Merci, madame la présidente.
Je vous remercie tous d'être ici.
Je suis heureux de vous entretenir du projet de loi C-5, Loi modifiant la Loi sur les juges et le Code criminel.
Ce projet de loi propose des modifications qui assureront la formation permanente de tous les nouveaux juges des cours supérieures des provinces et des territoires en droit relatif aux agressions sexuelles et dans le contexte social de ce droit. De plus, le Conseil canadien de la magistrature devra produire un rapport sur la participation de tous les juges à temps plein des cours supérieures à cette formation. Enfin, les juges devront motiver par écrit leurs décisions dans des affaires d'agression sexuelle ou porter les motifs dans le procès-verbal des décisions.
L'objectif sous-jacent du projet de loi est d'augmenter la confiance du public et, en particulier, des victimes d'agressions sexuelles dans une justice pénale impartiale, de leur garantir, lorsqu'ils se manifestent, un traitement digne et respectueux des juges possédant les connaissances, les compétences et la sensibilité nécessaires pour appliquer correctement un domaine du droit très complexe, exigeant beaucoup de nuances.
Le projet de loi est un exemple de la collaboration parlementaire. Nous devons en remercier notre ancienne consœur et ancienne chef du Parti conservateur, l'honorable Rona Ambrose. Je tiens à d'abord saluer son initiative sur cette question très importante.
C'est le projet de loi C-337 d'initiative parlementaire de Mme Ambrose qui a lancé les discussions sur la nécessité d'une formation des juges dans le domaine du droit relatif aux agressions sexuelles et sur la nécessité impérieuse, pour les élus, de faire tout leur possible pour l'appuyer. Le projet de loi C-5 a été guidé et inspiré par le projet de loi C-337.
La justice pénale canadienne a affronté pendant longtemps des difficultés dans sa façon de réagir aux agressions sexuelles. Notre gouvernement et les gouvernements antérieurs ont accompli beaucoup de progrès en proposant des réformes visant à renforcer les droits des victimes à l'égalité, à la protection de leur vie privée et à la sécurité, en déboulonnant les mythes et les stéréotypes qui subsistaient dans notre justice pénale. Ces réformes ont en même temps ramené vers un juste milieu les droits de l'accusé, conformément à la jurisprudence applicable de la Cour suprême du Canada.
Cependant, malgré la robustesse de notre cadre juridique en la matière, on constate encore des taux extrêmement bas de signalements, d'inculpations et de condamnations dans les cas d'agression sexuelle. Une des principales raisons en est que les victimes d'agression sexuelle ont tendance à craindre de ne pas être crues, d'être humiliées ou d'être pointées du doigt. Ces craintes sont renforcées par certaines affaires rapportées par les médias, où des juges ou d'autres acteurs du système de justice agissent effectivement de la sorte. Ces affaires ont gravement ébranlé la confiance des Canadiens et des Canadiennes dans notre système de justice.
Le projet de loi vise à augmenter la confiance du public dans la capacité de notre justice pénale d'entendre les causes de manière équitable et respectueuse, de traiter les justiciables avec dignité et, par-dessus tout, conformément à la loi qui a été soigneusement élaborée à cette fin.
Essentielle à la confiance du public, l'indépendance de la magistrature est un principe central de notre constitution. Elle exige le contrôle de la magistrature sur la formation et l'éducation des juges. Un projet de loi qui cherche à augmenter la confiance du public dans la justice ne saurait atteindre son objectif si, en même temps, il mine la confiance du public dans cette indépendance.
Le projet de loi dont nous sommes saisis comprend les modifications proposées au projet de loi C-337 par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Ces amendements ont été conçus de façon à répondre aux préoccupations exprimées par la magistrature et d'autres parties prenantes, selon lesquelles le projet de loi initial dépassait les limites de ce que permet l'indépendance judiciaire. Les amendements proposés ont apporté les ajustements nécessaires au projet de loi, tout en respectant ses objectifs sous-jacents.
Le Canada a le bonheur de posséder l'une des magistratures les plus solidement indépendantes, les plus professionnellement compétentes et les mieux estimées du monde. Le Conseil canadien de la magistrature et l'Institut national de la magistrature viennent de vous informer sur leur travail dans la formation des juges, travail reconnu dans le monde entier.
Le projet de loi ne cherche pas à détruire ou à miner la crédibilité et le respect que méritent bien nos cours supérieures; il cherche plutôt à concilier le besoin légitime de renforcer la confiance du public tout en préservant soigneusement la capacité de la magistrature de contrôler la formation des juges.
J'aimerais maintenant aborder les éléments clés du projet de loi.
Tout d'abord, le projet de loi modifierait la Loi sur les juges afin d'établir une nouvelle condition de nomination à un poste de juge au sein d'une cour supérieure. Selon ce projet de loi, pour être admissibles à ce genre de nomination, les personnes candidates devront s'engager à suivre, si elles sont nommées, une formation sur le droit relatif aux agressions sexuelles et le contexte social dans lequel il s'inscrit.
Ces modifications garantissent que le gouvernement saura que les candidats qu'il nomme sont déterminés à suivre une formation. Le public peut avoir la certitude que tous les juges nouvellement nommés auront reçu une telle formation et que l'indépendance judiciaire est respectée, car elle n'imposera pas de formation aux juges actuellement en fonction.
