Je suppose que j'ai la parole.
Merci, madame la présidente.
Je tiens à remercier les membres du comité de me permettre de comparaître devant eux ce matin. Je suis particulièrement disposé et heureux de témoigner, surtout en ma qualité de professeur de droit de l'Université d'Ottawa connaissant bien la Loi sur l'accès à l'information fédérale.
Permettez-moi de commencer en faisant remarquer que la Charte des droits et libertés et la Loi sur l'accès à l'information ont toutes deux été adoptées en 1982, à trois mois d'intervalle. Elles ont depuis été mises à l'épreuve encore et encore par les tribunaux, et la Loi sur l'accès à l'information a toujours démontré qu'elle avait sa raison d'être, grâce surtout au travail magistral des rédacteurs initiaux. Cette loi, ainsi que la Charte, ont bien vieilli. Elles se sont également adaptées aux changements sociétaux et technologiques des 30 dernières années. Par conséquent, comme je l'ai déjà indiqué au comité, je considère que la Loi sur l'accès à l'information est généralement correcte dans sa forme actuelle.
Selon moi, les dispositions de la loi, si elles sont suivies et mises en oeuvre correctement, permettent aux Canadiens d'accéder aux dossiers du gouvernement, tout en protégeant solidement les renseignements confidentiels, dont la divulgation pourrait causer du tort à des intérêts protégés.
Le Canada figure parmi quelque 80 pays qui ont reconnu que la liberté de l'information constitue un droit fondamental. De plus, notre pays étant un chef de file de la démocratie, il a conféré un statut quasi constitutionnel à la loi. Pourquoi, vous demanderez-vous peut-être? C'est tout d'abord parce que la loi contient une disposition de dérogation, qui lui donne la priorité sur toute autre loi du Parlement; elle a en outre le double objectif d'assurer la démocratie et la reddition de comptes au public.
La Cour suprême a, en 1997, énoncé précisément les principales fonctions de la loi, qui sont au nombre de quatre. Elle doit permettre d'améliorer le fonctionnement des rouages du gouvernement; rendre ce dernier plus efficace, réceptif et comptable; favoriser la démocratie en aidant les citoyens à obtenir l'information nécessaire pour participer à un processus démocratique; et faire en sorte que les politiciens et les bureaucrates restent comptables à l'égard de la population.
Je suis de plus convaincu que la commissaire à l'information détient déjà des pouvoirs d'enquête considérables pour faire suite aux plaintes. Elle en a certainement autant qu'un juge de cour supérieure. Je conviens toutefois avec elle que son mandat devrait être élargi pour qu'elle puisse informer les Canadiens de leurs droits en matière d'information de manière plus proactive. Votre comité, qui supervise son travail, devrait lui donner le feu vert à cet égard.
Je formulerais une dernière remarque avant de passer à l'objet de votre examen. Je partage également l'avis de Mme Legault concernant les dossiers actuellement conservés dans les cabinets de ministres. Ces dossiers sont déjà protégés par la Loi sur l'accès à l'information dans sa forme actuelle. Compte tenu des objectifs démocratiques de cette loi, je crois fermement que les cabinets ministériels devraient être assujettis à la loi. Comment faire? Simplement en prenant un décret en vertu du paragraphe 77(2) de la loi, et le tour est joué.
J'aimerais maintenant aborder la question dont vous êtes saisis, soit celle des poursuites concernant la SRC.
La SRC est visée par la Loi sur l'accès à l'information depuis septembre 2007. C'est toutefois à ce moment que la loi a été modifiée par l'ajout de l'article 68.1 afin de protéger les renseignements se rapportant aux « activités de journalisme, de création ou de programmation » de la SRC. Le Canada suivait ainsi l'exemple du Royaume-Uni et de l'Australie, où l'on trouve également un radiodiffuseur national subventionné à même les fonds publics. L'ajout de cette disposition n'a rien d'étonnant, puisque notre propre Cour suprême a déjà clairement indiqué que les sources journalistiques bénéficient d'une protection privilégiée en vertu de la loi. Cependant, en s'acquittant de ses obligations en matière d'accès à l'information ces quatre dernières années, la SRC semble avoir dépassé la simple protection de ses intérêts journalistiques.
