Madame la Présidente, je commencerai mes observations sur ce projet de loi important par quelques anecdotes sur les dernières élections fédérales. J’ai changé le nom des deux personnes dont je vais parler, mais quiconque a participé à des élections dans le passé verra qu’elles sont représentatives de personnes familières dans ce contexte.
Je pense d’abord à Sue. C’est une grand-mère aimante qui s’est toujours occupée de sa famille et de son foyer, qui fait du bénévolat pour des causes charitables dans sa collectivité et qui s’est inscrite comme préposée au scrutin à l’annonce des élections générales. Elle doit sa connaissance de la collectivité et de ses membres à des décennies d’amitié et de service.
Sa connaissance institutionnelle du processus électoral ne peut s’acquérir qu’en travaillant dans de nombreuses élections, à tous les niveaux, tout au long d’une vie. C’est vers ce genre de personne que se tournent les préposés au scrutin, les scrutateurs et les bénévoles lorsqu’ils cherchent des réponses à des questions et des idées. Sans des personnes comme Sue, ce serait la pagaïe dans les élections au Canada. Son dévouement honore notre pays et il est essentiel au fonctionnement de notre démocratie.
Je pense également à quelqu’un comme Gurpreet. Ce néo-Canadien est arrivé de l’étranger dans sa nouvelle patrie il y a 10 ans. Il était fier d’être greffier du scrutin à ses toutes premières élections canadiennes, fier de promouvoir la démocratie, de la défendre et de veiller à ce que le vote et le dépouillement des voix soient justes et transparents.
Cette nouvelle expérience passionnante pour Gurpreet lui permet de voir de l’intérieur comment le système électoral canadien fonctionne. Il a, de plus, l’avantage d’être greffier du scrutin aux côtés de Sue, scrutatrice expérimentée doublée de grand-mère aimante qui, par sa connaissance approfondie des élections canadiennes, le met à l’aise. Sa présence lui permet de participer et de travailler dans le processus électoral avec aisance, assurance et fierté.
Chers collègues, ces anecdotes ne sont pas exceptionnelles. Ce type d’échanges, ces membres de la collectivité venant de milieux divers et aux expériences de la vie diverses aussi, qu’il s’agisse d’étudiants, d’aînés, de néo-Canadiens ou de mères au foyer, se trouvent réunis au service du reste de la population pour veiller à l’intégrité de notre processus démocratique, et cela se reproduit à chaque élection fédérale dans des bureaux de vote de tout le pays.
Cette mobilisation citoyenne est importante pour donner confiance dans les élections canadiennes. L’adage selon lequel en politique, tout est local est particulièrement évident dans ce cas. Les citoyens sont plus portés à faire confiance à leurs amis et voisins. Cette confiance revêt une importance particulière dans le dépouillement de nos bulletins de vote et dans le crédit qu’on accordera au résultat des élections.
Soyons clairs, toutefois, les Canadiens ne veulent pas d’élections pendant la pandémie de COVID-19. Malgré les mesures prises dans l’année écoulée par des gouvernements provinciaux opportunistes en place, 80 % des personnes sondées sont opposées à ce qu’on appelle les Canadiens aux urnes en ce moment. Malgré cela, nous débattons du projet de loi d’initiative ministérielle C-19, Loi modifiant la Loi électorale du Canada (réponse à la COVID-19).
Le projet de loi C-19 a été présenté en décembre 2020. J’ajouterai que c’était avant que le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre remette sa recommandation après avoir étudié la question en profondeur. Si nous mettons de côté l’arrogance déplacée de l’approche omnisciente des libéraux, certains changements dans ce projet de loi sont sensés, mais ce n’est pas le cas de tous. Plusieurs questions ont été oubliées dans le projet de loi C-19.
En cas d’élections pendant une pandémie, la protection des préposés au scrutin, des électeurs et d’un processus démocratique canadien éprouvé est essentielle. Je dirai d’emblée que je suis particulièrement préoccupé par la disposition, ou l’absence de disposition, sur le vote dans les établissements de soins de longue durée et dans d’autres établissements qui accueillent des Canadiens immunodéprimés. Ce sont les endroits qui ont connu les pires flambées de COVID-19 dans le pays.
Nous ne voulons pas voir répéter les graves erreurs de l’année écoulée en augmentant le temps pendant lequel nos concitoyens vulnérables sont exposés au risque évitable d’une transmission extérieure. Tout le monde doit pouvoir voter et des clarifications sont nécessaires pour que les résidents des établissements de soins de longue durée puissent voter en toute sécurité. Dans ces cas, des bureaux de vote devraient être ouverts pendant le temps minimum qu’il faut aux résidents pour voter, mais plusieurs fois au cours des 13 jours que préconise le président du Conseil privé.
