Monsieur le président, membres du Comité, merci.
Je suis la présidente de la Commission électorale fédérale des États-Unis. Je représente un organisme bipartisan, mais les opinions que je vais exprimer sont entièrement les miennes.
Je vais passer du sujet de la protection de la vie privée aux campagnes d'influence.
En mars de cette année, le conseiller spécial Robert S. Mueller III a terminé son rapport d'enquête sur l'ingérence russe dans l'élection présidentielle de 2016. Ses conclusions donnaient froid dans le dos. Le gouvernement russe s'est ingéré dans l'élection présidentielle de 2016 de manière générale et systémique. Tout d'abord, une entité russe a mené une campagne dans les médias sociaux qui a favorisé un candidat à la présidence et dénigré l'autre. Deuxièmement, un service de renseignement russe a mené des opérations d'intrusion informatique contre des entités de la campagne, des employés et des bénévoles, puis a divulgué des documents volés.
Le 26 avril 2019, au Council on Foreign Relations, le directeur du FBI, Christopher A. Wray, a lancé une mise en garde contre une campagne d'influence étrangère agressive, malveillante et intensive consistant à « utiliser les médias sociaux, les fausses nouvelles, la propagande, les fausses personnalités, etc., pour nous monter les uns contre les autres, semer la discorde et la division, et saper la foi des Américains à l'égard de la démocratie. Il ne s'agit pas seulement d'une menace liée au cycle électoral; il s'agit plutôt d'une menace permanente, 365 jours par année. Et cela a manifestement continué. »
Bien qu'il ait noté que « d'énormes progrès ont été réalisés depuis 2016 par l'ensemble des organismes fédéraux, les responsables électoraux des États et des municipalités, les entreprises de médias sociaux, notamment, pour protéger l'infrastructure physique de nos élections », il a déclaré: « Je pense que nous reconnaissons que nos adversaires vont continuer à adapter et à améliorer leur jeu. Nous voyons donc 2018 comme une sorte de répétition générale pour le grand spectacle de 2020. »
La semaine dernière, à la Chambre des représentants, un représentant du département de la Sécurité intérieure a également souligné que la Russie et d'autres pays étrangers, dont la Chine et l'Iran, ont mené des activités d'influence lors des élections de mi-mandat de 2018 et des campagnes de communication qui visaient les États-Unis pour promouvoir leurs intérêts stratégiques.
Aux États-Unis, comme vous le savez probablement, l'administration des élections est décentralisée. Cela relève des États et des administrations locales. Cela signifie que la protection des infrastructures physiques des élections relève d'autres fonctionnaires. Je parle des installations physiques gérées par les gouvernements des États et les administrations locales. Il est essentiel qu'ils continuent d'assurer ce rôle.
Cependant, depuis mon siège à la Commission électorale fédérale, je travaille tous les jours avec un autre type d'infrastructure électorale, le fondement de notre démocratie: la conviction que les citoyens savent qui influence nos élections. Cette conviction a été la cible d'attaques malveillantes de la part de nos ennemis étrangers, par l'intermédiaire de campagnes de désinformation. Cette conviction a été minée par l'influence corruptrice de fonds occultes qui pourraient masquer des bailleurs de fonds étrangers illégaux. Cette conviction a subi les assauts répétés de campagnes de publicité politique en ligne de sources inconnues. Cette conviction a été ébranlée par des cyberattaques contre des responsables de campagnes politiques mal équipés pour se défendre par leurs propres moyens.
Cette conviction doit être restaurée, mais elle ne peut l'être par la Silicon Valley. Nous ne pouvons laisser la reconstruction de cet élément de notre infrastructure électorale aux sociétés de technologie, celles qui ont conçu les plateformes que nos rivaux étrangers utilisent à mauvais escient en ce moment même pour attaquer nos démocraties.
En 2016, le contenu généré par de faux comptes établis en Russie a été vu par 126 millions d'Américains sur Facebook et 20 millions d'Américains sur Instagram, pour un total de 146 millions d'Américains alors que pour cette élection, on comptait seulement 137 millions d'électeurs inscrits.
Aussi récemment qu'en 2016, Facebook acceptait le paiement en roubles pour des publicités politiques sur les élections américaines.
Pas plus tard que l'année dernière, en octobre 2018, des journalistes se faisant passer pour des sénateurs du Sénat des États-Unis — tous les sénateurs — ont tenté de placer des annonces en leur nom sur Facebook. Facebook a accepté dans tous les cas.
Par conséquent, lorsque ceux qui faisaient partie de l'autre groupe de témoins n'arrêtaient pas de nous dire qu'ils contrôlent la situation, nous savons que ce n'est pas le cas.
