Merci, monsieur le président.
Vous avez eu l'occasion hier et aujourd'hui de répondre à cette question à la Chambre, et malheureusement, vous n'en avez pas profité. Je dirai simplement ceci: même si nous avons une caméra dans la salle, ce n'est toujours pas la même chose que la télédiffusion en direct. Je ne crois pas que les autres réunions de comité suscitent beaucoup d'intérêt. Je sais que les partis de l'opposition ont demandé que celle du comité du patrimoine ne soit pas télévisée afin de libérer les ressources nécessaires pour téléviser la nôtre.
Cela dit, je vous renvoie à la lettre du 12 mai signée par quatre membres du Comité. Elle dit ceci:
À de nombreuses occasions, le premier ministre a porté préjudice à la conduite de l'affaire [du vice-amiral Mark Norman] en prévoyant à tort que l'enquête de la GRC donnerait lieu à des poursuites. Cela suggère que lui et son cabinet ont eu un accès inapproprié à des renseignements concernant une procédure pénale indépendante.
Il est également clair que le gouvernement a tenté de s'ingérer politiquement dans un contrat de construction navale. Quand cela a été révélé, il a réagi en dénigrant la réputation d'un officier de marine hautement respecté. Cela a eu un effet néfaste sur le moral des Forces armées canadiennes.
Si le Comité accepte d'étudier ces développements inquiétants lors d'une réunion d'urgence la semaine prochaine, nous serions prêts à proposer la motion suivante:
Que le Comité invite les témoins suivants à comparaître:
le vice-amiral Mark Norman;
le premier ministre Justin Trudeau;
le ministre de la Défense nationale, Harjit Sajjan;
le ministre de la Justice, David Lametti;
le ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale;
la ministre des Services publics et de l'Approvisionnement, Carla Qualtrough;
l'ancien président du Conseil du Trésor Scott Brison;
l'ancienne ministre des Services publics et de l'Approvisionnement Judy Foote;
le chef d'état-major de la Défense, Jonathan Vance;
l'ancien greffier du Conseil privé Michael Wernick;
le chef de cabinet du premier ministre, Katie Telford;
l'ancien secrétaire principal du premier ministre, Gerald Butts;
le député d'Orléans, Andrew Leslie;
le directeur des politiques de la ministre des Institutions démocratiques, James Cudmore;
qu'en vertu du paragraphe 10(3) de la Loi sur le Parlement du Canada, les témoins soient assermentés;
que chaque témoin comparaisse individuellement pendant au moins une heure;
que tous les témoins comparaissent au plus tard le 24 mai 2019;
que la réunion du Comité soit télévisée.
Voilà pourquoi nous sommes réunis aujourd'hui. Je vais maintenant parler de cette motion.
Comme nous le savons, la semaine dernière, la Couronne a suspendu toutes les accusations d'abus de confiance qui pesaient contre le vice-amiral Norman, en disant qu'il n'y avait aucune perspective raisonnable de condamnation. Tout de suite après, le ministre Sajjan annonçait qu'il assumerait tous les frais juridiques du vice-amiral Norman. Le vice-amiral Norman était vice-chef d'état-major de la Défense jusqu'à sa suspension en janvier 2017, mais il n'a pas été accusé par la GRC avant mars 2018. Il n'occupait donc pas son poste de vice-chef d'état-major depuis plus de 13 mois.
L'équipe qui assurait sa défense a allégué durant le procès que le Cabinet du premier ministre essayait de diriger la poursuite. Cela vient directement de l'équipe de défense du vice-amiral. En février, la GRC accusait un deuxième fonctionnaire d'abus de confiance à la suite de la fuite présumée de documents du Cabinet concernant la construction d'un ravitailleur, un contrat naval de 700 millions de dollars.
Il apparaît de plus en plus que le premier ministre Trudeau et le gouvernement libéral ont fait de l'ingérence politique dans cette affaire et ont tenté de détruire le vice-amiral Mark Norman. Ils ont terni sa réputation et son intégrité. Comme la poursuite l'a bien dit lors de la conférence de presse de la semaine dernière, les documents que le premier ministre avait en sa possession et que les libéraux tenaient absolument à ne pas divulguer à la poursuite, ni au vice-amiral Norman, sont les documents mêmes qui ont mené à l'abandon des accusations contre lui.
C'est une charge très accablante qui pèse sur le gouvernement du Canada. Il y a tout lieu de penser que le gouvernement libéral cachait délibérément des éléments de preuve afin de maintenir, pour des raisons politiques, une poursuite bidon contre le vice-amiral Mark Norman. Il y a tout lieu de croire à de l'ingérence politique, et les Canadiens méritent des réponses, tout comme nous, les parlementaires.