Ma deuxième préoccupation porte sur l'absence flagrante d'une disposition de caducité qui vise le retrait des changements qui doivent demeurer provisoires. Or, le projet de loi indique plutôt ceci:
Le texte prévoit également l’abrogation de la nouvelle partie six mois après la publication d’un avis indiquant que les mesures temporaires qui y sont prévues ne sont plus requises pour assurer la tenue d’élections en toute sécurité dans le contexte de la pandémie de COVID-19.
Cela fait des semaines que le gouvernement fédéral et d'autres ordres de gouvernement au pays nous disent de nous isoler. Nous ne nous montrerons pas dupes encore une fois. Il est nécessaire d'ajouter une disposition de caducité qui précise la date à laquelle les mesures cesseront de s'appliquer.
Ma troisième préoccupation concerne la nécessité d'expliciter les pouvoirs proposés du directeur général des élections quant au retrait des brefs électoraux. Nous devons savoir exactement, dès maintenant, alors que nous débattons du projet de loi, comment la décision de retirer les brefs sera prise. La décision de mettre fin aux élections en plein milieu du processus aura des conséquences importantes et ne peut donc pas se faire de manière arbitraire.
Le bon sens nous permet de prévoir que toute décision de mettre fin aux élections avant que les électeurs aient pu s'exprimer se traduira par le chaos, de la confusion et de la méfiance qui persisteront pendant des générations. Un grand pouvoir s'accompagne de la grande responsabilité d'en justifier l'application. Si nous ne pouvons pas expliquer aux Canadiens pourquoi le directeur général des élections annulerait les élections, peut-être devrions-nous faire de même et annuler cette disposition du projet de loi.
Les dispositions qui portent sur le vote par correspondance sont elles aussi hautement problématiques. Dans sa forme actuelle, le projet de loi C-19 prévoit que l'électeur qui demande un bulletin de vote spécial doit:
[...] veiller à ce que son bulletin de vote spécial soit expédié avant la fermeture des bureaux de scrutin le dernier jour de la période du scrutin et parvienne à l'administrateur des règles électorales spéciales, dans la région de la capitale nationale, au plus tard à 18 h le mardi qui suit le dernier jour de cette période.
Autrement dit, Élections Canada pourrait comptabiliser des votes hypothétiques reçus 23 heures après la fermeture des bureaux de scrutin, rien de moins.
J'ai entendu parler d'un cas où des bulletins de vote avaient été envoyés et remplis avant même le déclenchement de l'élection correspondante. Ce scénario est celui de l'affaire Mitchell c. Jackman, qui s'est rendue jusque devant la Cour suprême de Terre-Neuve-et-Labrador. Selon le défendeur, il n'y avait rien dans la Constitution qui interdisait que des bulletins de vote spéciaux soient remis aux électeurs de la province avant le début de la campagne. Or, les tribunaux ont conclu en 2017 que cette façon de faire contrevenait aux droits des électeurs garantis par l'article 3 de la Charte, qui porte sur les droits démocratiques des citoyens.
D’un autre côté, je n’ai pas réussi à trouver d’exemple au Canada où des bulletins de vote ont été acceptés après la fermeture des bureaux de vote lors d’une élection générale, malgré la catastrophe électorale qui affecte aujourd’hui les habitants de Terre-Neuve-et-Labrador, qui sont enlisés dans une élection qui aurait dû se conclure il y a près d’un mois déjà. Compter des bulletins après la fermeture des bureaux est une chose tout à fait normale, qui se produit dans chaque élection. Mais accepter des bulletins après la fermeture de ces bureaux est une chose tout à fait anormale, parce qu’elle ne se produit jamais.
Si ce projet de loi est adopté dans sa forme actuelle, Dieu seul sait combien de temps il faudra pour dépouiller des millions de bulletins qui seront envoyés à Ottawa et qui, selon le projet de loi, seront comptés à Ottawa. Pour pouvoir être dépouillés, les bulletins de vote doivent arriver à destination avant la fermeture des bureaux de scrutin. C’est la raison pour laquelle nous avons un jour de scrutin. Même en Colombie-Britannique, dont la dernière élection a fait couler beaucoup d’encre à cause du décalage de 13 jours qui s’est produit entre la fermeture des bureaux de scrutin et le dépouillement des bulletins de vote postaux, seuls les votes reçus avant la fermeture des bureaux de scrutin ont été comptés.
