Monsieur le président, le mois dernier, j'ai eu le privilège de participer à la première réunion de l'Assemblée générale des Nations Unies sur ce que je caractériserais de recrudescence alarmante de l'antisémitisme dans le monde. Cette réunion a eu lieu à l'occasion d'une journée importante de recueillement et de remémoration. Elle a eu lieu à l'occasion du 70e anniversaire de la libération d'Auschwitz, le camp d'extermination le plus meurtrier du XXe siècle, lieu d'atrocités si horribles qu'elles sont inimaginables, bien qu'elles aient néanmoins eu lieu.
À Auschwitz, 1,3 million de personnes ont été tuées, dont 1,1 million de Juifs. Ne nous méprenons pas: ces meurtres de Juifs ont été inspirés par le mouvement antisémite, mais l'antisémitisme, lui, est toujours vivant. Comme nous l'avons appris à nos dépens si tragiquement, ce mouvement commence avec les Juifs, mais il ne se termine pas avec les Juifs. Encore une fois, en France et ailleurs, les Juifs sont les canaris dans la mine du mal dans le monde.
Cela a été démontré de façon claire et tragique par les récents attentats en France, notamment au supermarché Hyper Cacher et au centre communautaire juif de Nice, les attentats en Argentine et, plus récemment, par la fusillade lors de la célébration d'une bar mitzvah à Copenhague. Pourtant, ces incidents ne sont que la plus récente manifestation d'une montée plus généralisée de l'antisémitisme en Europe et dans le monde.
J'aimerais faire part à l'assemblée ce soir de certaines réflexions et préoccupations au sujet de la condition juive, des agressions antisémites et des violations des droits de la personne, de la situation des Juifs dans le monde aujourd'hui et de la situation des régions du monde peuplées par les Juifs, de l'antisémitisme en tant que paradigme de la haine radicale et de l'Holocauste en tant que paradigme du mal radical.
Simplement dit, la thèse sous-jacente de mon discours ce soir, thèse que j'ai également présentée à l'Assemblée générale des Nations Unies, est que nous assistons à la montée graduelle, quasi-imperceptible et parfois tolérée d'un antisémitisme à la fois nouveau et ancien, global, complexe, virulent et même mortel. Nous y assistons depuis maintenant 40 ans. Il nous rappelle celui qui se faisait sentir dans les années 1930, et sa configuration actuelle est sans égale et sans précédent depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
Ce nouvelle antijudaïsme recoupe en partie l'antisémitisme traditionnel — le député d'Ottawa-Centre a parlé de définitions et de cadres de travail, et je vais tenter d'en donner quelques-uns — mais s'en distingue. Il a trouvé sa première expression juridique, voire institutionnelle, dans la résolution « Le sionisme est une forme de racisme » des Nations Unies — laquelle, comme l'a dit le sénateur américain Daniel Moynihan, « a donné à l'abomination de l'antisémitisme l'apparence d'une sanction internationale légale » —, mais il va beaucoup plus loin. Définir le nouvel antisémitisme nécessite pratiquement un nouveau vocabulaire. La meilleure façon de le décrire est de le considérer dans l'optique de l'antidiscrimination, du droit à l'égalité et du droit international.
En un mot, l'antisémitisme classique ou traditionnel est la discrimination à l’égard des Juifs, la négation de leur droit de vivre en tant que membres égaux de la société où ils ont habitent, ou l’assaut contre ce droit. Le nouvel antisémitisme concerne la discrimination à l’encontre du droit du peuple juif de vivre en tant que membre égal de la famille des nations — le déni, ou l’assaut contre le droit du peuple juif de vivre —, Israël étant le « Juif collectif parmi les nations ».