Cacher des documents clés qui auraient pu exonérer le vice-amiral Norman, utiliser des noms de code dans les échanges de courriels pour déjouer les demandes d'accès à l'information, faire préparer les témoins par des avocats du gouvernement... toute cette affaire obéit depuis le début à des mobiles politiques.
En tant que députés de l'opposition, nous allons nous employer à démontrer à quel point la conduite du premier ministre est consternante. Il est de notre devoir de parlementaires de demander des comptes au gouvernement.
Qu'on soit du parti ministériel ou qu'on occupe les banquettes de l'opposition, il est de notre devoir de demander des comptes au gouvernement. Lorsqu'il semble y avoir atteinte au système de justice, comme nous l'avons vu avec SNC-Lavalin et Jody Wilson-Raybould et comme nous le voyons avec le vice-amiral Norman, on dirait que nous avons un système de justice à deux paliers, un pour le premier ministre et ses amis et un pour tous les autres, dont le vice-amiral Norman.
Il y a beaucoup de questions qui exigent des réponses. Dans sa déclaration de la semaine dernière, le vice-amiral Norman a dit qu'il avait encore des choses à raconter que les Canadiens aimeraient entendre. Une partie de l'information a été rendue publique, et je tiens à ce qu'elle figure au compte rendu du Parlement. Pourquoi est-ce le vice-amiral Norman qui a été accusé? Est-ce pour des raisons politiques? Est-ce que cela venait directement du premier ministre ou de son cabinet?
Comme on peut lire dans le hansard du 14 mai, le premier ministre déclarait cette semaine:
Des mesures ont été prises contre le vice-amiral sur les instructions du chef d'état-major de la Défense. Tout le monde sait cela.
C'est une des raisons pour lesquelles nous voulons que le chef d'état-major de la Défense, le général Vance, vienne ici pour répondre aux accusations du premier ministre.
David Pugliese écrivait ce qui suit le 4 décembre:
Grâce aux dossiers déposés récemment par l'avocate de M. Norman, le public sait maintenant que le Bureau du Conseil privé a mené sa propre enquête interne sur la présumée fuite de renseignements. Cette enquête a permis de déterminer que 73 personnes étaient au courant du résultat de la réunion des ministres au sujet du navire de ravitaillement après qu'elle eut pris fin.
Nous fournirons le document qui énumère tous les noms.
Nous avons une question: pourquoi le gouvernement libéral ne divulguerait-il pas les documents que la cour a exigés par voie de subpoena? À la période des questions, le ministre Lametti affirmait pourtant:
[...] comme je l'ai dit à plusieurs reprises au cours des dernières semaines, le gouvernement et mon ministère en particulier ont rempli toutes leurs obligations en ce qui concerne les documents exigés dans cette affaire.
Nous l'avons entendu encore et encore pendant la période des questions. Le ministre ajoutait ceci:
Le système a bien fonctionné aujourd'hui. Les députés n'ont pas à me croire. Ils n'ont qu'à croire l'avocate du vice-amiral Norman, qui a dit que le droit avait primé.
Or, ce que Marie Henein a dit en fait, c'est plutôt ceci:
Il y a de quoi s'inquiéter lorsque quelqu'un tente d'ébranler la solidité du système de justice ou démontre qu'il ne comprend pas pourquoi elle est si essentielle aux valeurs démocratiques qui nous sont si chères. Tantôt on est d'accord avec ce qui se passe dans un tribunal, tantôt on ne l'est pas. Et c'est très bien. Mais ce qui ne se fait pas, c'est de peser du doigt sur la balance de la justice pour essayer de la faire pencher. Cela ne devrait pas se produire. Vous avez tous vu depuis six mois comme nous avons essayé, jour après jour, d'obtenir ce matériel. Il aurait dû nous être remis. Il aurait dû être remis à la GRC. Il aurait dû être remis à la poursuite. Il ne l'a pas été. Pourquoi? Je ne sais pas. Je vous laisse répondre à cette question.
C'est tiré directement de la conférence de presse donnée la semaine dernière par Marie Henein.
De même, pourquoi le gouvernement libéral s'est-il entêté à garder secrets ces documents qui auraient pu exonérer le vice-amiral Mark Norman il y a des mois, voire dès le début de cette terrible épreuve, il y a trois ans? Voici ce que disait à ce propos le correspondant Murray Brewster, de CBC:
Il n'est pas clair si la GRC ou la Couronne savaient avant de porter l'accusation d'abus de confiance que M. Norman avait reçu des consignes du gouvernement Harper.
Cette information aurait pu se trouver dans une pile de documents du Cabinet de l'époque conservatrice que le gouvernement libéral actuel a tenu à garder secrets.
« La GRC n'avait pas l'information et elle ne l'a pas examinée », a déclaré l'avocate de M. Norman, Marie Henein, la semaine dernière lors d'une conférence de presse tenue après que la Couronne eut suspendu l'accusation contre son client.
