Monsieur le Président, à titre de porte-parole en matière de famille, d’enfants et de développement social, je me réjouis de me lever de nouveau à la Chambre pour discuter du projet de loi C-78.
J’irai tout de suite au cœur du sujet. Il est clair que le projet de loi C-78 constitue une avancée, compte tenu du fait que l’actuelle Loi sur le divorce, vieille de 40 ans, ne répond plus efficacement aux problèmes rencontrés par les familles canadiennes dans le cadre d’un divorce.
J’aimerais illustrer ce fait en citant la sénatrice Landon Pearson. Elle a été nommée au Sénat en 1994 et a pris sa retraite en 2005. Je pense que la citation témoigne du fait qu’il y a longtemps qu’on dit que la Loi sur le divorce doit être modifiée. La sénatrice a occupé le poste de vice-présidente du Comité permanent des droits de la personne.
Au début des années 2000, elle disait déjà:
Lorsque des parents se séparent, la vie de leurs enfants est changée pour toujours. Les parents, les membres de la famille et les professionnels qui interviennent auprès des enfants ont la responsabilité d’assurer que le changement se fait autant que possible en douceur. Les enfants ont le droit de recevoir des soins et d’être protégés contre la violence et un stress émotionnel excessif. Ils ont également le droit de maintenir des relations importantes pour eux et d’exprimer leurs opinions. Ce n’est que lorsque ces droits et tous les autres droits qui leur sont garantis par la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant sont respectés que les enfants pourront accepter leur nouvelle situation et s’y adapter.
C’est pourquoi mes collègues néo-démocrates et moi allons appuyer ce projet de loi. Toutefois, je veux attirer l’attention de mes chers collègues sur la nécessité de ne pas se contenter du fait que ce texte constitue une avancée en soi. Selon moi, ce projet de loi mérite d’être amélioré.
Je pense que nous nous accordons tous sur le fait que les objectifs posés par le texte — soit la promotion de l’intérêt supérieur de l’enfant; la prise en compte de la violence familiale dans les décisions concernant les ententes parentales; la lutte contre la pauvreté infantile; et la recherche d’une meilleure accessibilité au système de justice familiale canadien — vont dans le bon sens. Cependant, la principale faiblesse de ce texte est que, trop souvent, il ne se donne pas les moyens de ses ambitions.
Les personnes qui ont témoigné devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne dans le cadre des travaux sur le projet de loi C-78 ont été nombreuses à dresser le même constat. Je tiens d’ailleurs à les remercier encore une fois. En effet, ce que je retiens de ces séances, c’est que les familles, les associations, les professionnels de la justice et les universitaires attendent tous une réforme complète de la Loi sur le divorce.
J’insiste donc sur le point suivant: puisque nous ne réformerons probablement pas à nouveau la Loi sur le divorce avant plusieurs décennies, ne laissons pas passer l’occasion que nous avons aujourd’hui. Ne réformons pas seulement pour réformer et soyons à l’écoute des recommandations formulées par les témoins lors des auditions en comité ou dans les mémoires que de nombreuses personnes nous ont fait parvenir. Il ne faut pas que, d’ici à quelques mois, nous constations que la Loi ne règle pas certains problèmes et qu’elle les touche en surface seulement.
Il faut s’assurer de bien faire les choses. Je ne voudrais pas que nous soyons dans une situation où nous avions été avertis et que nous étions en mesure de régler aujourd’hui. Je pense notamment aux situations de violence familiale ou au fait de bien prendre en compte le point de vue de l’enfant, en toute circonstance, dans les procédures de divorce.
J’aborderai donc trois questions, soit le fait de pleinement garantir l’intérêt supérieur de l’enfant, de tous les enfants; la gestion des situations de violence familiale; et le combat contre la pauvreté.
Premièrement, en ce qui concerne la promotion de l’intérêt supérieur de l’enfant, il ne faut pas que l’on aboutisse à une situation où l’intérêt de l’enfant est déterminé a priori par les parents ou par le juge.
