Merci, monsieur le président.
J'écoute tout le monde depuis pratiquement trois heures. Nous sommes devant un problème dont il vaut la peine de prendre le temps de parler, parce qu'il existe depuis des années. C'est un problème de base.
Je vais attendre que mes collègues m'écoutent, parce que c'est pour eux que je parle présentement. J'aimerais que nous puissions avoir un échange, parce que cela va peut-être aider à trouver une solution, espérons-le.
Quand j'ai été élu pour la première fois, en 2006, le Bureau de régie interne et les services de la Chambre des communes n'offraient pas de logiciel pour nous aider dans la gestion des dossiers de nos concitoyens à nos bureaux de circonscription. C'est un problème de base. Ces services n'existent toujours pas aujourd'hui, 15 ans plus tard, et c'est probablement ce qui a causé le problème que nous connaissons aujourd'hui. Des firmes ont conçu des logiciels à la demande de députés, tous partis confondus. Garder une mémoire vive, c'est vraiment problématique quand nous travaillons avec 90 000 citoyens de notre circonscription. Au début, pendant quelques années, nous pouvons tenir des registres sur papier, mais faire de la recherche devient un travail très fastidieux. Souvent, les personnes reviennent nous voir, et il est plus facile de donner un service adéquat à nos concitoyens lorsque nous avons des logiciels destinés à ce genre de gestion de dossiers.
Toujours est-il qu'il est difficile de démystifier tout cela et de comprendre comment une même firme peut fournir à un parti politique à la fois un logiciel non partisan, comme nous l'a expliqué Mme Shanahan, et un logiciel utilisé à des fins partisanes. On a beaucoup insisté sur le fait qu'il y avait des pare-feu pour garder les deux bases de données complètement séparées. Franchement, je l'espère, parce que nous nous devons vraiment de mettre à part les informations recueillies auprès des citoyens de notre circonscription pour leur donner des services. Ces données sont pratiquement toutes inutiles pour les activités partisanes d'un parti. Dans le fond, les données que les partis veulent obtenir dans le cadre de leurs activités partisanes, ce sont les numéros de téléphone qu'ils ne sont pas capables de trouver sur Canada 411 et les adresses courriel. Pour ce qui est des adresses, Élections Canada nous les donne. Les partis se livrent toujours à une chasse aux adresses courriel et aux numéros de téléphone cellulaire. C'est à qui en obtiendra le plus grand nombre. On ne se le cachera pas, ici. Le nerf de la guerre pour entrer en contact avec nos concitoyens, c'est aller les voir ou leur téléphoner. Le problème, c'est que de moins en moins de citoyens, au Canada, ont des lignes terrestres. Alors, nous avons tous le même problème. Nous voulons tous avoir leurs numéros de téléphone cellulaire pour entrer en contact avec eux. Il n'y a pas de cachotteries là.
Or, il y a une compagnie américaine dans le portrait. Pourquoi? Il y a peut-être une raison sous-jacente que personne ne connaît. Je vous donne un indice: au Canada, il n'y a pas d’annuaire téléphonique pour les numéros de téléphone cellulaire, mais il y en a un aux États‑Unis pour toute l'Amérique du Nord. Je ne sais pas si vous savez lire entre les lignes. Il est illégal d'avoir les numéros de téléphone cellulaire des citoyens canadiens, mais les Américains sont capables d'avoir les numéros de téléphone cellulaire de tous les Canadiens. C'est bizarre.
Peut-être un jour pourrions-nous chercher à savoir pourquoi nous avons le droit d'avoir les numéros de téléphone résidentiel, mais pas les numéros de téléphone cellulaire. Seulement 20 % des Canadiens ont uniquement une ligne fixe. Tout le monde abandonne sa ligne fixe pour se procurer des téléphones cellulaires. Un jour, nous ne serons même plus capables de faire notre travail de politiciens pendant une campagne électorale.
Il faut arrêter de se mettre la tête dans le sable et de faire l'autruche. Au Canada, nous avons présentement un problème en ce qui concerne les téléphones cellulaires. Nous cherchons, par tous les moyens légaux possibles, à parvenir à une solution. En fait, il existe une façon légale: si la personne veut nous donner son numéro de cellulaire, nous le prenons. S'il y a consentement, c'est légal. Par contre, il n'y a pas 90 % des Canadiens qui veulent donner leur numéro de téléphone cellulaire à un parti politique. Nous n'obtiendrons donc pas ces numéros, à moins de recourir à des stratagèmes qui coûtent cher aux partis politiques et qui se trouvent à la frontière de la légalité.