C'était la semaine dernière, le 13 mai, à CBC.
Maintenant, il paraît que certains de nos anciens ministres et le premier ministre Harper auraient pu refuser de lever le secret du Cabinet. Eh bien, Stephen Harper a réagi ainsi sur Twitter le 1er décembre 2018 à un article paru dans le Ottawa Citizen:
Cet article fait erreur et devrait être corrigé. Je n'ai fait part d'aucune objection à la publication de tout document relatif à l'affaire Norman. Il est évident qu'on cherche à détourner l'attention du gouvernement actuel.
Le premier ministre Harper avait donc donné au premier ministre Trudeau tout pouvoir d'accéder aux documents du Cabinet concernant l'affaire du vice-amiral Norman.
Il faut se demander aussi ce que le gouvernement libéral essayait de camoufler en utilisant des noms de code pour déjouer les demandes d'accès à l'information concernant le vice-amiral Norman. Voici ce qu'écrivait encore David Pugliese le 20 décembre:
Les Forces canadiennes enquêtent pour savoir si un général qui se serait vanté d'avoir caché par exprès des documents nécessaires à la défense du vice-amiral Mark Norman a agi de mauvaise foi [...] Un témoin appelé par les avocates de M. Norman a révélé que son supérieur, un brigadier-général, lui avait dit que le nom de Norman était délibérément omis dans les dossiers internes. Ainsi, toute recherche effectuée avec ce mot ne mènerait à rien.
Le témoin, un officier, a dit qu'il traitait une demande d'accès à l'information datant de 2017 qui ne donnait aucun résultat. Lorsqu'il a demandé des explications, le général lui aurait dit en souriant: « Ne vous en faites pas, ce n'est pas notre premier rodéo. Nous avons pris soin de ne jamais utiliser son nom. Répondez que la recherche n'a rien donné. »
C'est terrible de penser qu'au ministère de la Défense nationale, on ait reçu l'ordre de contourner nos lois sur l'accès à l'information et de cacher délibérément des documents qui auraient pu exonérer le vice-amiral Mark Norman et qui auraient pu servir à l'enquête de la GRC dès 2017.
On s'est posé des questions aussi sur la préparation de témoins par des conseillers juridiques au Cabinet du premier ministre. Nous voulons également savoir qui, au ministère de la Défense et au gouvernement du Canada, a pu conseiller à l'ancienne chef d'état-major du ministre de la Défense, Zita Astravas, de ne pas fouiller dans son téléphone personnel pour trouver des mentions du vice-amiral Norman, et pourquoi. Voici ce qu'écrivait Lee Berthiaume le 31 janvier:
Mme Astravas a témoigné qu'après avoir été assignée à comparaître, elle a cherché seulement dans son compte de téléphone et de courriel professionnel des archives se rapportant à Norman, et non dans son compte personnel, suivant les conseils, a-t-elle dit, d'avocats du ministère de la Défense.
Je pense que beaucoup de gens se demandent... quelques jours seulement après que le général à la retraite et député d'Orléans, Andrew Leslie, a offert de témoigner en faveur de son ami le vice-amiral Mark Norman. Voici ce que rapportait Evan Solomon le 3 mai:
CTV vient d'apprendre que l'ancien candidat vedette et maintenant député libéral sortant Andrew Leslie figure sur la liste des personnes qui pourraient être appelées à témoigner contre le gouvernement en faveur du vice-amiral suspendu Mark Norman dans l'affaire très médiatisée des fuites présumées de documents du Cabinet.
Quels renseignements Andrew Leslie avait-il qui ajouteraient du poids à notre enquête?
Nous voulons aussi savoir quels éléments de preuve l'équipe de défense du vice-amiral Norman a présentés à la Couronne pour qu'aussitôt le Service des poursuites pénales suspende les accusations parce qu'il n'y avait plus aucune perspective de condamnation. Jim Bronskill, de la Presse canadienne écrivait ceci:
Les enquêteurs de la GRC disent ne pas savoir pourquoi l'affaire Mark Norman s'est écroulée parce qu'ils n'ont pas vu les nouveaux éléments de preuve qui ont mené à la suspension d'une accusation d'abus de confiance contre l'officier de marine.
Si la GRC ne pouvait pas obtenir ces renseignements, nous devons savoir en quoi ils consistent. Nous savons maintenant par les médias que la GRC les cherche. Le gouvernement les a en sa possession. Pourquoi ne les transmet-il pas à la GRC? Le Service des poursuites pénales les a parce l'équipe de la défense les lui a donnés. C'est notre comité qui est le mieux placé pour obtenir toutes les réponses que nous cherchons.