Force m'est de reconnaître que selon moi, la SRC fait apparemment fi de l'article 68.1 en retardant ou en refusant—quand ce n'est pas les deux— l'accès à ses dossiers sans même faire mine de se cacher.
Pendant que nous parlons de retard, je ferai brièvement remarquer que la SRC a recouru tout aussi librement à une myriade d'autres exemptions, exclusions et frais abusifs pour non seulement refuser d'accéder aux demandes, mais, plus important encore, systématiquement retarder la divulgation de l'information. Comme on le dit si bien, « Justice différée est justice refusée ». Après tout, à quoi sert l'information qu'on lui a demandée en 2007 si on attend toujours quatre ans plus tard?
Comme je connais suffisamment bien la loi pour écrire à son sujet et enseigner sur la question de l'accès à l'information, il faudrait que je sois naïf pour croire que toute ces manoeuvres ne camouflent pas une tentative de retarder aussi longtemps possible la divulgation des dossiers.
À dire vrai, contrairement à la plupart des institutions fédérales, la SRC est très peu touchée par la loi. Pourquoi? Parce que dans son cas, la loi ne s'applique qu'aux renseignements qui ne concernent pas les activités de journalisme ou de programmation. Selon sa position officielle, toutefois, la SRC considère pour l'instant que les demandeurs qui remettent en question l'application de l'article 68.1 devraient s'adresser aux tribunaux et non à la commissaire à l'information.
Voilà une suggestion que je juge condescendante, car ces démarches obligeraient les demandeurs à entreprendre un combat judiciaire qui leur coûterait des milliers de dollars et qui durerait des années, contre une société d'État qui bénéficie déjà largement des fonds publics. Pareille suggestion constitue selon moi une insulte à l'objectif même de la Loi sur l'accès à l'information, aux fondements de la démocratie et à l'intelligence du public canadien.
Que doit donc faire la SRC? C'est simple. Elle doit d'abord déployer tous les efforts possibles pour divulguer, en temps opportun, les dossiers qui ne sont pas visés par l'article 68.1.
Ensuite, lorsqu'elle invoque cet article, la SRC devrait coopérer diligemment avec la commissaire à l'information, laquelle est, après tout, une agente du Parlement s'exprimant en votre nom. La société d'État devrait en outre lui donner accès aux dossiers qui seraient couverts par l'exemption relative aux activités de journalisme. En agissant ainsi, la SRC pourrait conserver un minimum de crédibilité et d'objectivité auprès du public qu'elle sert.
Avant de conclure mon propos, j'ajouterais que la SRC, comme CTV, TVA, Global, le The Globe and Mail, Sun Media et d'autres, est passée maître dans le domaine de l'accès à l'information, proposant à la population canadienne une analyse critique de l'administration publique. Quand ces nouvelles organisations présentent une demande d'accès, elles s'acquittent d'un devoir public d'informer la population de ce qui se passe au gouvernement. Les citoyens se soucient peu de savoir quelle organisation effectue des recherches et lève le voile sur les dépenses et le rendement des institutions publiques. Ce qui compte, c'est que quelqu'un s'en charge.
Avant de répondre à vos questions, permettez-moi de faire une dernière observation. Sachez que la cour a statué que les motifs d'un demandeur sont sans importance. La loi vise à assurer l'accès à l'information que détient le gouvernement. C'est un droit dont peuvent se prévaloir tous les citoyens, et l'intention, le but, la motivation ou l'occupation du demandeur sont sans objet sur le plan juridique. Ce sont les dossiers qui importent; c'est un fait inéluctable, peu importe la stratégie présumée des demandeurs.
Je suis honoré de jouer un rôle dans votre examen et suis maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions.
Merci.