Observant les intersections complexes entre l’ancien et le nouvel antisémitisme ainsi que l'incidence du nouveau sur l'ancien, Per Ahlmark, ancien vice-premier ministre de la Suède, a conclu catégoriquement — et l'on pourrait dire avec prémonition, compte tenu des événements du XXIe siècle — il y a une quinzaine d'années, que:
Comparativement à la plupart des flambées antisémites précédentes, ce [nouvel antisémitisme] est souvent moins dirigé contre des particuliers juifs. Il est surtout dirigé contre les Juifs collectifs, l'État d'Israël. Ces attaques entraînent une réaction en chaîne d'agressions contre des particuliers juifs et des institutions juives [...]. Dans le passé, les antisémites les plus dangereux, étaient ceux qui voulaient un monde Judenrein, c'est-à-dire sans Juifs. Aujourd'hui, les antisémites les plus dangereux sont ceux qui veulent un monde Judenstaatrein, c'est-à-dire sans État juif.
Je vais résumer quatre indicateurs de ce nouvel-ancien antisémitisme. J'ai répertorié quelque 10 indicateurs, mais, en raison de contraintes de temps, je vais essayer d'en résumer quatre.
Le premier indicateur, et sa manifestation la plus meurtrière, est ce qu'on pourrait appeler l'antisémitisme génocidaire. Ce ne sont pas des mots que j'utilise à la légère. Je fais référence à l'interdiction de l'incitation directe et publique à commettre un génocide prévue dans la Convention sur le génocide, interdiction qui a motivé la Cour suprême du Canada à écrire que « l'Holocauste n'a pas commencé dans les chambres à gaz, il a commencé par des mots ».
Dans un jugement plus récent, le jugement Mugesera, la cour a encore une fois dit que l'incitation au génocide est un crime en soi, que des actes de génocide soient ou non commis ensuite. Malheureusement, nous avons vu quatre manifestations de cet antisémitisme génocidaire, lequel a atteint un seuil critique durant la guerre terroriste du Hamas contre Israël l'été dernier.
Premièrement, l'incitation à la haine et au génocide pratiquée par l'Iran de Khamenei. Si j'emploie ce terme, c'est pour faire la distinction avec le peuple iranien, lui-même assujetti à une répression massive.
Deuxièmement, la charte de mouvements terroristes comme le Hamas, qui sont publiquement voués à la destruction d'Israël et au meurtre de Juifs, où qu'ils soient.
C'est bien connu, soit, mais peu-être que les motifs antisémites de leur charte ne le sont pas. La charte du Hamas est truffée d'affirmations antisémites selon lesquelles les Juifs seraient responsables de la Révolution française, de la Première Guerre mondiale, de la Deuxième guerre mondiale, de la Société des Nations, des Nations Unies et de la fin du califat islamique. Elle se termine en affirmant que les Juifs sont responsables de toutes les guerres dans le monde.
Troisièmement, les fatwas ou appels au génocide lancés par les imams radicaux. À mon sens, cela ne relève pas de l'islam ordinaire. Ce n'est pas de l'islamisme. C'est une perversion de l'islam. Un certain nombre de mosquées à Berlin, à Paris, au Royaume-Uni et ailleurs ont publiquement préconisé le meurtre de Juifs, les Juifs et le judaïsme étant qualifiés d'ennemis perfides de l'islam, reléguant en quelque sorte les Juifs au rôle de Salman Rushdie dans les divers pays du monde.
Finalement, il y a eu des manifestations haineuses en Europe, l'été dernier, et d'autres ont suivi depuis. J'ai été témoin de certaines de ces manifestations remplies d'appels au génocide, réclamant l'envoi des Juifs à la chambre à gaz, accompagnées ou suivies par l'incendie de synagogues, d'attaques perpétrées contre des centres de la communauté juive, d'attaques contre des personnes identifiées comme étant d'origine juive ou de lieux associés à cette communauté. Tout cela a incité le président du Conseil central des Juifs d'Allemagne à me dire lors de notre rencontre à Berlin, en novembre dernier, que la conjoncture était à son pire depuis l'époque nazie. Il m'a dit que des bruits montaient de la rue: « Les juifs devraient être envoyés à la chambre à gaz, les Juifs devraient être brûlés. »
Comme l'a rapporté Roger Cukierman, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France, ces moments ont été terrifiants. On criait « mort aux Juifs » dans les rues. Dans les quatre semaines couvrant la fin de juillet et le début d'août seulement, huit synagogues ont été la cible de bombes incendiaires. J'ai entendu des propos semblables de la part du président de la communauté juive de Belgique et ailleurs.