Présentement, il est illégal pour un parti politique d'avoir une base de données comportant les numéros de téléphone cellulaire de tous les Canadiens, peu importe le parti dont il s'agit.
On fait une chasse aux sorcières et tout le monde se garroche sur cela, alors que nous avons tous le même problème: nous ne sommes plus capables d'entrer en contact avec les citoyens de notre circonscription. C'est bien beau faire du porte-à-porte, mais, si les gens n'ouvrent pas leur porte ou ne veulent pas nous donner leur numéro de téléphone cellulaire, nous ne serons pas capables de les appeler, puisqu'ils n'ont plus de ligne téléphonique résidentielle.
À la campagne, c'est un peu moins problématique. Dans les villes, par contre, la situation est pire. La quantité de gens qui n'ont plus de ligne téléphonique résidentielle est énorme. Vous comptez tous des villes dans vos circonscriptions. Savez-vous combien de vos concitoyens ont des téléphones cellulaires? Entre 90 et 95 % des citoyens ont des téléphones cellulaires, tandis que 20 % ont une ligne téléphonique résidentielle.
Pour ce qui est des lignes terrestres, on peut obtenir légalement les numéros de téléphone sur Canada 411, ainsi que les noms et les adresses des citoyens.
Cela nous ramène à l'idée d'un logiciel utilisé à des fins non partisanes. Un tel logiciel devrait être fourni par le Bureau de régie interne et compris dans les services aux députés, et ce devrait être le même logiciel pour tous les députés, peu importe le parti. Ce serait la seule façon de garder l'indépendance entre un parti et ses députés. Si les députés avaient un logiciel fourni par la Chambre pour la gestion des dossiers des concitoyens, il y aurait sûrement un pare-feu suffisamment efficace pour protéger les informations dans le logiciel. Si un parti demande à une firme de concevoir un logiciel pour aider ses députés dans la gestion de leurs dossiers de citoyens, c'est sûr qu'il sera tentant d'obtenir, du même coup, les numéros de téléphone cellulaire et les adresses courriel. Pour ce qui est du reste des données, les partis n’en ont pas besoin et n'en veulent pas. Voilà la réalité.
Nous pouvons bien nous lancer de la boue. J'ai des petits-enfants et, si je leur mets des bottes et qu'il y a une flaque d'eau, ils iront jouer dans l'eau et ils finiront par se salir. Nous faisons exactement comme des enfants qui jouent dans une flaque d'eau. Nous allons tous jouer dans la même flaque d'eau et nous en sortirons tous sales jusqu'au cou. À la fin, nous ne serons pas plus avancés et nous ne serons pas plus capables de faire notre travail. Aux yeux des Canadiens, nous n'aurons pas l'air intelligents.
J'ai un petit doute quant à votre proposition de soumettre la question directement au Bureau de régie interne, tout simplement parce qu'elle va mourir là. Nous ne réglerons pas le problème, nous n'allons que retarder le moment où nous le réglerons, dans l'éventualité d'une élection. D'une façon ou d'une autre, il y aura une élection d'ici deux ans, il ne faut pas se le cacher. Or, le problème ne sera toujours pas réglé d'ici deux ans ni au cours des quatre années suivantes.
Alors, prenons le temps d'en parler à la réunion d'aujourd'hui du Comité. Plusieurs députés ont dit que, si l'on veut avoir un logiciel, il faut des pare-feu. Je suis d'accord là-dessus. Du point de vue de l'éthique, si nous voulons protéger les députés, il faut des pare-feu. Par contre, aucun logiciel ne pourra rester hermétique s'il est géré par un parti, peu importe le parti. Si les cinq partis ont cinq logiciels différents, nous ne serons pas plus avancés.
Si nous avions une recommandation à faire, d'après moi, ce serait de faire une étude sur ces logiciels et demander que la Chambre en fournisse un aux députés pour la gestion des dossiers de leurs concitoyens. Quant aux activités partisanes, les partis s'organiseront de leur côté. Les activités partisanes des partis nous touchent un peu, mais ce n'est pas nécessairement à nous, les députés, qu'en revient la responsabilité.
Par contre, la confidentialité des renseignements qui se trouvent dans le logiciel pour la gestion des dossiers des citoyens, c'est notre responsabilité. Nous signons une procuration. Chaque fois qu'un citoyen permet à un député de travailler sur son dossier et de faire de la recherche en son nom, peu importe dans quel ministère, c'est une procuration qu'il a donnée au député, et non au parti.