C’est pourquoi il serait judicieux d’inclure au projet de loi un droit de l’enfant à être représenté par une tierce partie. De nombreuses études montrent que le fait d’interroger un enfant dans le cadre d’un tel processus est très bénéfique. Les professionnels constatent effectivement que lorsqu’une personne est là pour communiquer aux parents les préoccupations et les intérêts de leur enfant, le divorce se règle quasiment immédiatement.
Bien que le projet de loi fasse mention, au paragraphe 16(3), de la nécessité de prendre en compte « son point de vue et ses préférences, eu égard à son âge et à son degré de maturité », il me semble que le fait que l’enfant soit représenté donnerait la garantie que l’intérêt supérieur de l’enfant est au cœur des préoccupations en toutes circonstances.
Aussi, la formation sur la manière de tenir dûment compte du point de vue de l’enfant dans les affaires devant les tribunaux de la famille doit bénéficier d’une grande attention de notre part. Je pense que notre approche en la matière doit être fondée sur la Convention internationale des droits de l’enfant, ainsi que sur des pratiques exemplaires ayant cours au Canada et à l’étranger à cet égard. Plus largement d’ailleurs, la Convention relative aux droits de l’enfant devrait être incluse dans la section sur le meilleur intérêt de l’enfant.
Malheureusement, les représentants du ministère sont venus devant nous, au comité, pour nous dire que nous n’avions pas besoin d’intégrer nommément la Convention relative aux droits de l’enfant parce qu’il allait de soi que les tribunaux canadiens doivent respecter la Convention internationale des droits de l’enfant. Pourtant, plusieurs témoins sont venus nous dire que le fait de l’inscrire nommément, non seulement dans le préambule, mais aussi à l’intérieur de la loi, nous permettrait, ainsi qu’aux tribunaux, de mieux tenir compte de l’ensemble des principes qui sous-tendent cette convention. Ce point de vue n’a malheureusement pas été retenu.
Parallèlement à cela, il est très important que des services et des ressources soient mis à la disposition de l’enfant pour le soutenir psychologiquement.
Enfin, il est également fondamental que l’intérêt supérieur des enfants, de tous les enfants, soit pris en considération. De ce fait, il faut que les droits des enfants autochtones à leur culture, à leur religion et à leur langue soient reconnus à l’alinéa f) du paragraphe 16(3) sur l’intérêt de l’enfant.
D’ailleurs, le témoignage des représentants d’UNICEF Canada a été extrêmement pertinent pour appuyer ce point de vue. Pour eux, il est évident que la Convention internationale des droits de l’enfant vient appuyer le principe de tenir compte de la culture des enfants autochtones. Ici encore, comme je viens de le dire, nous pouvons nous appuyer sur l’article 30 de la Convention internationale des droits de l’enfant, qui reconnaît les droits de l’enfant autochtone à jouir de sa propre culture, à professer et à pratiquer sa propre religion, et à employer sa propre langue en commun avec les autres membres de son groupe.
J’aimerais lire une citation d’un témoignage que nous avons entendu en comité pour appuyer le fait que l’enfant soit représenté. Je pense notamment à la docteure Valerie Irvine, professeure à l’Université de Victoria, qui est venue nous faire part de ses études sur l’impact du divorce sur les familles. Voici ce qu’elle nous disait:
Les familles canadiennes ont besoin de plus de services intégrés, comme des analyses de données, l'élévation du rôle de l'équipe professionnelle de santé directe d'un enfant et la représentation juridique pour l'enfant.
C’est clair que, pour avoir de tels services professionnels, dans le cadre de cette loi sur le divorce, il faut venir en appui aux provinces qui sont responsables de voir à l’application de cette loi. On sait que, dans le cadre des services de santé, les services sociaux sont souvent le parent pauvre des provinces.