En un mot, Israël est le seul pays, et les Juifs, le seul peuple, à être les cibles constantes d'une incitation à la haine et au génocide cautionnée par des États, incitation qui se traduit par des attaques terroristes.
Le deuxième indicateur est la condamnation portée à l'échelle mondiale à l'endroit d'Israël et du peuple juif. On les accuse d'être l'incarnation du mal, d'être racistes, impérialistes, colonialistes, de faire de l'épuration ethnique, d'assassiner des enfants, de pratiquer le génocide comme les nazis et comme un État nazi, d'être l'incarnation des pires maux du XXe siècle et de tous les maux du XXIe.
Pour faire le point sur ce deuxième indicateur et clore mon intervention, je veux rappeler que le peuple juif n'est pas seulement le seul peuple à être la cible constante d'une incitation à la haine et au génocide cautionnée par certains États, mais qu'il est aussi le seul peuple à être lui-même accusé de génocide. Voilà le type d'incitation qui mène ou qui a mené à la perpétration d'attaques terroristes à son endroit.
Mr. Chair, last month I had the privilege of participating in the first ever United Nations General Assembly forum in what I would characterize as a resurgence of an alarming global anti-Semitism. This meeting took place on the occasion of an important moment of remembrance and reminder. It took place on the occasion of the 70th anniversary of the liberation of Auschwitz, the most brutal extermination camp of the 20th century, the site of horrors too terrible to be believed, but not too terrible to have happened.
There were 1.3 million people murdered at Auschwitz, 1.1 million of them were Jews. Let there be no mistake about it: Jews died at Auschwitz because of anti-Semitism, but anti-Semitism did not die. As we have learned tragically, and only too well, while it may begin with Jews, it does not end with Jews. Once again in France and elsewhere, Jews are the canary in the mineshaft of global evil.
This was tragically made clear by the recent attacks in France at the Hyper Cacher supermarket and the Jewish community centre in Nice, the attacks in Argentina and more recently, the shooting at a bar mitzvah in Copenhagen. These incidents are only the most recent manifestation of a more general rise in anti-Semitism in Europe and throughout the world.
I would like to share with the assembly this evening some thoughts, reflections and concerns on the Jewish condition and the human condition, about assaults on Jews and assaults on human rights, about the state of Jews in the world today and about the state of the world inhabited by Jews, of anti-Semitism as the paradigm of radical hate as the Holocaust is the paradigm of radical evil.
My underlying thesis this evening, simply put, and as I shared it at the UN General Assembly, is that we are witnessing a developing, somewhat incrementally, imperceptibly and often indulgently an old-new, escalating, global, sophisticated, virulent and even lethal anti-Semitism. We have been witnessing this now for 40 years. It is one now held to be reminiscent of some of the atmospherics of the 1930s and is without parallel or precedent in its global configuration since the end of the Second World War.
This new anti-Jewishness overlaps with classical anti-Semitism—the member for Ottawa Centre spoke about definitions and frameworks, and I will try to share some—but is distinguishable from it. It found early juridical, and even institutional, expression in the United Nations' “Zionism is Racism” resolution - which, as the late U.S. Senator Daniel Moynihan said, “gave the abomination of anti-Semitism the appearance of international legal sanction”, but has gone dramatically beyond it. This new anti-Semitism almost needs a new vocabulary to define it, but it can best be identified from an anti-discrimination, equality rights, and international law perspective.
In a word, classical or traditional anti-Semitism is the discrimination against, denial of, or assault upon, the rights of Jews to live as equal members of whatever society they inhabit. The new anti-Semitism involves the discrimination against, denial of, or assault upon, the right of the Jewish people to live as an equal member of the family of nations, or their right to even live, with Israel emerging as the targeted collective Jew among the nations.
