Bonjour, monsieur le président et membres du Comité.
Merci de m'avoir invité aujourd'hui pour parler du projet de loi C-93.
Tout d'abord, j'aimerais commencer par les aspects positifs. La philosophie du projet de loi proposé est bonne. Il est fondamentalement injuste que des gens traînent le boulet d'un casier judiciaire pour une conduite qui n'est plus illégale.
Comme nous le savons tous, dans notre société, un casier judiciaire est un obstacle considérable à la réussite. Il compromet la capacité d'une personne à décrocher un emploi, à étudier, à trouver un logement, à obtenir du financement, à faire du bénévolat et à voyager. Ce sont des obstacles, pris individuellement ou ensemble, à la capacité d'une personne d'intégrer la société, de contribuer positivement à la grande collectivité et de mener une vie productive et prosociale.
À l'injustice qui consiste à maintenir la condamnation au criminel de personnes ayant déjà été déclarées coupables de possession simple de cannabis s'ajoutent les effets inégaux et discriminatoires de la criminalisation du cannabis dans les groupes déjà marginalisés du Canada. À Toronto, par exemple, les Noirs représentent 8 % de la population, mais 25 % des personnes accusées de possession de cannabis entre 2003 et 2013. C'est vrai aussi pour les Autochtones. Prenons Regina, en Saskatchewan, où 9 % des résidants sont des Autochtones, mais où ils représentent 41 % des personnes accusées de possession de cannabis.
Historiquement, ces infractions ont eu des répercussions disproportionnées sur les personnes les plus vulnérables de notre société: les pauvres, les marginalisés, les personnes atteintes de maladies mentales, les personnes racialisées et les Autochtones. Si ces statistiques ne sont pas suffisantes, je peux vous dire que, d'après le flot continu — malheureusement — des clients dans mon bureau, les personnes qui sont accusées de possession simple de cannabis possèdent ces mêmes caractéristiques. Elles sont généralement issues de groupes marginalisés et, cruelle ironie du sort, ces condamnations au criminel marginalisent elles-mêmes davantage ces mêmes groupes, perpétuant ainsi le cycle de la criminalisation, de la stigmatisation et de l'inégalité.
Le projet de loi C-93 est sans aucun doute plein de bonnes intentions, et on devrait applaudir le gouvernement pour cela. Toutefois, même s'il s'agit d'une première étape positive et bien intentionnée — il y a toujours un « mais », surtout quand il y a un avocat — il demeure que le projet de loi comporte, à mon humble avis, de graves lacunes. Je vais vous les exposer tour à tour.
D'abord, le projet de loi exige que les personnes concernées présentent une demande de suspension de casier judiciaire auprès de la Commission des libérations conditionnelles du Canada. Une demande officielle doit être remplie et envoyée à la Commission des libérations conditionnelles pour examen. Certes, le projet de loi indique clairement qu'aucuns frais ne sont à payer pour cette demande particulière, contrairement aux demandes de suspension de casier ordinaires, je soupçonne que ce processus ne sera pas gratuit pour bon nombre de Canadiens.
Il existe de nombreuses sociétés qui, je cite, « aident » les gens à remplir leur demande de suspension de casier, pour des frais élevés. En fait, à ce jour, le premier site annoncé lorsqu'on lance une recherche sur Google avec les mots « cannabis pardon Canada », c'est un site à but lucratif offrant ses services pour un prix mensuel modique de 72 $ ou de 116 $ pour une procédure accélérée. Pour que ce soit bien clair, il s'agit d'un prix mensuel d'un plan de paiement sur 16 mois. Selon vous, quelles sont les personnes que le site Web cible et qui pourront payer 72 $ ou 116 $ par mois, selon un plan de paiement sur 16 mois?
Nous parlons d'un prix bas, très bas, de 1 152 $ à 1 856 $, et cela, bien sûr, sans tenir compte des frais que le gouvernement impose ou non pour ces demandes. N'oublions pas que les personnes les plus touchées par ces casiers judiciaires sont déjà en marge de la société: les personnes qui ont fait face à des obstacles systémiques nuisant à leur réussite à l'école, au travail ou ailleurs. Ce projet de loi, intentionnellement ou non, pourrait être un obstacle pour les personnes qui voudraient se prévaloir des avantages qu'il prétend offrir.
Bien sûr, à l'ère des données électroniques, la Commission des libérations conditionnelles du Canada peut de façon proactive trouver les casiers judiciaires liés aux condamnations criminelles pour possession simple de cannabis et les associer à toute mesure prévue par la loi, qu'il s'agisse d'une suspension du casier judiciaire, d'une radiation ou de quoi que ce soit d'autre. Selon moi, le fardeau de ces casiers devrait incomber au gouvernement. Si la perspective de remplir une demande du gouvernement n'est peut-être pas particulièrement intimidante, pour nous, mais pour les personnes qui font face à des difficultés sur le plan financier, éducatif ou de la santé mentale ou à d'autres difficultés, ce peut être une tâche pratiquement impossible.
Ensuite, le projet de loi C-93 exige que les personnes aient purgé leur peine avant de présenter une demande de suspension de casier judiciaire. Pourquoi? Pourquoi une personne resterait pénalisée, que ce soit par une véritable peine d'emprisonnement, par une peine d'emprisonnement avec sursis, par des conditions de probation ou d'une autre manière, pour une conduite qui n'est plus illégale?
