Merci, monsieur le président, et merci à tous les membres du Comité d'accepter de m'accorder 15 minutes.
[Le témoin s’exprime en cri ainsi qu’il suit:]
Nista mîna pikiskwêmêw apisîsi-ninanâksomon. Kinaskomitinâwaw kahkiyaw nitotêmtik niwahkomâkanak. Nista Okimâw Piyisiw Awâsis sihkâstêw. Kaskitêw Maskohsis ohci niya territoire visé par le Traité no 4. Nista mîna Nohtâwinân Kisê-Manitow kinaskomitin. Algonquins ôma Odawa kinaskomitinawaw.
[Les propos en cri sont traduits ainsi:]
Je veux aussi exprimer un peu de gratitude. Je remercie tous mes proches.
On m'appelle aussi le chef Fils de l’oiseau-tonnerre. Je fais partie de la Première Nation de Little Black Bear et viens du territoire visé par le Traité no 4. Je veux aussi remercier le Créateur. Je remercie tous les Algonquins d'Odawa ici présents.
[Traduction]
Je tenais à prononcer quelques mots en cri pour ma famille et mes amis.
Je suis très heureux d'être ici parmi vous.
Je viens d'utiliser l'un de mes noms spirituels, Enfant du roi Oiseau-tonnerre. C'est l'un des noms que je porte. Je fais partie de la Première Nation de Little Black Bear et viens du territoire visé par le Traité no 4, en Saskatchewan. J'ai remercié le Créateur pour cette magnifique journée et souligné que je me trouve sur le territoire ancestral des Odawa et du peuple algonquin, puisque c'est là d'où je travaille et je vous parle aujourd'hui.
Monsieur le président Bratina, mesdames et messieurs les membres du Comité, je vous remercie infiniment de m'offrir cette tribune.
Je tiens à souligner également que je suis accompagné aujourd'hui de Mary Ellen Turpel-Lafond et de Willie Littlechild. Je souligne leur présence et les remercie de leur bon travail.
L'Assemblée des Premières Nations réclame depuis longtemps l'adoption d'un cadre législatif clair et robuste pour mettre en oeuvre la Déclaration des Nations unies.
J'ai comparu devant ce comité il y a trois ans pour appuyer l'adoption du projet de loi C-262, le projet de loi d'initiative parlementaire présenté par M. Romeo Saganash. Je suis donc très heureux de pouvoir prendre maintenant la parole pour appuyer un projet de loi du gouvernement qui s'appuie sur les fondements du projet de loi C-262.
Les chefs en assemblée de l'APN ont adopté de nombreuses résolutions demandant la mise en œuvre intégrale de la déclaration. Ces résolutions comprenaient un appui à l'adoption du projet de loi C-262.
Lorsqu'une obstruction a empêché le projet de loi C-262 de faire l'objet d'un vote final au Sénat (où ce projet de loi bénéficiait d'un appui suffisant pour être adopté), les chefs en assemblée de l'APN ont adopté une résolution en décembre 2019 demandant un projet de loi gouvernemental aussi fort ou plus fort que le projet de loi C-262. C'est mon mandat. C'est la responsabilité que les chefs du Canada m'ont confiée en ma qualité de chef national: obtenir un projet de loi gouvernemental aussi fort que le projet de loi C-262.
Le projet de loi C-15 répond à ce critère. Il offre une voie à suivre pragmatique et fondée sur des principes qui veille à ce que le Canada respecte et assure les droits fondamentaux de la personne qui ont été affirmés et réaffirmés à maintes reprises par la communauté internationale au moyen de résolutions faisant l’objet d’un consensus à l'Assemblée générale des Nations unies.
Je tiens à souligner que la Déclaration ne crée pas de nouveaux droits et que ce nouveau projet de loi ne le fait pas non plus. Ils n'empiètent pas non plus sur les droits ancestraux ou issus de traités, ou ne leur portent atteinte.
Lorsque j'ai témoigné devant ce comité au sujet du projet de loi C-262, j'étais convaincu qu'une mise en œuvre collaborative et coordonnée de la Déclaration était essentielle pour combler le fossé social et économique auquel se heurtent les Premières Nations.
Aujourd'hui, je suis encore plus convaincu qu'une loi de mise en œuvre constitue la bonne façon de procéder. Je salue également le travail des élus d'autres sphères de compétence qui ont pris des mesures en vue de mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies et je tiens à souligner que les chefs ont travaillé avec la Colombie-Britannique pour obtenir l'adoption unanime d'une loi à l'Assemblée législative de la Colombie-Britannique le 28 novembre 2019.
Étant donné la discrimination et le racisme profonds dont font encore l’objet chaque jour les membres des Premières Nations, l'engagement fondamental du projet de loi C-15 à combattre toutes les formes de discrimination rend ce projet de loi à la fois opportun et urgent. J'ai vu comment, en Colombie-Britannique, avec la mise en œuvre de la Déclaration, un travail important est entrepris pour lutter contre le racisme à l'égard des peuples autochtones au sein du système de soins de santé, en utilisant les normes de la Déclaration pour rassembler les gens dans le système de soins de santé.