Observing the intersections between old and new anti-Semitism and the impact of the new on the old, Per Ahlmark, the former deputy prime minister of Sweden, pithily, and one would say, presciently concluded some 15 years ago, given what has happened in the 21st century. He said:
Compared to most previous anti-Jewish outbreaks, this [new anti-Semitism] is often less directed against individual Jews. It attacks primarily the collective Jews, the State of Israel. And then such attacks start a chain reaction of assaults on individual Jews and Jewish institutions...In the past, the most dangerous anti-Semites were those who wanted to make the world Judenrein, 'free of Jews.' Today, the most dangerous anti-Semites might be those who want to make the world Judenstaatrein, 'free of a Jewish state.
May I summarize now some four indicators of this old-new anti-Jewishness. I have also written about some 10 indicators. For reasons of time, I will seek to summarize four.
The first indicator, and the most lethal manifestation of it, is what might be called genocidal anti-Semitism. These are not words that l would use lightly or easily. I am referring here to the Genocide Convention's prohibition against the direct and public incitement to genocide, which caused our Supreme Court of Canada to write, “The Holocaust did not begin in the gas chambers - it began with words”.
In a more recent judgment, the Mugesera judgment, the court again said that incitement to genocide was a crime in and of itself, whether or not acts of genocide followed. Regrettably, we have seen four manifestations of this genocidal anti-Semitism, which reached a tipping point in the wake of the Hamas terrorist war against Israel this past summer.
The first is the state-sanctioned incitement to hate and genocide in Khamenei's Iran. I use to distinguish it from the people and public of Iran, who are otherwise the targets of massive domestic repression.
The second manifestation is the covenant and charters of such terrorist movements as Hamas, whose charter continues to call publicly for the destruction of Israel and the killing of Jews wherever they may be.
If this is known, perhaps the anti-Semitic tropes in the charter are not. The Hamas charter is replete with such anti-Semitic tropes as the Jews were responsible for the French Revolution, for the First World War, for the Second World War, for the League of Nations, for the United Nations, for the end of the Islamic Caliph. It concludes that no war has broken out anywhere without the fingerprints of Jews on it.
A third manifestation has been the religious fatwas, or genocidal calls by radical Imams. I distinguish this from mainstream Islam. I distinguish that from Islam. It is a kind of perversion of Islam. We saw this in various mosques in Berlin, Paris, in the U.K., and the like which publicly called themselves for the killing of Jews, where Jews and Judaism were characterized as perfidious enemies of Islam, where the Jews became, as it were, the Salman Rushdie of the nations.
Finally, there were hate-filled demonstrations in Europe this summer and since, which I personally witnessed, replete with genocidal chants of “Jews, Jews to the gas”, joined with or followed by the torching of synagogues, the attacks on Jewish community centres, attacks on Jewish identifiable people and places which caused the president of Germany's Central Council of Jews to say to me in Berlin when we met in November, “These are the worst times since the Nazi era. On the street, you heard things like, 'the Jews should be gassed, the Jews should be burned”.
As Roger Cukierman, the president of the Council of Jewish Institutions of France, put it, these were very frightening times, ”They are screaming ‘Death to the Jews'” in the streets. Eight synagogues were firebombed in four weeks in the last weeks of July, beginning of August alone. Similar statements were made to me by the chairman of the Jewish community in Belgium and elsewhere.
In a word, Israel is the only country and Jews the only people who are the standing targets of state-sanctioned incitement to hate and genocide, which finds expression in terrorist assaults as manifestations of it.
The second indicator is the globalizing indictment of Israel and the Jewish people as the embodiment of all evil, as being racists, imperialists, colonialists, ethnic-cleansing, child-killing, genocidal Nazi people and state, the embodiment of all the worst evils of the 20th century and constituted of all evils in the 21st century.
To sum up this second indicator and to close, it is not only that the Jewish people are the only people who are the standing targets of state-sanctioned incitement to hate and genocide, but they are the only people who are themselves accused of being genocidal. That is a kind of incitement that leads, and has led, to terrorist assaults upon them.