Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité, je vous remercie de me donner l'occasion de comparaître devant vous pour parler du plan américain d'aide à l'emploi Buy America et du décret présidentiel adopté récemment aux États-Unis.
Vous avez entendu plusieurs représentants du gouvernement, dont certains ministres, vous dire qu'ils ne laisseraient pas l'administration Biden restreindre davantage les conditions d'accès de nos entreprises au marché américain et qu'ils tenteraient d'obtenir une dérogation générale. Un intervenant vous a aussi parlé de conclure une entente sectorielle avec les États-Unis. Je ne pourrai évidemment pas tout aborder dans le cadre de cette présentation, mais sachez que la marge de manœuvre que nous laisse le droit international économique pour réagir aux mesures découlant du plan Buy America demeure extrêmement mince. J'irai malheureusement à contre-courant de ce qui vous a été dit.
Selon mon analyse, les États-Unis ne peuvent pas, cette fois-ci, négocier juridiquement une entente avec le Canada. Il ne serait pas non plus possible de conclure une entente sectorielle. Je vais vous expliquer pourquoi.
Les États-Unis et le Canada comptent parmi les 48 États dans le monde à être partie à l'Accord sur les marchés publics, ou AMP, de l'OMC, soit l'Organisation mondiale du commerce. Cela signifie que le Canada et les États-Unis ont accepté de soumettre leurs marchés publics à la concurrence internationale.
Or, en matière de marchés publics, chaque État a la possibilité de restreindre son engagement. Autrement dit, chaque État détermine les entités soumises à l'ouverture des marchés, les produits ou services visés et les montants à partir desquels l'Accord s'applique. Dans leurs listes d'engagement, les États-Unis ont inséré d'importantes limitations pour leur permettre de continuer à privilégier leurs fournisseurs dans le cadre des marchés publics. C'est donc en raison de ces limitations que les États-Unis peuvent avoir des mesures comme celles découlant du plan Buy America.
Maintenant, les États-Unis peuvent-ils accorder une dérogation en faveur des fournisseurs canadiens? Malheureusement, la réponse est non.
En fait, l'AMP de l'OMC prévoit le respect par les États qui sont partie à la clause de la nation la plus favorisée, ou clause NPF. En droit, cette clause a une application simple. Si un État donne un avantage à un autre État, il doit l'étendre à tous les États qui sont partie à l'Accord. Autrement dit, si les États-Unis donnent aux entreprises canadiennes un accès préférentiel aux marchés publics soumis au plan Buy America, ils doivent étendre cette préférence aux 46 autres États qui sont partie à l'AMP de l'OMC.
Vous me direz que les États-Unis avaient pourtant consenti en 2010 à une dérogation générale en faveur du Canada à la suite du plan d'investissement massif de l'administration Obama. Or le contexte a changé.
En fait, il existe une exception à la clause NPF dont je viens de vous parler: celle des accords de libre-échange. Autrement dit, si des États concluent un accord de libre-échange, ils peuvent se donner des préférences mutuelles — c'est même l'objectif —, et ce, sans avoir à étendre ces préférences aux autres États, mais attention, pour que cette exception puisse jouer, il doit y avoir un accord de libre-échange en bonne et due forme, ce qui exclut les accords sectoriels. Je pourrai revenir sur cela pendant la période de questions, si vous le voulez.
En 2010, le Canada a obtenu de l'administration Obama que les fournisseurs canadiens participent aux appels d'offres réservés aux entreprises américaines. À cette époque, nous avions un accord de libre-échange, l'ALENA, soit l'Accord de libre-échange nord-américain, qui couvrait les marchés publics. Autrement dit, l'ALENA nous permettait d'avoir un accord préférentiel avec les États-Unis en matière de marchés publics.
Aujourd'hui, l'ACEUM, soit l'Accord Canada—États-Unis—Mexique, a remplacé l'ALENA, et c'est ce nouvel accord qui s'applique. Or celui-ci ne contient aucune règle sur les marchés publics régissant les relations entre le Canada et les États-Unis. Nous ne pouvons donc plus nous prévaloir de cette exception.