Cela dit, nous savons que tout projet de loi peut être amélioré. Depuis le dépôt du projet de loi C-15, nous avons entendu des critiques et des suggestions d'amélioration, surtout de la part des peuples autochtones eux-mêmes. Certains chefs régionaux de l'APN et des dirigeants des Premières Nations ont comparu devant vous et mentionné des points à améliorer, de leur perspective régionale. Vous devriez écouter attentivement ces positions. Au Canada, certaines Premières Nations appuient le projet de loi C-15, d'autres s'y opposent et d'autres encore l'appuient sous réserve de modification.
Ce que je présente aujourd'hui est une contribution de l'Assemblée des Premières Nations, qui propose quelques suggestions d'améliorations relativement simples. Celles-ci visent à répondre à l'objectif général des Premières Nations, lequel consiste à rendre le projet de loi plus fort et plus clair. Nous vivons sans aucun doute un moment historique.
La Commission de vérité et réconciliation du Canada a examiné de près la Déclaration des Nations unies et a conclu qu'elle constituait « le cadre pour la réconciliation à tous les niveaux et dans tous les secteurs de la société canadienne. » Elle en a fait son premier principe pour la réconciliation. C'est dire l'importance de la Déclaration, laquelle représente une source d'orientation et la base des mesures à prendre.
Les Canadiens ont largement adopté la cause de la réconciliation. La loi de mise en œuvre est essentielle pour concrétiser cet engagement.
Avec les améliorations que nous avons présentées, le projet de loi C-15 nous permettra d'aller de l'avant de manière collaborative et coordonnée, conformément aux droits ancestraux et issus de traités des Premières Nations et aux obligations juridiques du Canada.
Je voudrais maintenant passer en revue ces 12 améliorations.
La première concerne le paragraphe 6 du préambule. Nous recommandons la suppression de ce paragraphe parce qu'il ne correspond pas à la réalité.
Deuxièmement, nous recommandons que le mot « racisme » soit ajouté au paragraphe 8 du préambule. Le racisme constitue un enjeu quotidien important pour les Premières Nations, et nous croyons sincèrement qu'il doit être pris en compte.
La troisième amélioration vise le paragraphe 9 du préambule. Nous recommandons que le paragraphe comprenne une référence explicite aux doctrines de la découverte et de terra nullius, pour qu'il soit clair que, comme l'a indiqué la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Nation Tsilhquot'in en 2014, ces doctrines ne devraient pas faire partie du droit ou des politiques du Canada.
En quatrième lieu, nous recommandons que la clause de non-dérogation prévue au paragraphe 2(2) soit révisée afin de refléter plus précisément le libellé de l'article 37 de la Déclaration des Nations unies et la formulation précédente du projet de loi C-262, et nous soumettons à votre examen un nouveau libellé.
Cinquièmement, il est également recommandé d'envisager l'ajout de deux nouveaux paragraphes à l'article 2 dans la section « Définitions et interprétation », afin d'éviter toute confusion ou interprétation erronée à l'égard de certains points très importants pour les Premières Nations. Il faudrait d'abord ajouter un paragraphe 2(4):
Pour plus de certitude, les droits des peuples autochtones, y compris les droits issus de traités, doivent être interprétés de manière souple afin de permettre leur évolution dans le temps, et toute approche considérant ces droits comme figés doit être rejetée.
Cette disposition est importante, car nous ne pouvons pas permettre l'interprétation des droits issus de traités, ou de tout autre droit des peuples autochtones, comme quelque chose de figé dans le temps. Les approches reposant sur des stéréotypes ou des idées anciennes, en particulier en ce qui concerne les droits issus de traités, sont autant d'obstacles continus au progrès qu'il faut absolument éliminer.
Sixièmement, voici la deuxième des nouvelles dispositions proposées, soit le paragraphe 2(5):
Pour plus de certitude, aucune disposition de la présente loi ne doit être interprétée de manière à restreindre ou à abolir les droits des peuples autochtones, y compris les droits issus de traités.
Cette disposition indique clairement que l'abolition des droits des peuples autochtones n'est acceptable en aucune circonstance et ne peut faire partie des lois ou des politiques du Canada. Les peuples autochtones ont été soumis à des politiques visant à abolir leurs droits et leur identité, comme les pensionnats indiens et d'autres politiques unilatérales de la Couronne. Une telle abolition des droits représente un obstacle systémique à la réconciliation et le Canada a l'obligation de la rejeter clairement et de façon permanente.
En septième lieu, nous recommandons que le sous-titre de l'article 4, c'est-à-dire celui de la section « Objet », qui est incorrect, soit remplacé par « Objets ». Romeo Saganash a d'ailleurs abordé cette question lors de sa comparution le 11 mars 2021. Il s'agit d'un problème grammatical évident, qui pourrait donner lieu à des interprétations inexactes à l'avenir et qui devrait être corrigé, car les Premières Nations l'ont désigné comme étant un point préoccupant. Je vous demande instamment de corriger ce problème lors de l'étude du projet de loi par les membres du Comité.
