propose que le projet de loi C-274, Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu (transfert d'une petite entreprise ou d’une société agricole ou de pêche familiale), soit lu pour la deuxième fois et renvoyé à un comité.
— Monsieur le Président, je ne vous cacherai pas que je me sens très heureux présentement de pouvoir débattre ce projet de loi. C'est la première fois que j'ai la chance de déposer un projet de loi émanant d'un député à la Chambre et en débattre, puisque je n'ai pas eu l'occasion de le faire lors de la dernière législature.
Le projet de loi C-274 vise à corriger et à éliminer une injustice flagrante en ce qui a trait aux transferts de nos fermes et de nos PME. C'est une question qui est fondamentale aujourd'hui plus que jamais en raison de la question démographique, qui fait en sorte que 76 % des propriétaires de PME pensent effectuer un transfert d'entreprise pour prendre leur retraite d'ici 10 ans et que 50 % des propriétaires de fermes désirent faire la même chose, également d'ici 10 ans.
L'injustice que ce projet de loi vise à corriger, c'est que si on possède une PME, une ferme ou même un bateau de pêche que l'on veut vendre à ses enfants, dans une structure d'incorporation, le vendeur, donc le propriétaire de la PME ou de la ferme familiale en question, va payer beaucoup plus d'impôt que s'il décidait de vendre à un étranger.
Dans un très grand nombre de cas, cela représente le choix entre avoir une bonification de son fonds de pension en vendant à un étranger — puisque c'est un fonds de pension qu'on a lorsqu'on vend son entreprise — ou une diminution de son fonds de pension si on vend à ses enfants. La différence peut être extrêmement importante. Si on exclut la planification fiscale qu'une telle transaction peut entraîner, pour la vente d'une ferme de 10 millions de dollars, ce qui, avec tous les actifs, est bien souvent un prix raisonnable, la vente à un enfant peut coûter jusqu'à 1,2 million de dollars de plus en impôt à payer que si on vendait à un étranger. Dans le cas de la vente d'une entreprise de 1 million de dollars, cette différence peut représenter plus de 300 000 $ en impôt à payer.
La raison est très simple: si on veut vendre à ses enfants, à quelqu'un qui nous est apparenté, la Loi de l'impôt sur le revenu prévoit qu'il s'agit d'un dividende. Par conséquent, c'est traité comme un dividende sur le plan fiscal fiscal. Dans l'ensemble du pays, un dividende est taxé à environ 35 % en moyenne.
Si on vend à quelqu'un qui ne fait pas partie de la famille, donc à une personne non apparentée, à un étranger, c'est plutôt considéré comme étant un gain en capital. Dans ce cas, il y a une exemption à vie d'environ 825 000 $ pour une entreprise et d'environ 1 million de dollars pour une ferme ou un bateau de pêche. Le gain en capital est taxé à environ 25 % du reste de ce montant, en moyenne. Cela explique la différence entre la vente à un étranger et la vente à un enfant.
De toute évidence, c'est une injustice. Nous avons partout dans nos circonscriptions des propriétaires d'entreprise. Les gens qui veulent vendre leur PME, leur ferme familiale ou leur bateau de pêche, par exemple pour les provinces de l'Atlantique, se trouvent devant un choix extrêmement déchirant. Vont-ils accepter de vendre leur entreprise à un membre de la famille et avoir 100 000 $, 125 000 $ ou 150 000 $ de moins dans leur fonds de pension, parce qu'ils veulent voir leur enfant leur succéder, voir quelqu'un de leur famille prendre la relève d'une entreprise qu'ils ont bâtie de leurs propres mains? Ils peuvent aussi ne pas avoir la possibilité de le faire si leur fonds de pension n'est pas suffisant. Malheureusement, au lieu de vendre à leur enfant qui serait prêt à prendre la relève, ils doivent considérer vendre à un étranger.
Mon projet de loi vise à corriger cette injustice. J'avoue qu'il y a une part d'égoïsme là-dedans, car c'est une situation qui existe de façon constante dans ma circonscription. En fait, le projet de loi a été préparé avec les agriculteurs et les PME de ma circonscription. Rimouski-Neigette—Témiscouata—Les Basques fait partie de la région du Bas-Saint-Laurent, et 12 % de l'économie de cette région dépend de l'agriculture.
Nous avons plusieurs fermes familiales, en particulier des fermes laitières, ainsi que des érablières. Dans ma circonscription, ce ne sont pas des grandes entreprises qui font rouler l'économie, mais davantage les PME.
Dès mon premier mandat en 2011, on me faisait part de cette situation, particulièrement dans le milieu agricole, où on se retrouve devant le choix de vendre à un enfant, et qu'il y ait une perte fiscale, ou de vendre à un étranger.
La situation est devenue plus pointue depuis qu'on entend parler de la spéculation sur les terrains. Des gens veulent acheter des terres agricoles pour un jour ou l'autre spéculer sur leur valeur.