Pourquoi les gens devraient-ils être obligés d'attendre la fin d'une longue période de probation, alors que l'infraction qu'ils ont commise n'existe même plus sous le régime de la loi?
Je suis d'avis qu'il faut immédiatement réparer l'injustice qui découle de ces condamnations, sans attendre la fin prévue de la période de probation, sans imposer d'amende ni n'importe quel autre type de pénalité. Les gens qui n'ont pas les moyens de payer leur amende ne pourront jamais finir de purger leur peine et ne pourront donc jamais demander une suspension de leur casier judiciaire.
Troisièmement, je veux parler de l'enjeu le plus important du projet de loi C-93: la nature même du mécanisme de suspension du casier. Le mot le dit: une suspension de casier judiciaire n'est pas un pardon. Le pardon n'existe plus. Ce n'est pas non plus une amnistie ni une radiation. C'est un processus prévu par la loi selon lequel le casier judiciaire est « suspendu », c'est-à-dire qu'il doit « être classé à part des autres dossiers [...] relatifs à des affaires pénales ». Une suspension du casier peut être révoquée, ce qui arrive automatiquement dès que la personne commet n'importe quelle infraction prévue au Code criminel ou dans la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
Cela va même plus loin. Une suspension du casier peut être révoquée si la Commission est convaincue que l'intéressé « a cessé de bien se conduire ». Je vais vous donner des exemples réels de gens que j'ai aidés parce que la Commission avait demandé la révocation de la suspension de leur casier. Ce sont des gens qui ont fait l'objet de nombreuses vérifications policières, fondées sur des renseignements ou non, ou qui ont été accusés d'infractions au code de la route, par exemple de conduite imprudente. À cause de cela, la Commission a conclu qu'ils allaient cesser de bien se conduire. Je suis cependant heureux de pouvoir vous dire que nous avons contesté la révocation de la suspension du casier et que nous avons gagné.
Malgré tout, le problème est entier. Pour ces gens, le casier judiciaire restera comme une épée de Damoclès toute leur vie. En outre, le ou la ministre conserve le pouvoir discrétionnaire d'autoriser la communication du dossier dans le cas où il ou elle est convaincu que cela « sert l'administration de la justice ou est souhaitable pour la sûreté ou sécurité du Canada ou d'un État allié ou associé au Canada. »
Je peux penser à un État allié ou associé au Canada qui serait très intéressé par les casiers judiciaires des personnes qui ont été reconnues coupable de possession simple de cannabis.
Autrement dit, même si leur casier est suspendu, l'infraction continue de peser sur les personnes qui ont été reconnues coupables. Aussi, et c'est le plus important, contrairement à ce qui est fait dans le cas d'une radiation, où la GRC et les autres organismes fédéraux doivent détruire tous les documents visés par l'ordre de radiation, rien de tel n'est exigé dans le cas d'une suspension du casier.
En résumé, le processus de demande qui est proposé élève en réalité un obstacle, en particulier pour les populations déjà marginalisées. Le projet de loi prévoit que les gens devront finir de purger leur peine avant de présenter une demande. À mon avis, et avec tout le respect que je vous dois, cette approche est illogique, contre-productive et inutile. Une suspension du casier n'équivaut pas à la destruction du casier judiciaire lui-même, ce n'est qu'une suspension — une suspension temporaire —, dont la révocation est prévue dans la loi ou tient à la discrétion de l'administration.
Quelle est donc la solution, dans ce cas?
Je devrais d'abord dire que le projet de loi C-93 est mieux que rien. Cependant, « mieux que rien », c'est demander très peu au Parlement. Vous pouvez, et devez, faire mieux. Je vous recommande donc vivement d'adopter un modèle de radiation similaire à celui que prévoit la Loi sur la radiation de condamnations constituant des injustices historiques. Les dossiers judiciaires relatifs aux condamnations pour possession simple de cannabis devraient être radiés automatiquement et de façon permanente.
Par conséquent, je vous propose d'étudier le projet de loi C-415, c'est un projet de loi d'initiative parlementaire parrainé par M. Murray Rankin. Il a été présenté par M. Rankin en octobre dernier. Ce projet de loi remplit beaucoup mieux son objectif, la véritable justice, en soulageant les personnes qui ont été condamnées pour possession simple de cannabis — quelque chose de légal, aujourd'hui — de leur stigmatisation et des conséquences disproportionnées de leur condamnation au criminel.
Dans son document d'information accompagnant le projet de loi, le gouvernement affirme que « la radiation est une mesure extraordinaire réservée aux cas où la criminalisation de l'activité en question et la loi n'auraient jamais dû exister, par exemple dans les cas où elle contrevenait à la Charte ».
Même si l'on pourrait débattre longtemps du premier élément de cette exigence, en ce qui concerne le cannabis, je peux vous dire, en tant qu'avocat criminaliste, que l'interdiction pénale du cannabis a causé beaucoup plus de tort que de bien. Il ne fait aucun doute que l'application beaucoup trop lourde de la loi brime le droit à l'égalité garanti par la Charte et va à l'encontre de nos valeurs constitutionnelles et fondamentales.
Le Canada doit réparer un tort historique, et le Parlement peut le faire au moyen de la radiation. Je vous demande instamment de suivre exactement cette voie.
Je vous remercie de votre bienveillante attention.