Huitièmement, il est recommandé de supprimer dans ce même article le mot « encadrer ». Comme le reconnaît le préambule du projet de loi, la Déclaration des Nations unies elle-même constitue le cadre, et le fait de référer à d'autres cadres ne fait que compliquer les choses et semer la confusion.
Neuvièmement, je souligne aussi que la référence au « gouvernement du Canada » dans l'article 4 sous la rubrique « Objet » doit être supprimée parce que l'obligation du Canada s'étend non seulement au gouvernement, mais aussi au Parlement, et que la formulation actuelle est inexacte. L'expression « gouvernement du Canada » pourrait simplement être supprimée, ce que je vous recommande de faire, comme on l'indique dans le tableau qui vous a été transmis.
En dixième lieu, il est recommandé que le délai fixé à l'article 6 pour le plan d'action soit ramené de trois à deux ans. La mise en œuvre a déjà beaucoup tardé. Le Canada aurait dû commencer à mettre en œuvre la Déclaration lorsque celle-ci a été adoptée comme norme minimale mondiale en 2007. Le Canada s'est engagé à mettre en œuvre la Déclaration sans réserve en 2017. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'attendre encore trois ans.
Onzièmement, il est recommandé d'ajouter le mot « racisme » à l'alinéa 6(2)a), comme on l'a fait pour le paragraphe 8 du préambule, car le même libellé est repris dans les deux parties du projet de loi.
Enfin, je recommande en douzième lieu que les termes « mettre en œuvre » et « mise en œuvre » soient utilisés dans le projet de loi uniquement en relation avec la mise en œuvre de la Déclaration. Pour toutes les autres utilisations, je recommande à la place des expressions telles que « exécuter ». Vous verrez ces suggestions dans le tableau ci-joint. Si d'autres exemples m'ont échappé, comme l'a indiqué le First Nations Leadership Council of British Columbia dans sa présentation, je recommande que nous adoptions ces recommandations afin de garantir que l'ensemble du projet de loi soit corrigé pour que le terme « mise en œuvre » ne soit utilisé qu'en relation avec la mise en œuvre de la Déclaration.
Le projet de loi C-15 mérite l'appui du Comité, et il mérite l'appui de tous les députés et sénateurs. À mon avis, les améliorations que nous avons proposées sont modestes et raisonnables, et je vous invite à les adopter lorsque votre comité en arrivera à cette étape de ses délibérations.
Pour conclure, je tiens à préciser que l'Assemblée des Premières Nations souhaite voir le projet de loi C-15 être soumis à un vote final à la Chambre des communes et au Sénat dès que possible. Les dirigeants des Premières Nations et les experts juridiques comme le chef Littlechild se sont investis corps et âme dans l'élaboration de la Déclaration. Ils l'ont fait pour une raison précise. Ils se sont rendus aux Nations unies année après année — pendant plus de deux décennies — parce qu'ils considéraient que cet instrument international de défense des droits de la personne était essentiel à l'établissement de nouvelles relations avec le Canada.
Des représentants du gouvernement du Canada ont également participé activement à ce long processus aux Nations unies. En fait, le Canada mérite aussi être félicité pour avoir aidé à obtenir l'appui d'autres États afin que la Déclaration puisse être finalisée et adoptée. C'est quelque chose que nous avons accompli ensemble. C'est quelque chose dont les Canadiens peuvent être fiers. Pourtant, malgré ce qui a été accompli, plus de 13 ans se sont écoulés depuis l'adoption de la Déclaration par l'Assemblée générale des Nations unies. Plus de 13 ans que les Nations unies ont proclamé que la Déclaration était la « norme minimale pour la survie, la dignité et le bien-être des peuples autochtones » dans toutes les régions du monde. Au cours de cette période, les gouvernements fédéral, provinciaux, territoriaux et municipaux de toutes allégeances politiques nous ont exprimé leur appui à la Déclaration.
Le Canada a participé à l'adoption de nombreuses résolutions par consensus à l'ONU, s'engageant ainsi à mettre en œuvre la Déclaration à l'échelle nationale. Le Canada s'est engagé envers les peuples autochtones du monde entier à mettre en œuvre la Déclaration. Il est temps d'agir et de tenir ces engagements en travaillant ensemble. Le Canada s'est également engagé à mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies dans le texte d'autres lois promulguées par le Parlement, notamment d'importants projets de loi sur le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale en ce qui a trait à la protection de l'enfance et aux langues autochtones. Toutefois, ce qui nous manque encore, c'est une loi qui mette en œuvre la Déclaration, nous mette sur la voie de la reconnaissance des droits et fournisse le cadre de la réconciliation, comme l'a judicieusement demandé la Commission de vérité et réconciliation par le truchement de ses appels à l'action. Le projet de loi C-15 ouvre cette voie. Il est important pour les Premières Nations — et je crois qu'il est important pour tous les Canadiens — de saisir cette occasion maintenant. Nous voulons entendre prononcer les mots « sanction royale » avant la fin du mois de juin.
Merci. Kinanaskomitinawow.