Ces gens ont déjà un avantage au départ, puisque leur offre signifie que le vendeur de l'entreprise ou de la ferme aura beaucoup moins d'impôt à payer. La situation est présentement inéquitable.
Mon projet de loi a été conçu pour régler la situation et faire en sorte qu'on va considérer la vente d'une entreprise ou d'une ferme familiale à un enfant comme étant un gain en capital. Ce serait le même traitement que si on vendait à un étranger.
Je dirais qu'il n'y a pas vraiment de raison de s'opposer à une telle mesure. Par le passé, il y avait trois raisons pour lesquelles on pouvait s'y opposer. Tout d'abord, cela pouvait ouvrir la voie à un évitement fiscal abusif. C'est en fait la raison pour laquelle le traitement est différent présentement. Mon projet de loi élimine cette possibilité, en exigeant de l'acheteur qu'il conserve ses parts pendant un minimum de cinq ans, sauf en cas de décès. Si la personne garde ses parts pendant cinq ans, c'est qu'elle jouit d'un transfert familial véritable et non d'une manipulation pour éviter de payer l'impôt.
Le deuxième élément pour lequel on pourrait s'y opposer, ce serait de dire que ce seront les fermiers ou les entrepreneurs les plus riches qui vont en bénéficier. Encore là, ce n'est pas le cas, parce que dans mon projet de loi, les transactions visées sont celles d'au plus 15 millions de dollars. Toutes les transactions supérieures à 15 millions de dollars, comme celles concernant de grandes fermes ou de grandes entreprises, sont exclues des modalités du projet de loi C-274.
La troisième raison pour laquelle on pourrait s'y opposer, la dernière à laquelle je peux penser, c'est le coût du projet de loi. Évidemment, il y aura un coût en matière de revenus perdus pour le gouvernement. Ce coût est estimé non pas à des centaines de millions de dollars, mais entre 75 et 90 millions de dollars. Je sais qu'il y a des chiffres différents fournis particulièrement par le ministère des Finances, mais les miens sont corroborés par plusieurs fiscalistes. La raison pour laquelle on parle de 75 à 90 millions de dollars, c'est que, présentement, tout cet impôt potentiel payé de plus par nos vendeurs de PME ou encore de fermes familiales est réduit par une planification fiscale.
Je dirais que ces chiffres sont confirmés par une autre réalité. En effet, le Québec, qui a son propre système d'imposition sur le revenu, a aussi constaté le problème. Il l'a corrigé dans son budget de 2015 et c'est appliqué depuis mars 2016. Il élimine ce problème d'une façon un peu différente de ce que fait mon projet de loi, mais au bout du compte, il estime qu'en éliminant cette injustice, il aura environ 15 millions de dollars en perte de revenus.
Si le Québec perd 15 millions de dollars, je pense qu'il est tout à fait plausible de penser qu'au niveau fédéral, les pertes de revenus seraient d'environ 75 à 90 millions de dollars.
Il faut corriger une injustice flagrante. Quand je parle d'injustice, imaginons la situation contraire. Si nous avions présentement un terrain de jeu égal, une situation équivalente entre une vente à un étranger et une vente à un enfant, et qu'un député déposait un projet de loi visant à donner un traitement favorable à la vente à un étranger, pensons-nous que la Chambre accepterait une telle situation? Adopterait-elle un projet de loi similaire? Bien sûr que non, poser la question, c'est y répondre.
J'aimerais préciser que je ne suis pas le seul à la Chambre à constater le problème. Selon ce que j'ai pu comprendre, je sais que j'aurai l'appui d'un grand nombre, sinon de la totalité des députés de l'opposition. J'ai hâte d'entendre les discours.
Il faut se rappeler qu'en juin 2015, avant la dernière élection, le député libéral de Bourassa avait déposé le projet de loi C-691 qui visait à corriger cette injustice concernant les PME. Mon projet de loi, à tout le moins en ce qui a trait à la composante des PME, s'est inspiré de son projet de loi et de celui de ma collègue de Berthier—Maskinongé qui a rédigé des dispositions pour les fermes et pour les entreprises de pêche. Ma collègue de Joliette de l'époque avait aussi rédigé une section qui parlait de la transaction entre frère et soeur.
Mon collègue libéral de l'époque reconnaissait l'existence du problème et le gouvernement du Québec l'a aussi reconnu et corrigé. Je m'attends à ce que les députés réfléchissent à l'ensemble des PME et des fermes familiales dans leur circonscription. J'aimerais aussi que les députés d'un océan ou de l'autre pensent à l'impact que cela pourrait avoir sur les entreprises de pêche.
On parle de petites entreprises et de gens qui ont travaillé toute leur vie pour essayer de gagner leur pain, au bout du compte, qui ont souvent récupéré ou relancé l'entreprise familiale, ou encore qui l'ont créée de toute pièce et qui veulent maintenant qu'elle reste dans la famille.
