait du Président de la Chambre des communes et du Président du Sénat.
Veuillez agréer, Monsieur le ministre, l'expression de mes sentiments distingués.
[Moi-même]
Comme je l'ai dit, j'ai envoyé des copies au premier ministre, au whip en chef du gouvernement, au chef de l'opposition officielle, au chef de mon parti et à tous les autres parlementaires.
Pourquoi ai-je envoyé cette lettre? Parce que je crains que la motion no 14 dont nous sommes saisis puisse être interprétée de différentes façons. Je ne suis pas le seul qui le croit. J'ai entendu la chef du Parti vert et d'autres abonder dans ce sens. Il n'est pas clair si la GRC — si cette dernière était l'organisme responsable de la sécurité intégrée sur la Colline du Parlement — serait régie par une entente de service stipulant qu'elle doit faire rapport aux autorités parlementaires. Une telle entente de service est essentielle.
Je m'inquiète également du fait que le Président, après les événements du 22 octobre, ait informé la Chambre qu'il demanderait un examen complet des services de sécurité et dit que nous devrions mieux intégrer la sécurité des parlementaires, de leur personnel et des visiteurs. Nous n'avons pas encore vu ce rapport. Je sais qu'un comité a été mandaté pour faire cet examen, mais, pour une raison quelconque, ce dernier a été fait de manière expéditive et nous n'avons pas vu le rapport.
L'après-midi ou le soir après les réunions de caucus du mercredi de la dernière semaine où la Chambre a siégé, le whip en chef du gouvernement a informé les whips des autres partis, puis le débat a eu lieu le vendredi, une journée très courte où très peu de députés ont pu prendre la parole à ce sujet. J'ai été surpris que cela se soit fait aussi rapidement et j'ai été encore plus surpris d'apprendre que le débat finirait aujourd'hui. Cela signifie que les députés n'ont pas eu la possibilité d'en discuter entre eux durant une réunion de leur caucus. Cela aurait été très utile. Malheureusement, il semblerait que cette discussion n'aura pas lieu.
Voilà pourquoi, après avoir étudié la question et fait quelques recherches, j'ai proposé au gouvernement d'amender sa motion. Les procédures de la Chambre sont telles qu'il est impossible de proposer un amendement à une motion si un premier amendement a déjà été proposé. Je peux seulement proposer un sous-amendement, ce que je ferai tout à l'heure, mais je dois pour ce faire partir de l'amendement proposé, et non de la motion du gouvernement.
C'est dans cette optique que j'ai écrit au gouvernement, dans l'espoir qu'il accède à ma demande. Le gouvernement n'a rien à perdre à amender sa propre motion afin qu'elle précise clairement que la GRC ne sera pas en charge de la sécurité sur la Colline et ne relèvera pas du gouvernement, mais de la Chambre, et que le tout soit couché dans une entente contractuelle, comme l'ont fait plusieurs provinces et même le Parlement de l'Angleterre, qui a servi de modèle au nôtre. Les choses seraient beaucoup plus claires ainsi, prêteraient moins à interprétation et rendraient les contestations plus difficiles. Les Présidents des deux Chambres auraient également les moyens de veiller à ce que ce principe soit appliqué, alors que là, les services de sécurité sont vulnérables à d'autres souhaits et pressions. Ma démarche a malheureusement été vaine, et je m'en désole.
Voici quelques extraits d'un texte publié dans le National Newswatch qui été écrit par une dame nommée Anne Dance. Mme Dance est chercheuse au niveau postdoctoral à l'Université Memorial. Elle a commencé à s'intéresser à la sécurité dans l'espace public alors qu'elle faisait partie en 2008-2009 d'un programme non partisan appelé Programme de stage parlementaire. Son article a été publié la semaine dernière. Je ne le lirai pas au complet, seulement les quelques extraits que voici:
[...] certains ne semblent pas comprendre en quoi consiste le privilège parlementaire, ni pourquoi on doit le défendre ardemment.