C'est pour cette raison qu'on dit souvent que, lorsqu'un député perd ses élections, les dossiers des citoyens sont tous vidés. C'est parce que la procuration n'a pas été donnée au nouveau député, après une élection. Elle a été donnée au député qui était en place. La procuration est à son nom à lui et, pour cette raison, le député peut faire l'objet de poursuites n'importe quand. Si un citoyen n'est pas heureux de ce qui s'est passé et qu'il y a une fuite d'information, c'est la responsabilité du député.
C'est pour cette raison que tout un chacun, ici, devrait faire attention. Nous avons des devoirs vis-à-vis de nos concitoyens. En vertu de la loi, nous avons des devoirs et des responsabilités.
Ce n'est donc pas en nous garrochant la balle comme nous le faisons maintenant que nous trouverons une solution.
Malheureusement, en 15 ans, la Chambre ne nous a peut-être pas fourni tous les outils nécessaires. Cela dit, il y a eu une grande évolution sur le plan informatique. En 2006, tout était fait sur papier. On commençait à utiliser plus d'outils informatiques. Maintenant, nous avons beaucoup de services informatiques de la Chambre, mais nous n'avons jamais eu de logiciel pour la gestion des dossiers des citoyens. Il est difficile pour la Chambre d'en créer un. C'est vraiment compliqué. Il est facile pour la Chambre de faire de la gestion administrative, parce que c'est son domaine, mais la gestion des dossiers des citoyens, c'est une autre paire de manches. Ce sont des systèmes qui sont élaborés dans les bureaux de députés. Certains ont eu la chance de travailler avec les mêmes employés pendant 10 ou 15 ans, alors ceux-ci sont au courant de tous les cas et de toutes les situations qui peuvent arriver.
Je vous donne des exemples. Le simple fait de retirer de la liste des citoyens le nom des personnes décédées, c'est tout un exercice. Il y a moyen de le faire plus rapidement, maintenant. Auparavant, j'avais un employé qui travaillait 12 heures par semaine pour faire cette tâche. Par la suite, nous avons trouvé une façon de le faire en 15 minutes, grâce à l'informatique. Pour ce qui est de la gestion du programme de cartes de Noël, cela prenait deux mois en 2006, tandis qu'aujourd'hui nous le faisons à peu près en deux heures.
De bons logiciels existent aujourd'hui pour faire ce genre de travail. Les outils se sont améliorés au fil du temps. Or, ce n'est pas la Chambre des communes qui a conçu ces logiciels, mais bien des firmes indépendantes, à la demande de certains députés qui voulaient faire gagner du temps à leurs employés. Quand une personne consacre deux mois de travail uniquement au programme de cartes de Noël pour savoir à qui les envoyer, c'est dur sur le moral. L'année d'après, si la personne doit refaire ce travail, parfois elle choisira de quitter son emploi, plutôt que de refaire ce travail. On ne se le cachera pas, ce n'est pas une tâche intéressante.
Pour gérer nos employés à long terme, nous devons leur donner des outils pour rendre leur travail agréable. C'est notre responsabilité, si nous voulons garder longtemps les bons employés. Quand nous avons de bons employés, nous pouvons donner un meilleur service aux citoyens de notre circonscription. Si un député a un grand roulement à son bureau et change d'employés tous les ans, il doit toujours recommencer. Je pense notamment à la formation du personnel. Il faut entre un et deux ans pour bien former une personne qui sera dévouée à son travail, qui connaîtra tous les programmes et qui sera au courant des situations. Le travail se fait beaucoup plus vite lorsque la personne connaît bien les tâches à faire. Elle peut donc aider davantage les citoyens. Un employé peut régler jusqu'à 90 % des cas dans la journée même, lorsqu'ils ne sont pas trop compliqués. Pour les cas plus compliqués, il faut plus de temps. Cela devient de plus en plus facile en fonction de l'expérience.
Pour garder les bons employés, il faut leur donner des outils. À cet égard, nous pouvons travailler tous ensemble à la recherche de solutions, ou bien nous pouvons faire preuve de partisanerie et jouer à des jeux politiques pour savoir qui va salir l'autre le plus jusqu'à la prochaine élection. Fondamentalement, je suis député pour aider les citoyens de ma circonscription. Pour les aider et leur donner un bon service, je dois fournir des outils à mes employés, des outils bien à nous. Cela me fait plaisir de vous en parler, mais, à un moment donné, l'expérience a sa place.
La grande question dans tout cela, c'est que la mémoire collective d'un bureau se garde...