Ensuite, le projet de loi modifie la Loi sur les juges pour que la formation sur les agressions sexuelles établie par le Conseil canadien de la magistrature soit élaborée après consultation des victimes de ces agressions, des groupes qui les appuient ou d'autres groupes et individus que le conseil considérera comme compétents. L'obligation de consulter vise à assurer une formation des juges équilibrée et orientée par le vécu des victimes. On laisse au conseil le soin de déterminer qui, précisément, il consultera et de déterminer le contenu de la formation, pour respecter le principe constitutionnel de l'indépendance judiciaire.
Le projet de loi C-5 exige que le Conseil canadien de la magistrature communique au ministre, pour dépôt au Parlement, un rapport annuel donnant des détails sur les séminaires offerts sur les questions touchant le droit relatif aux agressions sexuelles et sur le nombre de juges qui les ont suivis. Cette mesure vise à responsabiliser davantage les juges à temps plein à l'égard de cette formation et à encourager la participation, à cette formation, des juges des cours supérieures.
Le dernier élément du projet de loi porte sur les amendements au Code criminel. Ils visent à assurer que les décisions dans les affaires d'agression sexuelle ne sont pas influencées par des mythes et stéréotypes à propos des victimes d'agression sexuelle et sur la façon dont elles doivent se comporter. La Cour suprême du Canada a exprimé clairement que ces mythes et stéréotypes viennent fausser la fonction de recherche de la vérité de la cour.
Les Canadiens et les Canadiennes et les victimes d'agression sexuelle ont le droit de savoir que les lois rigoureuses relatives à l'agression sexuelle qui ont été mises en place au Canada sont appliquées de façon adéquate dans les décisions judiciaires. C'est pour cette raison que le projet de loi C-5 exigerait que les juges fournissent, par écrit ou dans le dossier de l'instance, les motifs des décisions qu'ils rendent dans les affaires d'agression sexuelle. Cette disposition aiderait à prévenir une application erronée des lois relatives à l'agression sexuelle et contribuerait à améliorer la transparence des décisions judiciaires rendues dans les affaires d'agression sexuelle, puisque des décisions enregistrées et écrites peuvent être examinées.
Il a aussi été suggéré que le projet de loi n'aborde pas le véritable problème, c'est-à-dire les décisions rendues par des juges nommés par les provinces et les territoires. C'est vrai dans une certaine mesure. Le fait est que plus de 80 % des affaires d'agression sexuelle sont instruites par les tribunaux provinciaux et territoriaux. Or le Parlement du Canada n'a aucun pouvoir de légiférer relativement aux juges nommés par les provinces ou les territoires. Par conséquent, il ne peut pas instaurer directement les changements là où le besoin se fait le plus sentir. Néanmoins, cela n'empêche ni le Parlement ni les autres acteurs concernés de faire ce qu'ils peuvent pour veiller à ce que notre système de justice soit équitable et capable de s'adapter à la situation.
Le projet de loi est un appel sans équivoque aux gouvernements et aux magistratures des provinces et des territoires, pour qu'ils examinent consciencieusement leur propre cadre juridique et son cortège de politiques et de programmes et qu'ils envisagent la possibilité de prendre des mesures supplémentaires pour répondre aux mêmes motifs de préoccupation dans leur propre ressort. Après le dépôt du projet de loi C-337 de Mme Ambrose, un certain nombre de provinces et de territoires ont effectivement emboîté le pas. Au moins une province, l'Île-du-Prince-Édouard, a édicté une loi analogue. J'ai cru comprendre que la Saskatchewan et d'autres provinces envisagent sérieusement d'y donner suite sur le plan des principes et des lois.
Dans une lettre à mes homologues des provinces et des territoires, j'ai exposé les initiatives qui se trouvent dans le projet de loi C-5, dans l'espoir qu'ils emboîteront tous le pas, et j'ai chargé les fonctionnaires de Justice Canada d'examiner les possibilités de formation accrue pour les juges nommés par les provinces et les territoires. Notre gouvernement a engagé des ressources importantes pour appuyer la formation accrue des juges. Dans le budget de 2017, le Conseil canadien de la magistrature s'est fait attribuer 2,7 millions de dollars en cinq ans et un demi-million par année, par la suite, pour qu'un plus grand nombre de juges ait accès à un perfectionnement professionnel, en insistant particulièrement sur la formation adaptée au genre et aux différences culturelles.
Comme je l'ai dit, un objectif important du projet de loi est de restaurer la confiance du public et des victimes dans la capacité de la justice pénale d'entendre les causes d'agression sexuelle avec équité et dignité, en respectant le cadre juridique que le Parlement a établi. Le projet de loi fera comprendre aux Canadiens et aux victimes d'agressions sexuelles, particulièrement, que le Parlement est fermement engagé et prêt à agir pour assurer à tous, particulièrement aux plus vulnérables d'entre eux, un système de justice dans lequel ils peuvent avoir confiance.
Mais c'est à tous les ordres de gouvernement d'agir. Mon espoir est que le projet de loi accélérera dans toutes les provinces et territoires et dans toutes les magistratures du Canada l'examen des mesures qu'on peut prendre, au-delà des mesures symboliques, pour provoquer un changement véritable et durable dans la manière de traiter les justiciables par la justice pénale.
Voilà qui conclut mes observations formelles. Je me ferai bien sûr un plaisir de répondre aux questions que les membres du Comité pourraient vouloir poser.
Je vous remercie.