Je souligne au passage que j'ai aussi invité M. Mark Zuckerberg et M. Jack Dorsey, et d'autres, à venir témoigner lors des audiences de la Commission portant sur la divulgation de la publicité sur Internet. Encore une fois, ils ne se sont pas présentés, mais sans envoyer de représentant, cette fois. Ils se sont contentés d'envoyer des commentaires écrits. Donc, je compatis avec vous.
C'est tout simplement très important pour nous tous. Aux États-Unis, les dépenses en publicité politique numérique ont augmenté de 260 % de 2014 à 2018, d'une élection de mi-mandat à l'autre, pour un total de 900 millions de dollars en publicité numérique lors des élections de 2018. C'était toujours moins que les dépenses pour la publicité radiodiffusée, mais en matière de publicité politique, le numérique est évidemment la voie de l'avenir.
Des propositions constructives ont été présentées aux États-Unis pour tenter de régler ce problème. Il y a la loi sur les publicités honnêtes, qui assujettirait les publicités sur Internet aux mêmes règles que les publicités radiodiffusées, ainsi que la Disclose Act, qui accroîtrait la transparence et la lutte contre les fonds occultes. Au sein de mon propre organisme, je tente de promouvoir une règle qui permettrait d'améliorer les avis de non-responsabilité pour toute publicité en ligne. Jusqu'à présent, tous ces efforts ont été contrecarrés.
Or, les plateformes ont heureusement tenté de faire quelque chose. Elles ont essayé d'aller plus loin en partie pour éviter la réglementation, j'en suis convaincue, mais aussi pour répondre à l'insatisfaction généralisée à l'égard de leurs pratiques en matière d'information et de divulgation. Elles ont amélioré, du moins aux États-Unis, leur processus de divulgation des commanditaires des publicités, mais ce n'est pas suffisant. Des questions reviennent sans cesse, par exemple sur les critères qui déclenchent l'obligation de publier un avis de non-responsabilité.
Peut-on se fier aux avis de non-responsabilité pour identifier correctement les sources des publicités numériques? Selon l'étude portant sur les 100 annonces des sénateurs, cela ne semble pas possible, du moins pas toujours. Lorsque le contenu est transmis, l'information d'identification est-elle transmise en même temps? Comment les plateformes gèrent-elles la transmission d'informations cryptées? La communication poste-à-poste est une avenue prometteuse pour l'activité politique, et elle soulève un lot d'enjeux potentiels. Quelles que soient les mesures adoptées aujourd'hui, elles risquent fort de cibler les problèmes du dernier cycle et non du prochain, et nous savons que nos adversaires ne cessent d'améliorer leur jeu, comme je l'ai dit, d'improviser et de modifier constamment leurs stratégies.
Je suis également très préoccupée par le risque d'un afflux de fonds étrangers dans notre système électoral, en particulier par l'intermédiaire des entreprises. Cette préoccupation n'a rien d'hypothétique. Nous avons récemment clos un cas d'application de la loi lié à des ressortissants étrangers qui ont réussi à verser 1,3 million de dollars dans les coffres d'un super PAC lors des élections de 2016. Ce n'est qu'une des méthodes employées par les ressortissants étrangers pour faire sentir leur présence et exercer une influence, même dans nos campagnes politiques au plus haut échelon.
Aux États-Unis, les cas et les plaintes de ce genre sont de plus en plus courants. De septembre 2016 à avril 2019, le nombre d'affaires dont la Commission a été saisie — ce qui comprend les violations présumées de l'interdiction visant les ressortissants étrangers — est passé de 14 à 40. Au 1er avril de cette année, 32 affaires étaient en instance. Il s'agit d'une autre préoccupation constante liée à l'influence étrangère.
Tout ce que vous avez entendu aujourd'hui indique qu'il faut réfléchir sérieusement à l'incidence des médias sociaux sur notre démocratie. La philosophie d'origine de Facebook, « bouger vite et bouleverser les choses », élaborée il y a 16 ans dans une chambre de résidence d'université, a des conséquences ahurissantes lorsque l'on considère que les médias sociaux sont peut-être en train de bouleverser nos démocraties elles-mêmes.
Facebook, Twitter, Google et autres géants de la technologie ont révolutionné notre façon d'accéder à l'information et de communiquer. Les médias sociaux ont le pouvoir de favoriser le militantisme citoyen, de diffuser de la désinformation ou des discours haineux de manière virale et de façonner le discours politique.
Le gouvernement ne peut se soustraire à sa responsabilité d'examiner les répercussions. Voilà pourquoi je me réjouis des travaux de ce comité et je suis très reconnaissante de tout ce que vous faites, car cela a des retombées dans mon pays, même lorsque nous sommes incapables d'adopter nos propres règlements alors que vous le faites, dans d'autres pays. Les plateformes ont parfois des politiques uniformes partout dans le monde, et cela nous aide. Merci beaucoup.
Je vous remercie aussi de l'invitation à participer à cette réunion. C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.