La question est la suivante: le gouvernement libéral s'est-il servi du vice-amiral Norman pour montrer ce qui arrive à quiconque s'oppose au programme politique du premier ministre? Tout récemment, dans un reportage sur le fiasco des avions de chasse, l'Institut Macdonald-Laurier faisait allusion à l'affaire Norman en ces termes:
L'affaire Norman a montré de façon patente jusqu'où le gouvernement est prêt à aller pour étouffer les fuites.
On pouvait aussi lire ceci:
[...] le gouvernement libéral a utilisé avec succès un certain nombre de techniques pour dissimuler ses sommets d'incurie en matière d'approvisionnement. Il y a par exemple l'imposition sans précédent d'une consigne du silence à du personnel militaire et civil, dont les effets ont été amplifiés par le procès à venir du vice-amiral Mark Norman, accusé d'abus de confiance après la fuite de documents du Cabinet concernant le contrat du pétrolier ravitailleur d'escadre.
Voilà pourquoi nous avons besoin d'entendre la ministre Qualtrough, Scott Brison et Judy Foote.
Si on se pose sérieusement la question: y a-t-il eu ingérence politique dans un procès de la part de l'appareil bureaucratique du Cabinet du premier ministre...? Janice Dickson écrivait ce qui suit le 11 février, à propos de la juge Perkins-McVey, qui a d'ailleurs fait des commentaires à ce sujet au procès le 11 février:
L'allégation d'intervention du Bureau du Conseil privé a incité la juge de la Cour de l'Ontario qui présidait l'affaire lundi à remettre en question l'indépendance du Service des poursuites pénales du Canada. « Et voilà pour l'indépendance du SPPC », a lancé la juge Heather Perkins-McVey.
Des notes partiellement caviardées et un échange de courriels entre l'avocate de la défense Christine Mainville et une des procureurs principales, Barbara Mercier, ont été déposés en cour. Mme Mercier a écrit dans un courriel que les notes des réunions avec les fonctionnaires du Conseil privé étaient caviardées parce qu'elles portaient sur la stratégie à adopter au procès.
Les procureurs de la Couronne rencontraient donc les avocats du Conseil privé et les conseillers juridiques du premier ministre au sujet de la stratégie à adopter au procès. Voilà qui remet sérieusement en question l'indépendance de notre appareil judiciaire, surtout de la directrice des poursuites pénales, qui est censé être complètement indépendant du gouvernement.
Janice Dickson écrivait encore:
Selon Mme Mainville, la position de la Couronne est « plus préoccupante » que les allégations concernant SNC-Lavalin parce que la Couronne traitait directement avec le Bureau du Conseil privé.
C'est beaucoup plus accablant que ce qu'on a entendu dans l'affaire SNC-Lavalin. C'est pourquoi nous devons aller au fond des choses, pour assurer l'indépendance de notre appareil judiciaire.
Murray Brewster ajoutait ce qui suit le 15 février:
L'avocat principal du Bureau du Conseil privé aurait demandé aux procureurs fédéraux s'il était possible d'arranger les choses, « engineer the issues at stake », dans le procès intenté contre le vice-amiral Mark Norman.
Ces propos — tenus le 14 septembre 2018 et attribués à l'avocat du BCP Paul Shuttle — figuraient dans des notes de la poursuite déposées en preuve lors d'une audience préparatoire impliquant l'ancien vice-chef d'état-major de la Défense, qui fait face à une accusation d'abus de confiance.
Arranger les choses: là encore, il s'agit d'ingérence, de pressions et de contacts inappropriés entre le CPM, le BCP et la directrice des poursuites pénales.
Je demande aux membres du Comité permanent de la défense de profiter de l'occasion de lever le voile et de faire la lumière afin que nous puissions avoir une discussion et une enquête en profondeur, avec l'immunité parlementaire pour nos témoins, et prendre le temps d'aller au fond des choses. Nous savons que des membres des Forces armées canadiennes et des anciens combattants sont extrêmement préoccupés par la façon dont le vice-amiral Norman a été traité. Ils craignent que les consignes du silence, l'intimidation et le précédent établi par l'inculpation et la poursuite du vice-amiral Norman aient jeté un froid dans l'ensemble de l'armée et instauré une culture d'intimidation et de peur en raison des actes du gouvernement.
Pour ceux d'entre nous qui comptent d'importants regroupements de militaires dans leur circonscription, nous savons qu'il y a tout lieu de s'inquiéter du sort réservé au vice-amiral Mark Norman. Je demanderais à chaque député ayant ce genre de liens avec les militaires et avec nos anciens combattants... d'aller au fond des choses; qu'on débusque la vérité et qu'on laisse les Canadiens et nous, les parlementaires, nous assurer que nous avons bien un système juridique indépendant, qu'il y a une séparation entre l'État et notre ministère de la Justice, et qu'en matière de poursuites pénales, la politique ne joue pas avec l'indépendance de notre appareil judiciaire.