Le privilège, dont la greffière de la Chambre Audrey O'Brien disait qu'il est le « coeur même » de la démocratie parlementaire, consiste en un ensemble de règles visant à protéger les assemblées législatives contre les gouvernements (c'est-à-dire l'exécutif ou, au Canada, le premier ministre et les membres du Cabinet) interventionnistes ou violents. Le privilège accorde la priorité au travail des parlementaires. Sans lui, rien ne garantit que les députés et les sénateurs pourront demeurer les maîtres du Parlement, en assurer la bonne marché, assister aux votes importants, bref faire leur travail.
Comme les démocraties émergentes le savent bien, le privilège parlementaire ne se trouve pas tel quel dans les règlements et les constitutions. Terriblement facile à détourner ou à bafouer au nom du patriotisme et de la célérité, il doit au contraire être cultivé et protégé.
En voici un autre paragraphe:
Le privilège parlementaire est l'héritage laissé par ceux qui ont contribué à la réforme de la démocratie et qui se sont battus pendant des siècles, tant au pays qu'à l'étranger, pour l'obtenir. Ce serait regrettable que les députés et les sénateurs laissent cet héritage disparaître sans même le défendre.
J'encourage mes collègues à lire le reste de l'article.
Je ne veux pas traiter de cette question de façon partisane. Je veux simplement m'assurer que l'on respecte les devoirs et les pouvoirs du Parlement, ainsi que la séparation des pouvoirs du gouvernement. Notre gouvernement a trois pouvoirs. Nous ne devrions jamais influencer le pouvoir judiciaire: je sais que certains ministres l'ont fait par le passé, et ils ont dû démissionner. Nous ne devons jamais franchir la ligne qui sépare le pouvoir judiciaire du pouvoir législatif.
Nous devons aussi respecter la séparation des pouvoirs législatif et exécutif. Si la motion présentée par le gouvernement ne précise pas que la GRC devrait rendre des comptes aux autorités parlementaires et non au gouvernement, on peut avoir l'impression qu'elle porte atteinte au privilège parlementaire, à l'autorité du Parlement et à la séparation des pouvoirs. Nous ne devrions pas avoir à nous soucier de ce genre de question, c'est pourquoi j'ai décidé de la soulever.
Le sénateur Vern White — qui est mon ami et qui travaille dans l'autre Chambre, dont il préside un des comités — a été le premier à répondre à ma lettre. Il m'a dit que ma lettre était excellente et qu'il était entièrement d'accord avec moi.
Je tiens à ce que les députés sachent que les membres du tiers parti ou de l'opposition officielle ne sont pas les seuls à avoir cette préoccupation. Même des députés ministériels en ont discuté avec moi. C'est une préoccupation commune à de nombreux parlementaires, y compris, comme je viens de le dire, à la Chambre haute. Le gouvernement aurait été sage de proposer un amendement en ce sens, car je ne peux pas présenter d'amendement à sa motion.
Je peux seulement proposer un sous-amendement qui modifiera l'amendement proposé par l'opposition officielle. C'est dans la nature de la procédure parlementaire. J'aurais préféré présenter un nouvel amendement ou une nouvelle motion, mais c'est impossible.
Par conséquent, je propose un sous-amendement. Je propose:
Que l'amendement soit modifié: a) par adjonction, après les mots « intégrer pleinement », des mots « , par le biais d’une entente contractuelle avec la Chambre des communes et le Sénat, »;
b) par substitution des mots « tout en respectant », des mots « et à travers desquels un organisme intégré responsable de la sécurité se rapporterait aux Présidents des deux Chambres, de façon à respecter la séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif, la suprématie parlementaire et ».
Le reste de l'amendement suit.
Le sous-amendement est proposé par moi-même et appuyé par mon collègue de Winnipeg-Nord. Mon collègue de Mont-Royal l'aurait appuyé aussi, mais il a dû s'absenter pour un breffage sur un autre projet de loi que nous allons considérer bientôt, le projet de loi C-51.
Je ne sais pas ce qu'il adviendra de l'amendement, mais il faut que la Chambre des communes soit saisie de la nécessité que la proposition gouvernementale reflète clairement et précisément. C'est peut-être la volonté du gouvernement mais cela n'a pas été écrit dans la résolution. Là est le problème. Il faut que ce soit spécifié...