Dans ce contexte, quelques cas de figure s'offrent à nous. Je ne pourrai pas tous vous les présenter, mais en voici certains.
Premièrement, nous acceptons malheureusement cette situation de fait; nous n'avons pas de dérogation et nos fournisseurs de biens et de services ne peuvent pas soumissionner à une majorité de grands projets d'infrastructure aux États-Unis. En fait, ils vont pouvoir soumissionner à certains projets qui entrent dans le champ d'application de l'AMP, mais cela est extrêmement technique. Pour les marchés non couverts par l'AMP, les entreprises canadiennes et américaines pourront demander des dérogations ponctuelles, mais il s'agit d'un mécanisme très complexe qui, surtout, n'assure aucune prévisibilité pour nos entreprises canadiennes.
Deuxièmement, nous n'acceptons pas cette solution et nous rouvrons la négociation de l'ACEUM. Entendons-nous bien: après de pénibles années de négociation et compte tenu du fait que le gouvernement américain est passablement protectionniste en ce moment, je ne pense pas que ce soit une bonne idée.
Troisièmement, une autre solution serait de négocier une dérogation générale avec les États-Unis. Or, comme je l'ai dit déjà, ce serait un risque pour les Américains parce que cela irait à l'encontre des règles du libre-échange, contre leurs engagements. C'est donc à voir.
Quatrièmement — je pense que c'est le cas de figure que nous devrons privilégier lorsque nous en saurons davantage sur les mesures précises de l'administration Biden —, le Canada doit absolument entamer une analyse exhaustive de la conformité des mesures prises en vertu du plan Buy America au regard de l'AMP et des engagements des États-Unis.
En effet, il y a fort à parier que certaines mesures sont sujettes à caution sur le plan juridique. Cela pourrait permettre d'engager un dialogue documenté afin de limiter les mesures découlant du plan Buy America. À défaut d'une entente, une procédure de règlement des différends pourrait être entamée auprès de l'OMC. Évidemment, cela ne répondrait pas à notre volonté d'agir rapidement, mais cela pourrait exercer de la pression sur les États-Unis, surtout si d'autres partenaires commerciaux importants, comme la Chine ou l'Union européenne, se joignaient au Canada.
Cette situation témoigne une fois de plus de notre fragilité en matière commerciale, fragilité qui découle directement de notre dépendance envers le marché américain. La réponse semble assez simple: il faut que le Canada diversifie ses marchés d'exportation. Or cela tarde à se produire. Certes, nous avons conclu des accords de libre-échange avec bon nombre d'autres pays et avec des blocs commerciaux importants, mais la diversification, en ce qui concerne les entreprises, tarde à se concrétiser. Plusieurs facteurs contribuent probablement à expliquer cela. Je n'ai pas le temps de les aborder dans le détail, d'autant plus que cela dépasse les questions liées à la relation commerciale avec les États-Unis, mais je me ferai un plaisir de les aborder si vous avez des questions à ce sujet.
Je vous remercie de votre écoute et demeure à votre disposition.
Mr. Chair, members of the committee, thank you for the opportunity to appear before you to discuss the United States' Buy America jobs plan and the U.S. president's recent executive order.
You have heard from several government officials, including some ministers, that they would not let the Biden administration further restrict our companies' access to the U.S. market and would seek a blanket waiver. One speaker also talked about coming to a sectoral agreement with the United States. Obviously, I can't cover everything in this presentation, but I want you to know that, under international economic law, we have very little room to manoeuvre in response to the measures in the Buy America plan. I will unfortunately be going against the grain of what you have been told.
In my analysis, the United States cannot legally negotiate an agreement with Canada at this time. Nor would it be possible to reach a sectoral agreement. I will explain why.
The United States and Canada are among 48 states in the world that are parties to the World Trade Organization's Agreement on Government Procurement, or WTO GPA. This means that Canada and the United States have agreed to subject their government procurement to international competition.
