Madame la Présidente, je prends la parole aujourd'hui dans le cadre de la journée de l'opposition du Bloc québécois sur cette importante question des élections en temps de pandémie.
La motion va comme suit:
Que:
a) la Chambre rappelle au gouvernement que des élections générales se sont tenues en octobre 2019 et constate avec tristesse que plus de 1,3 million de Canadiens [...] ont été atteints de la COVID-19 et que près de 25 000 personnes en sont mortes [...]
La porte-parole en matière d'aînés ajoute ici qu'ils ont été les premières victimes de cette pandémie, et que nous ne devons pas tenter de les instrumentaliser en leur promettant par une basse manœuvre électoraliste un chèque unique de 500 $ au mois d'août, juste avant la période visée par le gouvernement pour lancer les élections en pandémie. Je poursuis ma lecture:
b) de l'avis de la Chambre, tenir des élections en temps de pandémie serait irresponsable, et qu'il est de la responsabilité du gouvernement de tout mettre en œuvre pour éviter que les électeurs soient appelés aux urnes tant et aussi longtemps que durera cette pandémie.
J'aborderai donc cette question cet après-midi sous trois aspects. D'abord, j'expliquerai le choix du thème de notre journée, puis je mettrai mon chapeau d'ancienne étudiante en journalisme et, finalement, mon chapeau d'ancienne étudiante en politique et profondément sociale-démocrate.
Je rappellerais donc, pour débuter, que le Bloc québécois est d'accord sur une chose: s'il y a des élections en temps de pandémie, des rajustements seraient effectivement nécessaires afin que le scrutin se déroule dans le respect des règles sanitaires édictées par le Québec et les provinces. La question est justement toute là: les élections doivent-elles être tenues?
Il y a plusieurs raisons motivant le dépôt de notre motion aujourd'hui. Du point de vue technique, le projet de loi contient les lacunes et des imprécisions importantes desquelles on doit discuter et débattre. Sur le plan de la santé publique, voire de l'éthique, des élections dans le contexte actuel ne sont pas une décision qui est responsable. Je vais donner un exemple précis.
En tant que porte-parole en matière d'aînés au Bloc québécois, je me préoccupe. Ce que nous aurions voulu changer dans la loi, c'est le fait qu'il y aurait des centres de votation où, peu importe comment cela sera organisé, dans les résidences, pendant les 16 jours précédant le scrutin, des travailleurs d'élection vont se relayer pendant 19 jours. Ce n'est pas nécessaire. Les électeurs ont plusieurs façons de voter. S'ils ne peuvent pas se déplacer, il y a toujours le vote par la poste, comme d'habitude.
Au-delà de l'aspect logistique, il y a aussi l'aspect psychologique d'avoir possiblement des inconnus dans la résidence qui incitent constamment à voter. Même si on ne sait pas encore comment cela va se passer, on peut l'imaginer.
Par ailleurs, en tant qu'ancienne étudiante en journalisme, je suis toujours intéressée par les commentaires des commentateurs. Je vais en citer quelques-uns. C'est pour montrer que ce n'est pas une lubie du Bloc, comme essaient de le faire croire par de beaux arguments les autres partis, mais notre motion d'aujourd'hui est collée sur les préoccupations des citoyens de Shefford qui m'ont écrit, du Québec et du Canada.
D'abord, il y a eu Mario Dumont à la radio Qub. Lors de son émission du 10 mai, il a déclaré:
Je me souviens, à l'Assemblée nationale, il y avait [...] le Comité consultatif du directeur général des élections qui siégeait à huis clos parce qu'on ne voulait pas que la loi électorale fasse l'objet sur la place publique d'esclandres et de chicanes. On disait qu'il faut que les partis essaient de s'entendre avant [...]
Adopter sous bâillon de nouvelles règles électorales pour une élection qui est dans quelques semaines, c'est pas sain du tout [...]
C'est peut-être difficile à comprendre pour les libéraux qui ont cette tendance à ne pas tenir compte des spécificités québécoises et de son Assemblée nationale.
En outre, lors de La joute du lundi 10 mai, Emmanuelle Latraverse a dit que le fait de vouloir modifier une loi sans passer par le Parlement contrevient aux règles de notre régime électoral qui prône la recherche d'un consensus.
L'ironie dans toute cette histoire, c'est que le PLC a mis un bâillon pour modifier la loi électorale, mais les libéraux avaient eux-mêmes déchiré leur chemise lorsque le même enjeu s'était posé sous le régime Harper. Plus cela change, plus c'est pareil. Les libéraux n'auront qu'eux-mêmes à blâmer pour la gestion du calendrier de cette loi. Je pourrais en nommer plusieurs autres qui se sont exprimés en écho à ce qu'ils ont entendu sur le terrain.
Toujours dans l'univers médiatique, en tâtant le pouls de la population, un sondage Ipsos pour Global News révélait que, en date du 18 avril 2021, donc assez récemment, 57 % des électeurs croyaient qu'une élection en temps de pandémie ne serait pas juste. Selon un sondage Léger en date du 16 avril 2021, seuls 14 % des Canadiens souhaitaient des élections ce printemps, 29 % cet automne et 43 % plus tard. Les électeurs libéraux sont encore plus hésitants. Seuls 6 % veulent une élection printanière et 26 % un scrutin automnal. Ils sont 60 % à vouloir que cela se déroule plus tard. C'est énorme.
Enfin, l'ancienne étudiante en politique que je suis est très inquiète. Chaque crise comporte deux principaux risques, c'est bien connu. Il s'agit de l'ingérence du gouvernement fédéral dans les champs de compétence du Québec et des provinces et le risque d'austérité au moment de la reprise. Cela pourrait être une catastrophe, notamment pour notre système de santé.