Barbara Landau disait à notre comité:
Je ne dis pas que les avocats ne devraient pas pouvoir parler à des enfants, seulement que les juges ne devraient pas le faire. Selon moi, faire entrer un enfant dans une salle de tribunal et de permettre à un juge de passer quelques minutes en cabinet avec lui est une expérience plutôt effrayante. [...]
Selon moi, les professionnels de la santé mentale sont les mieux placés pour suivre une formation sur le travail auprès des enfants. Le fait d'interroger un enfant dans le cadre d'un tel processus est vraiment utile. Presque chaque cas est réglé quasiment immédiatement lorsqu'une personne est là pour communiquer aux parents les préoccupations et les intérêts de leur enfant.
On sait que dans le cadre d’un divorce, chaque parent est représenté par des avocats, et bien que les deux parents soient préoccupés par le sort de leur enfant, le processus fait en sorte que l’intérêt de l’enfant peut être perdu de vue, même involontairement. Si un professionnel est présent à chaque étape du processus pour parler au nom de l’enfant et qu’il n’est pas intimidé par ce cadre judiciaire, c’est là où on peut vraiment dire que l’enfant est au cœur de nos préoccupations.
Deuxièmement, j’aimerais discuter de trois éléments relatifs à la violence familiale. D'abord, le fait d'intégrer au projet de loi une définition de la violence familiale est une excellente chose. La définition est volontairement large afin de prendre en compte la complexité et la variété des types de violence familiale. Néanmoins, de nombreuses associations ont, à raison, attiré notre attention sur l'importance de reconnaître explicitement dans la définition de la violence familiale qu’il s’agit d’une forme de violence envers les femmes.
L’objectif n’est pas de minimiser les cas de violence faite aux hommes, mais plutôt de reconnaître un fait: la violence familiale a, dans l’immense majorité des cas, un caractère genré puisque ce sont plus souvent des hommes qui infligent de la violence à des femmes. Les statistiques sont claires.
Ensuite, nous devrions préciser dans le projet de loi que la violence familiale constitue une minorité des recours aux modes alternatifs de règlement des différends. De nombreuses associations, des universitaires également, s’inquiètent que le fait de sortir du cadre de l’institution judiciaire ne donne des ressources supplémentaires au parent violent pour dominer sa ou ses victimes.
Par conséquent, il est essentiel de prévoir dans ce projet de loi des dispositions pour former les professionnels de la justice à détecter, à comprendre et à traiter les situations de violence familiale.
Je vais prendre un instant pour rendre à nouveau hommage à deux organismes communautaires de ma circonscription qui font un travail incroyable au quotidien pour les enfants dans le cadre du divorce de leurs parents et pour toutes les femmes en situation de violence conjugale. L'expertise de ces organismes a été très utile pour bien comprendre et documenter mon travail en comité sur ce sujet.
Je veux d’abord remercier l’association Le Petit Pont, qui permet la création et le maintien du lien parent-enfant dans un milieu neutre, familial et harmonieux, en contexte de séparation et de conflit. L'intérêt de l'enfant et sa sécurité, tant physique que psychologique, sont la priorité de cet organisme, qui agit à la fois à Saint-Hyacinthe et à Longueuil.
Je souhaite également vous faire part de ma gratitude envers l’organisme La Clé sur la porte qui, en 37 ans d’existence, a accueilli plus de 4 000 femmes venues de toutes les régions du Québec. L’organisme, en plus de l’hébergement pour les femmes victimes de violence conjugale et leurs enfants à Saint-Hyacinthe, offre des programmes d’aide à Acton Vale et à Belœil. La Clé sur la porte a une approche entièrement axée sur la sécurité des femmes et des enfants.
Ces deux organismes constatent chaque jour les ravages des violences familiales faites aux femmes et les conséquences indirectes sur leurs enfants dont nous savons que le bien-être est étroitement lié à celui de leurs parents. Ces organisations pourraient donc témoigner de l’importance des trois modifications dont je viens de parler.