However, when it comes to government procurement, each state has the ability to restrict its commitment. In other words, each state determines the entities subject to open procurement, the products or services covered, and the amounts above which the agreement applies. In its schedules of commitments, the United States has inserted significant limitations to allow it to continue to favour its suppliers in government procurement. Because of these limitations, therefore, the United States can have measures such as those in the Buy America plan.
Now, can the United States grant a waiver in favour of Canadian suppliers? Unfortunately, the answer is no.
In fact, the WTO GPA provides for compliance by states that are party to the most-favoured nation, or MFN, clause. In law, this clause is simple to apply. If a state gives an advantage to another state, it must extend that advantage to all states that are party to the agreement. In other words, if the United States gives Canadian companies preferential access to government procurement that is subject to the Buy America plan, it must extend that preference to the other 46 states that are party to the WTO GPA.
You may say that the United States had nevertheless agreed in 2010 to a general waiver in favour of Canada following the Obama administration's massive investment plan. But the context has changed.
In fact, there is one exception to the MFN clause I just mentioned: free trade agreements. That is, if states enter into a free trade agreement, they can give each other mutual preferences—that's even the objective—and they can do so without having to extend those preferences to other states. But beware, because, for this exception to come into play, there has to be a proper free trade agreement, which excludes sectoral agreements. I can come back to that during the question period, if you want.
In 2010, Canada persuaded the Obama administration to allow Canadian suppliers to participate in U.S.-only tenders. At that time, we had a free trade agreement, NAFTA, the North American Free Trade Agreement, that covered government procurement. In other words, NAFTA allowed us to have a preferential agreement with the United States on government procurement.
Today, the Canada-United States-Mexico Agreement, or CUSMA, has replaced NAFTA, and this new agreement now applies. It contains no rules on government procurement pertaining to relations between Canada and the United States. So we can no longer avail ourselves of that exception.
In this context, we have a few scenarios available to us. I will not be able to present them all to you, but here are some of them.
First, we unfortunately accept this as a fact of life; we don't have a waiver and our suppliers of goods and services cannot bid on most large infrastructure projects in the United States. In fact, they will be able to bid on some projects within the scope of the GPA, but that's extremely technical. For contracts not covered by the GPA, Canadian and U.S. companies will be able to apply for ad hoc waivers, but it's a very complex mechanism, that, most importantly, provides no predictability for our Canadian companies.
Second, we don't accept that solution and we reopen CUSMA negotiations. Let's be clear: after years of painful negotiations, and given the fact that the U.S. government is quite protectionist at the moment, I don't think that's a good idea.
Third, another solution would be to negotiate a blanket waiver with the United States. However, as I have already said, it would be risky for the Americans because it would go against free trade rules, against their commitments. So that remains to be seen.
Fourth—and I feel we should opt for this scenario when we know more about the specific measures taken by the Biden administration—Canada absolutely must begin a comprehensive analysis of how compliant the measures under the Buy America plan are with the GPA and with U.S. commitments.
This is because it is a good bet that some measures are questionable from a legal perspective. That could provide an opportunity to engage in a fact-based dialogue with a view to limiting the measures arising from the Buy America plan. If no agreement is reached, a dispute settlement procedure could be initiated at the WTO. Obviously, it would not satisfy our desire to move swiftly, but it could put pressure on the United States, especially if other major trading partners like China or the European Union were to join Canada.
This situation is yet another indication of our vulnerability when it comes to trade, and that vulnerability is a direct result of our dependence on the U.S. market. The answer seems simple enough: Canada needs to diversify its export markets. However, that's been slow to happen. We do have free trade agreements with many other countries and with major trading blocs, but, at the level of our businesses, diversification has been slow to materialize. That can likely be attributed to a number of factors. I don't have time to go into them in detail, especially since it goes beyond the scope of the trade relationship with the United States. But I would be happy to address them if you have any questions along those lines.
Thank you for your attention, and I remain available to you.