J'ajouterais à cela les risques sérieux d'érosion de nos systèmes démocratiques. C'est pourquoi il est inconcevable qu'un gouvernement minoritaire impose un bâillon au Parlement sur un projet de loi destiné à encadrer les droits démocratiques des citoyens.
Rappelons ici le contexte du dépôt de projet de loi C-19. Depuis le début de la pandémie en mars 2020, les questions entourant la tenue d'élections dans ce contexte particulier se posent compte tenu du statut minoritaire de l'actuel gouvernement. Faisant appel aux dispositions actuelles de la loi, des élections générales se sont tenues au Nouveau-Brunswick, en Colombie-Britannique et en Saskatchewan, et deux élections partielles fédérales se sont tenues en Ontario.
Rappelons aussi l'exemple de l'élection provinciale de Terre-Neuve-et-Labrador, dont nous connaissons maintenant les résultats. Cette dernière a illustré les risques d'une élection en temps de pandémie, l'augmentation du nombre de cas de COVID-19 ayant forcé l'annulation de la journée du scrutin et la tenue du vote par correspondance.
En 2019, 61 % des citoyens avaient voté. Ce taux n'a pas atteint 51 % lors de la dernière élection, ce qui entache la légitimité d'un gouvernement. Il faudrait plutôt tout faire pour avoir le plus haut taux de participation possible. C'est la façon dont cela devrait se passer. Dans le cadre d'une élection fédérale, un tel scénario pourrait influencer considérablement la participation des électeurs.
Poursuivons maintenant notre ligne du temps. Le 5 octobre dernier, le directeur général des élections du Canada déposait un rapport spécial comportant ses recommandations pour la tenue d'une élection en temps de pandémie. Le 8 décembre, le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre a adopté un rapport intitulé « Rapport intérimaire: protéger la santé publique et la démocratie advenant une élection en temps de pandémie ». Le Bloc québécois a d'ailleurs émis une opinion complémentaire à ce rapport, preuve de sa bonne volonté habituelle de collaboration.
Le gouvernement a fait fi des travaux du Comité et a déposé le 10 décembre 2020 son projet de loi modifiant la Loi électorale du Canada en réponse à la COVID-19. De son côté, le directeur général des élections du Canada envisage diverses mesures de nature administrative pour s'adapter au fonctionnement en temps de pandémie.
Je vais parler de l'incidence de la COVID-19. Depuis le dépôt du projet de loi C-19 il y a cinq mois, seulement quatre heures de débat ont eu lieu. Finalement, vendredi dernier, le leader du gouvernement à la Chambre des communes a signifié son intention de déposer une motion d'attribution de temps — un bâillon — pour le projet de loi C-19 dès le lundi suivant, le 10 mai 2021.
Après un débat de 45 minutes sur le bâillon, il y a eu un vote. Le Bloc québécois et le Parti conservateur ont voté contre le bâillon, mais en faveur de renvoyer le projet de loi au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre. Ont suivi trois heures et quart de débat, qui ont principalement traité du bâillon. Bref, les libéraux ont laissé traîner, puis ont précipité un débat en fin de session, à l'approche du congé estival et d'une baisse dans leurs intentions de vote.
De plus, le vote par correspondance à la grandeur du Canada risquerait de présenter des défis logistiques importants et de porter atteinte à l'exercice du droit de vote.
En conclusion, le bâillon sur C-19 révèle que les libéraux ont l'intention de déclencher des élections durant la pandémie. C'est ce que retiennent les observateurs à la suite de cette manœuvre législative qui n'était pas nécessaire. Les libéraux démontrent que leur agenda électoral passe avant la fin de la vaccination, la reprise économique et la levée des mesures sanitaires et des confinements. Cela ne se règlera pas par un coup de baguette magique à la fin de l'été.
Je le répète: personne ne veut pourtant d'élections. Le Bloc québécois propose plutôt une réunion de tous les chefs de parti pour en arriver à un consensus et trouver un terrain d'entente. Oui, le Bloc québécois est un parti de propositions.
Dans notre système démocratique, nous sommes tout à fait dans notre droit de faire des demandes au gouvernement. Le gouvernement a le devoir d'écouter les propositions de l'opposition pour faire fonctionner le Parlement.
Nous avons voulu faire passer les transferts en santé à 35 % des coûts totaux, comme l'ont demandé unanimement le Québec et les provinces en période de crise sanitaire. Nous avons demandé une aide supplémentaire de 100 $ par mois pour les aînés âgés de 65 ans et plus. Ces demandes sont tout à fait légitimes et plus que nécessaires. Si le gouvernement n'a pas voulu en tenir compte dans son budget, il est responsable du fait que nous avons voté contre.
Nous avons toujours dit que si c'est bon pour le Québec, nous allons voter pour, mais que si ce n'est pas bon pour le Québec ou que c'est contre nos intérêts, nous allons voter contre. Nous avions déjà annoncé à l'avance nos couleurs.
Si le gouvernement était sincère, il n'aurait pas du tout caché ou cherché n'importe quel prétexte pour déclencher des élections dans le but d'obtenir une majorité. Il nous aurait écoutés et ne se serait pas contenté d'un budget annonçant un lot de promesses électorales. En effet, hasard et coïncidence, plusieurs des mesures annoncées n'arriveront qu'en 2022, après une prochaine élection.
Mon chef, le député de Beloeil—Chambly, a tendu la main au gouvernement en lui proposant d'organiser une rencontre privée avec toute personne que le gouvernement aurait voulu désigner. Ils auraient pu se rencontrer dans un bureau et chercher à obtenir un consensus, sans appliquer le bâillon...