Je suis en accord avec la disposition qui prévoit que le directeur général des élections pourra augmenter le nombre de fonctionnaires électoraux. C’est quelque chose qu’on aurait déjà dû faire pour les élections précédentes. Pour organiser correctement des élections pendant une pandémie, il va falloir adopter une approche concertée et collaborative, surtout lorsqu’il est question de bulletins de vote spéciaux. Dès l’émission des brefs d’élection, il faudra que les électeurs qui veulent voter par correspondance soient bien informés des conditions dans lesquelles ils peuvent en faire la demande, surtout que la période préélectorale sera plus longue.
Pour simplifier le processus dès le départ, les électeurs devraient, lorsqu’ils font une demande pour voter par correspondance, fournir la preuve qu’ils sont citoyens canadiens, qu’ils ont au moins 18 ans et qu’ils sont encore en vie. Je sais que les députés d’en face pourfendent mon parti lorsque nous demandons que les électeurs soient tenus de présenter une pièce d’identité. Je ne comprends pas. Nous devons offrir le maximum d’options pour que les électeurs puissent voter, car c’est un droit civique qui ne saurait être bafoué. Mais très franchement, les électeurs doivent faire la preuve qu’ils sont citoyens. Élections Canada offre actuellement un grand nombre d’options pour vérifier l’identité des électeurs, je ne m’y attarderai donc pas.
Il y a de bonnes raisons de penser que le vote postal sera en nette augmentation lors des prochaines élections fédérales, et qu’il atteindra sans doute un record. Il existe des précédents au Canada pour donner aux électeurs, pendant la période préélectorale, la possibilité de voter par correspondance.
Nous voulons tous que les prochaines élections fédérales se déroulent dans la plus grande intégrité, comme chaque fois, mais autoriser la réception et le dépouillement de bulletins après le jour du scrutin ouvre la porte à des spéculations de fraude électorale et fait planer l’incertitude. Les bulletins de vote spéciaux devraient être oblitérés une semaine avant le début de la période électorale pour être dépouillés le jour du scrutin. Autrement, si le courrier n’est pas une option, faute de temps, les bulletins de vote spéciaux devraient être acceptés dans les bureaux de vote où il sera possible de les déposer dans des boîtes désignées, jusqu’à la clôture du scrutin, comme on l'a mentionné.
De plus, les citoyens font confiance à leurs amis et à leurs voisins. Pour des personnes comme Sue et Gurpreet, dont je parlais tout à l’heure, envoyer des bulletins de vote spéciaux dans les bureaux de circonscription pour qu’ils soient dépouillés par des responsables locaux renforcera la confiance des Canadiens dans les résultats électoraux, surtout lorsque nous nous attendons à un nombre record de votes par correspondance aux prochaines élections fédérales. Nous ne pouvons pas avoir de période d’incertitude prolongée entre la fermeture des bureaux de vote et le dépouillement pendant la pandémie, surtout avec un gouvernement minoritaire.
Ce n’est pas le moment de changer radicalement l’organisation des élections au Canada. En cette période incertaine, nos institutions doivent appliquer les normes les plus élevées. Encore une fois, comme nous l’avons vu dans les élections en Colombie-Britannique, les bulletins de vote par correspondance représenteront une part importante du nombre de voix exprimées. En effet, plus de 30 % des électeurs britanno-colombiens qui ont voté l’ont fait par correspondance.
Aux élections provinciales de Terre-Neuve-et-Labrador en cours, presque tous les électeurs voteront par bulletin spécial par correspondance. À l’échelle fédérale, cela pourrait donner 10 millions de bulletins par correspondance, voire plus. Choisir de faire envoyer des millions de bulletins de vote spéciaux directement à Ottawa pour qu’ils y soient dépouillés serait courir à la catastrophe et entraînerait des retards. Les bulletins par correspondance, qu’on peut poster de n’importe où, doivent être reçus et dépouillés dans la circonscription des électeurs. Si Élections Canada pense avoir besoin de plus de personnel sur le terrain dans les circonscriptions, il peut envoyer plus de personnel sur place ou, mieux encore, il peut former du personnel local aux tâches en question, comme il l’a toujours fait.
C’est un honneur et un privilège de prendre la parole. Ayant été candidat à deux élections fédérales, je sais combien il est important d’avoir comme administrateurs et arbitres des directeurs de scrutin locaux. Dans ma circonscription, notre directeur de scrutin peut réunir les candidats de tous horizons politiques pour s’assurer que tout le monde est sur la même longueur d’onde en ce qui concerne les règles électorales. Je pense à moi et à tous les autres candidats dans ma circonscription aux dernières élections. Nous étions plus confiants après que notre directeur de scrutin nous a tous réunis pour tout bien nous expliquer afin que nous soyons tous sur la même longueur d’onde. C’est nécessaire et c’est une bonne chose.