Dernièrement, rien dans ce projet de loi, pas plus que dans les interventions du ministre de la Justice, ne me convainc de l'efficacité du projet de loi C-78 en matière de réduction de la pauvreté. Les dispositions visant à faciliter le règlement des ordonnances alimentaires sont une bonne chose, mais que faire dans les situations où le parent qui doit payer n'en a pas les moyens?
Par ailleurs, l'accès à la justice est limité pour les familles les plus fragiles économiquement. En effet, une procédure de divorce coûte cher, un avocat coûte cher, un notaire coûte cher, et les revenus s'amenuisent du fait de la séparation. L'incitation aux modes alternatifs de règlement des différends, rendue obligatoire par le projet de loi, a toutes les chances d'être efficace en matière de résolution des conflits, mais risque dans le même temps de créer de nouvelles inégalités en matière d'accès à la justice, car ces dispositifs seront eux aussi coûteux. Il est donc primordial que ce projet de loi appelle à prévoir des fonds pour soutenir les plus défavorisés de nos concitoyens et à garantir une réelle égalité dans l'accès à la justice. Il faut vraiment prévoir des fonds à transférer vers les provinces pour mettre en place des équipes de professionnels.
Plusieurs témoins sont venus nous en parler. Je pense entre autres à une témoin qui nous disait qu'à cause de sa situation financière, elle a pu faire appel à des experts et à des services psychologiques de soutien pour ses enfants et accéder à des ressources pour bien se défendre. Cependant, à la lumière de son expérience, elle trouvait important de venir témoigner pour dire que c'était évident pour elle que l'ensemble des familles ne pouvaient pas avoir accès aux mêmes ressources et que les enfants de ces familles plus démunies devaient donc affronter seuls cette situation. Nous devons donc prévoir des fonds pour ces services sociaux. Comme on le sait, l'accès à l'aide juridique est de plus en plus limité. Nous devons donc nous assurer que tous les Canadiens et les Canadiennes ont le même accès à la justice.
Si les libéraux ont vraiment l'intention de réduire la pauvreté chez les enfants, ce n'est certainement pas avec le projet de loi C-78 que ce sera possible. D'ailleurs, le ministre de la Justice nous disait plus tôt que ce projet de loi ne pourrait pas régler cela. Il nous a mentionné encore une fois, comme bien de ses collègues libéraux, l'Allocation canadienne pour enfants. Or nous savons bien que cette allocation ne peut pas tout régler. Je me permets donc de profiter de cette invitation du ministre pour donner à mes collègues d'en face des pistes de solution pour réellement enrayer la pauvreté chez les enfants.
D'abord, on doit élaborer une réelle stratégie nationale pour l'éradication de la pauvreté infantile. Il ne suffit pas de se donner des cibles, il faut aussi se donner des moyens pour y arriver, ce que l'actuelle stratégie ne permet pas. Ensuite, on doit construire des logements abordables pour les familles, pour les aînés et ceux qui en ont besoin maintenant. Un nombre trop important de nos concitoyens paient plus de 30 % de leurs revenus pour se loger. Dans certaines régions, c'est 50 % de la population. En outre, cela nous prend une assurance-médicaments pour tous et un système universel de garderies. On doit également instaurer un salaire minimum de 15 $ l'heure. Voilà de véritables politiques sociales qui vont faire en sorte de réduire concrètement la pauvreté infantile. J'espère qu'on ne fera pas le chemin à moitié et que le gouvernement tiendra compte des recommandations qui lui ont été faites tant par les témoins que par l'opposition.
Nous devons tenir compte de l'ensemble des recommandations. J'ai été très impressionnée par la préparation des témoins qui sont venus comparaître devant notre comité. Nous avons proposé des amendements qui, malheureusement, n'ont pas été retenus. J'espère donc que les travaux de la Chambre nous permettront d'aller plus loin. Après tout, nous souhaitons tous le meilleur pour nos familles, et surtout, pour nos enfants.