Madame la Présidente, je me permets aujourd'hui de me prononcer sur le projet de loi C‑13, qui tient particulièrement à cœur au Bloc québécois.
Aujourd'hui, ce qu'on a pu voir avec l'exercice des libéraux, appuyés par le NPD, c'est un bâillon sur un projet de loi pourtant vital pour la protection du français au Québec, mais également dans l'ensemble du Canada.
Le projet de loi C‑13 qui est présentement à l'étude représente l'aboutissement d'un chantier de modernisation de la Loi sur les langues officielles. Il s'agit d'un objectif énoncé dans la lettre de mandat de l'actuelle ministre des Langues officielles, ainsi que dans celle de sa prédécesseure.
Dans le discours du Trône de septembre 2020, le gouvernement a reconnu la situation particulière du français, ainsi que sa responsabilité de le protéger et de le promouvoir, non seulement à l'extérieur du Québec, mais également au Québec.
La table semblait mise pour que le fédéral protège le français au Québec en y incluant la réforme, les demandes et les revendications de ceux qui doivent composer au quotidien avec le recul de leur langue, c'est‑à‑dire les Québécois.
Pourtant, autant dans le projet de loi C‑32 de la législature précédente que dans sa mouture actuelle, la réforme de la Loi sur les langues officielles ignore complètement les revendications unanimes de l'Assemblée nationale du Québec et du Bloc québécois pour ce qui est de la protection du français au Québec.
Le gouvernement fédéral se place même en contradiction directe avec le projet de loi no 96 de l'Assemblée nationale du Québec, dont un des objectifs est d'étendre l'application de la Charte de la langue française partout au Québec. Malgré cela, dans les interventions et communications libérales, on se proclame en faveur de la loi 101 et on se targue d'être des défenseurs du français.
Si le premier ministre et les députés libéraux affirment qu'ils ont toujours été en faveur de la Charte de la langue française, comment se fait‑il qu'ils déposent une loi dont l'effet sera d'empêcher le gouvernement du Québec de l'appliquer sur son propre territoire? En effet, en se basant sur un arrêt de la Cour suprême de 2007, on constate que le droit provincial peut s'appliquer aux entreprises fédérales, pour autant qu'il ne vienne pas directement contredire une loi fédérale applicable.
C'est en se basant sur cet arrêt que Québec demande à Ottawa depuis longtemps de permettre l'application de la loi 101 aux entreprises de compétence fédérale. Dans une résolution appuyée par tous les partis à I'Assemblée nationale du Québec et adoptée le 1er décembre 2020, on énonce textuellement que « la Charte de la langue française doit s'appliquer aux entreprises de compétence fédérale au Québec et exige du gouvernement du Canada qu'il s'engage formellement à travailler avec le Québec afin d'assurer la mise en œuvre de ce changement ».
Le message peut difficilement être plus clair. Pourtant, que font les libéraux dès que l'occasion se présente? Ils viennent imposer au Québec un régime linguistique qui assujettit la totalité des entreprises fédérales à la Loi sur les langues officielles, écrasant du même coup la capacité du Québec d'appliquer sa Charte de la langue française aux entreprises qui exercent leurs activités sur son territoire.
Ce n'est pas à prendre à la légère. II y a même un grand et réel danger pour le français au Québec dans le projet de loi C‑13. En effet, en cas de divergence entre le régime fédéral, qui prévoit le bilinguisme, et le régime du Québec, qui prévoit la primauté du français, c'est le premier qui prévaudra.
La ministre des Langues officielles peut dire autant qu'elle veut que le projet de loi C‑13 protègera aussi bien le français au Québec que le ferait la loi 101, ce n'est pas vrai. C'est factuellement faux.
Le projet de loi C‑13 cherche à appliquer un bilinguisme à la Air Canada: on accorde aux francophones un droit de se plaindre en cas de non‑respect du droit de travailler en français. C'est un modèle qui a prouvé à maintes reprises son incapacité à protéger les droits des francophones de travailler et de se faire servir dans leur langue. Malgré des milliers de plaintes contre Air Canada au fil des décennies, on constate que, pour ces organisations délinquantes, le français n'est rien d'autre qu'un grain de sable dans l'engrenage. En quoi le fait d'étendre ce modèle à toutes les entreprises privées de compétence fédérale est‑il censé régler le recul du français?