J'ai entièrement confiance dans le directeur de scrutin de ma circonscription et je suis prêt à parier amicalement que la plupart des députés éprouvent le même sentiment à l'égard du directeur de scrutin de leur circonscription. Je fais confiance au directeur de scrutin local pour l'organisation des élections dans ma circonscription. Je suis convaincu qu'il peut aussi surveiller le compte des bulletins de vote spéciaux des électeurs que je représente. Si l'on s'attend à avoir plus de bulletins de vote spéciaux que de bulletins déposés par des électeurs lors des journées de vote par anticipation ou le jour des élections, pourquoi Élections Canada et les directeurs de scrutin ne réaffectent-ils pas le personnel pour faire le dépouillement des bulletins de vote spéciaux de chaque circonscription?
Les élections locales doivent demeurer locales. Nous n'élisons pas des représentants d'Ottawa pour nos collectivités. Nous élisons des représentants communautaires pour défendre nos intérêts à Ottawa.
On ne peut exagérer l'importance des travailleurs et des agents électoraux communautaires d'Élections Canada. Le fait qu'ils viennent de la collectivité assure la confiance du public envers le processus électoral local et leur participation renforce les valeurs canadiennes de l'inclusion et de la diversité. Je suis d'avis que les élections locales et la participation des Canadiens au sein de leur propre collectivité renforcent la confiance des électeurs envers notre institution.
Les agents électoraux font partie intégrante des élections canadiennes depuis nos débuts. Ils surveillent attentivement les choses le jour des élections, comme le compte des votes et le comportement des autres agents électoraux. Ils rapportent ces informations aux candidats qu'ils représentent. Sous-traiter le compte des bulletins de vote spéciaux à Ottawa est inacceptable. Cela crée un dangereux précédent. Tout d'abord, les agents électoraux locaux ne pourraient pas surveiller le compte des bulletins de vote spéciaux qui influenceront — tant pour moi que pour mes adversaires — le résultat des élections dans une circonscription donnée.
Même si les chefs nationaux monopolisent la plus grande partie de l'attention des médias, il ne faut pas oublier qu'au sein d'une démocratie parlementaire de type Westminster comme la nôtre, la population n'élit pas directement le premier ministre et le vice-premier ministre, par contraste avec certaines républiques dirigées par un président et son vice-président. Au Canada, l'électorat de chacune des 338 circonscriptions est appelé à voter pour un député, qui sera ensuite tenu de lui rendre des comptes. Cela soulève la question de la transparence et de la reddition de compte entourant le dépouillement du scrutin au sein de ma circonscription, Mission—Matsqui—Fraser Canyon. En effet, nous prévoyons qu'une grande partie des votes seront exprimés par la poste, puis comptabilisés par des étrangers dans la région de la capitale nationale, à des milliers de kilomètres de ma circonscription.
Mon intervention tire à sa fin. J'admets volontiers que la proposition du gouvernement visant à modifier la Loi électorale du Canada n'est pas malveillante et qu'elle part d'une bonne intention. Néanmoins, nous sommes tous conscients qu'il ne s'agit pas de la bonne voie à suivre. Les modifications que le gouvernement souhaite apporter avec le projet de loi C-19 sont significatives et lourdes de conséquences. L'adoption de telles modifications risque de changer la manière dont les électeurs canadiens voteront.
S'il persiste à imposer unilatéralement sa manière de faire, le gouvernement libéral risque de compromettre la démocratie canadienne, et je ne dis pas cela pour exagérer les choses ou pour provoquer. L'intervenant précédent m'a assuré que ce ne sera pas le cas. La modification des règles qui encadrent les élections au Canada exige l'adhésion de tous les partis à la Chambre.
Les députés de mon parti sont ouverts à des modifications à la Loi électorale du Canada qui tiennent compte des réalités entourant la pandémie de COVID-19. Notre système fonctionne, mais il faut le moderniser de temps en temps, et c'est ce que l'on doit faire dans les circonstances actuelles. J'espère que le gouvernement en est conscient et qu'il consultera tous les députés de manière plus convenable et plus constructive. Après tout, n'importe quel gouvernement, y compris le gouvernement actuel, tient son mandat des électeurs, qui sont représentés par l'ensemble des députés.
Nous n'avons qu'à penser à la situation de nos voisins pour nous rendre compte que le système électoral du Canada est le meilleur pour les Canadiens. Les gens ont confiance en ce système. Comme je l'ai mentionné au début de mon intervention, c'est un système dans lequel on peut compter sur des gens comme Sue et Gurpreet pour assurer l'intégrité du processus électoral et des résultats finaux. Les gens font confiance à leurs amis et à leurs voisins. C'est pourquoi les bulletins de vote par correspondance doivent être comptés à l'échelle locale, c'est-à-dire dans les bureaux de scrutin des circonscriptions et des collectivités où les électeurs...