Madame la Présidente, c'est un honneur de prendre la parole à la Chambre pour représenter les gens de Frédéricton et parler en leur nom.
Aujourd'hui, nous débattons du projet de loi C-6, qui vise à modifier le serment de citoyenneté. Pour mettre les choses en perspective, j'aimerais vous parler de mon expérience. Avant d'être élue députée, j'ai été enseignante et j'ai défendu les droits des jeunes Autochtones dans les écoles publiques. J'ai travaillé pour faire disparaître les obstacles rencontrés par les enfants autochtones dans le système d'éducation du Nouveau-Brunswick. J'ai travaillé pour sensibiliser la population en général sur la véritable histoire du Canada et sur les conséquences que comporte le fait d'ignorer celle-ci. J'ai appris l'histoire des pensionnats autochtones par moi-même et non dans le cadre de mon programme d'études. Il m'a fallu deux ans pour compulser les témoignages, les lettres, les documents et les photos. Je suis passée par toute la gamme des émotions tandis que je prenais conscience de mon identité en tant que non-Autochtone, de mon rôle et de la responsabilité qui m'incombe de réparer les dommages causés. Le fait de comprendre cette responsabilité a fait naître ma passion pour l'enseignement et m'a menée à l'enceinte où j'interviens aujourd'hui.
Les 94 appels à l'action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada devaient servir de feuille de route. Ils couvrent différents aspects, y compris les entreprises, l'éducation, la santé, les jeunes, les femmes et la justice. Les Canadiens se demandent peut-être où cette route nous a menés et combien d'appels à l'action ont été mis en œuvre. Le premier ministre s'est engagé, en collaboration avec les communautés autochtones, les provinces, les territoires et d'autres partenaires essentiels, à mettre intégralement en œuvre les appels à l'action de la Commission de vérité et réconciliation, en commençant par donner suite à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. C'était en 2015.
Ian Mosby suit les progrès des recommandations de la Commission. Sur les ondes de CBC, il a dit ceci: « Une des choses que partagent les appels à l'action qui ont été concrétisés, c'est la grande simplicité de leur mise en œuvre ou le fait qu'ils demandent le maintien de mesures déjà en place. »
Selon Mme Cindy Blackstock: « En 2020, il faut cesser de nourrir l'appétit insatiable du gouvernement qui veut sans cesse être remercié pour ses mesures inadéquates et exiger l'élimination complète de l'inégalité. »
Les observations de l'institut Yellowhead sur les progrès réalisés sont particulièrement touchantes. Il a écrit ce qui suit:
Par ailleurs, nous avons tenu pour acquis que, pour donner suite à l'un ou l'autre des appels à l'action, il ne suffisait pas de poser des gestes symboliques, de prendre des engagements budgétaires ou de « prendre acte des préoccupations » au sein du ministère des Relations Couronne-Autochtones. Nous avons donc évalué la situation en établissant si on a pris ou non des mesures particulières qui puissent apporter le genre de changements structurels concrets et significatifs qui sont nécessaires pour améliorer la vie des peuples autochtones dans l'ensemble du pays.
Examinons le bilan. En ce qui concerne les 52 recommandations générales pour la réconciliation, 7 d'entre elles ont été suivies. En ce qui a trait à la justice, une recommandation sur 18 a été suivie. En ce qui concerne la langue et la culture, une recommandation sur cinq a été suivie. Pour ce qui est de la santé, de l'éducation et des services à l'enfance, aucune recommandation n'a été suivie. On a donné suite à cinq recommandations pendant la première année et à seulement quatre recommandations en 2016. Au rythme où vont les choses, il faudra encore attendre environ 38 ans avant qu'on donne suite à l'ensemble des appels à l'action. La réconciliation devra donc attendre à 2057, juste à temps pour l'atteinte de la cible de zéro émission nette.
Dans les lettres de mandat de 2019, le premier ministre a répété qu'aucune relation n'est plus importante pour le Canada que sa relation avec les Autochtones. Je pense qu'il est temps de faire appel au conseiller conjugal. Pensons, par exemple, au fait que le Canada conteste actuellement devant les tribunaux une décision du Tribunal canadien des droits de la personne rendue en septembre 2019, qui dit que le gouvernement fédéral a, délibérément ou de façon inconsidérée, fait subir un traitement discriminatoire aux enfants des Premières Nations, d'une manière qui a contribué à la mort d'enfants et à une multitude de séparations inutiles des familles. Je dirais que, pour un gouvernement qui se préoccupe autant des apparences, ce bilan est peu reluisant.
Je n'ai pas à rappeler à la Chambre la situation actuelle avec les Wet'suwet'en, qui a provoqué une crise qui continue de secouer le Canada. Cette crise met à l'épreuve la détermination du premier ministre et du gouvernement à remplir leur mandat de réconciliation, tout en veillant à l'intérêt public. La résolution de cette crise aurait pu être un vrai coup d'éclat, donnant le ton à l'établissement de relations positives et pacifiques pour des années à venir. Toutefois, je crois que la situation a été gérée de manière désastreuse, et cela a donné lieu au racisme explicite et flagrant qu'on observe dans les sections de commentaires en ligne et qui se répand dans les rues et les cours d'école.
Voilà le véritable obstacle aux appels à l'action, à la réconciliation et à l'espoir d'un meilleur avenir pour les Autochtones du Canada. Nous avons entendu beaucoup de beaux discours au cours des dernières semaines. Le chef de l’opposition a tenté de nous renseigner sur le privilège. Remarquons que c'est un homme blanc et riche, qui a prononcé ces paroles devant les grandes portes de la Chambre des communes. Il devrait bien savoir ce que c'est d'être privilégié. Pourtant, ses remarques indiquent le contraire.
Nous avons entendu bon nombre de platitudes, de blagues et de remarques paternalistes. Nous avons entendu des promesses qui, trois jours plus tard, ont été rompues, et l'importance du dialogue être grandement exagérée.
La très complète Commission de vérité et réconciliation, la précédente Commission royale sur les peuples autochtones et l'enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées ont été le fruit du dialogue et devaient orienter l'action du Canada. Un dialogue est une conversation entre des parties, mais le Canada ne semble pas écouter.
Pour conclure, je vais changer de ton. Je vais évidemment appuyer cette initiative visant à mettre en œuvre l'une des 94 recommandations. Toutefois, j'aimerais souligner le moment choisi pour faire avancer cette initiative et remettre en question son incidence dans le climat politique actuel au pays.
Les choses ont changé. Nous avons échoué à bâtir les ponts de la guérison qui sont essentiels dans notre démarche, guérison qui sous-tend chacune des 94 recommandations. Aujourd'hui, nous nous penchons sur un seul appel à l'action, le 94e, alors que 84 d'entre eux ne sont toujours pas concrétisés. Nous allons probablement soumettre cette initiative à l'examen du comité et, un jour, peut-être que nos nouveaux arrivants proclameront un serment qui reconnaît quelque chose que la majorité des colonisateurs du Canada n'ont pas reconnu.
Cela étant dit, cette modification aura une influence positive sur l'expérience vécue par les immigrants dans notre pays. Par contre, pour ce qui est de répondre à l'appel à l'action lancé il y a belle lurette par les peuples autochtones, on repassera.