Qui plus est, le projet de loi C‑13 vient consacrer le droit de travailler en anglais dans les entreprises fédérales au Québec. Je le répète, la Loi sur les langues officielles vient renforcer le bilinguisme et non protéger le français. Certains diront que l'approche bilingue semble raisonnable, à première vue. On donne le choix au citoyen d'interagir dans la langue de son choix. Toutefois, quand on tient compte des dynamiques linguistiques et démographiques dans lesquelles elle s'articule, cette approche a des conséquences dévastatrices et irréversibles sur le français. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est la science.
Le professeur Guillaume Rousseau, de l'Université de Sherbrooke, a expliqué ce phénomène lors de son passage devant le Comité permanent des langues officielles, en février dernier:
[...] selon pratiquement tous les spécialistes des politiques linguistiques de partout au monde, seule une approche [mettant en avant une seule langue officielle] peut assurer la survie et l'épanouissement d'une langue minoritaire.
L'approche [...] peut avoir l'air généreuse — parmi plusieurs langues, l'individu choisit laquelle utiliser —, mais, dans les faits, c'est la langue la plus forte qui va s'imposer. [...] Concrètement, l'État fédéral devrait en faire moins pour l'anglais au Québec et davantage pour le français.
En tant que porte-parole de ma formation politique en matière de science et d'innovation, je ne peux qu'insister sur l'importance de baser nos décisions sur les données scientifiques. Ottawa doit entendre raison et écouter la voix de la science et des données probantes. La science ne peut pas être invoquée seulement lorsque cela fait notre affaire et ignorée quand cela nous contrarie, et le premier ministre doit prendre acte de cette réalité.
En outre, quand on fait le tour de la Chambre des communes, on s'aperçoit vite que, concernant l'application de la loi 101 aux entreprises de compétence fédérale, le Parti libéral est complètement isolé. Il a toujours été facile pour le premier ministre de se dire être en faveur de la loi 101 tant que cela ne voulait rien dire de concret, politiquement. Aujourd'hui, le recul de la langue française au Québec et au Canada se confirme et s'accélère au point où le premier ministre lui-même doit le reconnaitre, puis témoigner de son inquiétude. Encore aujourd'hui, il se dit en faveur de la loi 101, mais ses bottines ne suivent pas ses babines.
On assiste à une nouvelle tentative du gouvernement libéral de faire un grand écart intenable. D'un côté, il veut se faire le champion du français, parce qu'il sent la pression publique qui exige une meilleure protection du français, y compris au Québec. D'un autre, il refuse complètement de laisser le Québec être le maître d'œuvre de sa propre politique linguistique. La conséquence de cet état de fait est que le Parti libéral se retrouve aujourd'hui isolé dans son entêtement. On l'a vu lorsque ma collègue de Salaberry—Suroît a déposé le projet de loi C‑238, visant notamment à assujettir toutes les entreprises fédérales à la Charte de la langue française. Le Bloc, le Parti conservateur et le Nouveau Parti démocratique l'ont appuyé, mais le Parti libéral s'y est opposé.
Je vais le dire clairement. Le Bloc québécois ne soutiendra pas le projet de loi C‑13 tant et aussi longtemps que des modifications n'y seront pas apportées pour permettre au Québec d'être maître de son aménagement linguistique. Le gouvernement fédéral doit prendre acte de l'anglicisation à laquelle est confrontée la nation québécoise et introduire une approche différenciée permettant la prise en compte et le respect de la particularité de la situation linguistique au Québec. En ce sens, une reconnaissance explicite de la primauté de la Charte de la langue française sur la Loi sur les langues officielles, pour ce qui est des entreprises de compétence fédérale au Québec, est une exigence minimale. C'est ce que demandent le Bloc québécois et l'Assemblée nationale du Québec, et c'est ce dont le Québec a besoin.