Ce que ce gouvernement dit à ces Canadiens depuis toujours, c'est qu'ils doivent subir cette injustice, lorsqu'ils vendent leur entreprise à leurs enfants. Or, à mon avis, c'est tout à fait inéquitable. Je peux expliquer cela.
Mon collègue de Pierre-Boucher—Les Patriotes—Verchères avait tenté de déposer un projet de loi à la suite d'une situation qui avait eu lieu dans sa circonscription et qui avait fait les manchettes au mois de mai. Il s'agit de Christian Tremblay, d'Armoires Tremblay, à Saint-Mathieu-de-Beloeil, qui désire vendre son entreprise à son fils Patrick, et son entreprise vaut 1,7 millions de dollars.
Quelle ne fut pas sa surprise de réaliser que, s'il la vendait à son fils plutôt qu'à un étranger, il paierait 100 000 $ de plus en impôts. Il trouve la situation tout à fait inéquitable. Va-t-il la vendre à son fils et toucher 100 000 $ de moins sur une vente de 1,7 million de dollars, ou va-t-il la vendre à un étranger pour pouvoir conserver cet argent dans son compte? Cette situation a été médiatisée, et des milliers d'autres comme celles-ci se produisent et se produiront de plus en plus en raison des changements démographiques que nous allons vivre au cours des 10 prochaines années.
Par ailleurs, j'aimerais parler d'un problème que mon projet de loi va corriger, particulièrement dans les régions. Je dirais que mon projet de loi a peut-être une plus grande importance dans des régions comme la mienne qu'il pourrait en avoir dans de grands centres urbains, parce que nous faisons face à l'exode des jeunes.
En effet, dans ma circonscription, les jeunes quittent la région parce qu'ils ne voient pas de débouchés; ils vont étudier dans les grands centres et ne reviennent pas en région.
Mon projet de loi ne corrigera pas entièrement cette situation. Il va toutefois donner une raison de plus à nos jeunes de rester dans la région, en leur donnant une chance de plus d'acquérir l'entreprise familiale. C'est une réalité dont on me parle constamment dans Rimouski-Neigette, dans Témiscouata et dans Les Basques, et je sais que les députés de la Chambre qui représentent des régions voient également cette réalité et en entendent parler.
J'ai fait bien du kilométrage au Canada pour promouvoir mon projet de loi. Durant deux semaines, l'été dernier, j'ai fait une tournée des provinces de l'Atlantique pour parler à des chambres de commerce, à des organisations agricoles et à des organisations de pêcheurs, afin de leur présenter mon projet de loi, évidemment, et savoir s'ils désireraient l'appuyer. En grande partie, ils ont dit oui.
J'ai fait la même chose dans quelques régions du Québec et en Saskatchewan il n'y a pas si longtemps, et je vais continuer de le faire jusqu'à ce que nous votions ce projet de loi à l'étape de la deuxième lecture. Je dirais que cela fonctionne, parce que j'ai eu des appuis absolument incroyables.
J'avais organisé une conférence de presse lors du dépôt de mon projet de loi à l'étape de la première lecture, au mois de mai dernier. Dan Kelly, le président de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante qui appuie ce projet de loi, était en ma compagnie.
J'ai également l'appui de grandes chambres de commerce, que ce soit la Fédération des chambres de commerce du Québec, la Chambre de commerce du Montréal métropolitain et différentes chambres de commerce régionales dans ma circonscription et dans ma région, comme partout au Québec. De plus, j'ai des appuis provenant de la Fédération canadienne de l'agriculture, comme j'en ai de l'Union des producteurs agricoles, l'UPA, et d'autres organisations agricoles de partout au pays. Enfin, j'ai des appuis d'organisations de pêcheurs, dont la Nova Scotia Fish Packers Association, et j'en aurai d'autres. Je n'abandonnerai pas cette lutte.
J'espère avoir l'appui des députés de la Chambre, qui verront que ce n'est pas un enjeu partisan et que cet enjeu touche chacune de leurs circonscriptions, partout au pays. À mon avis, c'est une victoire du gros bon sens que de voter en faveur de ce projet de loi pour assurer une équité du point de vue fiscal.
Mon projet de loi a éliminé toute possibilité d'abus du point de vue fiscal. Il élimine la possibilité que cela coûte cher de façon disproportionnée au gouvernement et il s'assure que ce ne sont pas les propriétaires ou les fermiers les plus riches qui vont en bénéficier.
Il n'y a donc aucune raison de voter contre ce projet de loi, et j'ai bien hâte d'entendre les débats de mes collègues, dont j'espère avoir l'appui pour pouvoir envoyer ce projet de loi au Comité permanent des finances à l'étape de la deuxième lecture.