Madame la Présidente, à Ottawa, on fait une mise à jour postnationale 3.0.
C'est d'offrir à une multinationale, un État dans l'État, la tentaculaire firme McKinsey, le lucratif mandat de définir un pan aussi important de la politique publique que celui des seuils migratoires. La cause est entendue et l'opération de communication est implacable. La seule manière de s'éviter des accusations de racisme, la seule manière de continuer de briller dans les salons de Toronto, c'est d'augmenter la population totale du Canada de 100 millions de personnes d'ici 2100.
Pour concocter cette annonce, faite sur mesure pour les big boss, Ottawa a combiné l'ignorance des besoins et de la volonté de distinction culturelle du Québec et des Premières Nations au mépris le plus total des capacités d'accueil réalistes. Ottawa n'a même pas le mérite de rendre service à ces futurs nouveaux arrivants, pour lesquels on n'ose même pas annoncer la construction de nouveaux logements.
Qu'on se le dise, l'Initiative du Siècle n'est pas l'idée du siècle, et ce, en dépit de phrases creuses qui définissent la seconde nature du premier ministre.
Le Québec, comme nation, dont le parcours historique s'est combiné de phases de survie et de moments d'affirmation, a pour souci permanent sa pérennité culturelle et linguistique. En 1978, le gouvernement du Parti québécois de René Lévesque a adopté la Politique québécoise du développement culturel. Elle a été rédigée par deux des plus grandes têtes pensantes de notre histoire, Guy Rocher et Fernand Dumont, sous le parrainage du brillant ministre Camille Laurin.
J'en profite pour souligner au passage que c'est Camille Laurin le vrai artisan de l'intégration des nouveaux arrivants au Québec, plus que Gérald Godin, pour qui j'ai aussi énormément de respect, mais dont la récupération ad nauseam a un peu tendance à m'agacer.
Tout était clair. La culture de tradition qu'on pourrait dire française se doit d'être un foyer de convergence culturelle. La raison en est fort simple. En régime démocratique, les citoyens et les citoyennes doivent pouvoir s'entendre sur un lieu commun d'échange. Comme jadis, nous le répéterons patiemment. Il n'est pas question pour la culture québécoise d'abolir les autres cultures sur notre territoire, mais bien de constituer un lieu de réunion concret, sensible et nécessaire à l'établissement d'un sentiment commun d'appartenance, d'une vision partagée du bien commun. Le Québec peut autant être la nation de Gilles Vigneault que celle de Dany Laferrière.
En 2023, l'opposition unanime, tous partis confondus, de l'Assemblée nationale à la Century Initiative, pour laquelle, rappelons-le, elle n'a aucunement été consultée, en traduit l'évidence.
Dans une telle mesure, le Québec, nation accueillante et généreuse, est prêt à accueillir le plus d'immigrants possible, mais rappelons-nous que le mot « possible » revêt ici tout son sens. La question du nombre a une importance. S'il existe dans notre État la capacité de fixer par l'appareil étatique le nombre de nouveaux arrivants par année, c'est qu'il est légitime d'en discuter, d'en débattre et d'y réfléchir. Malheureusement, ce débat est trop souvent confisqué, alors que les épithètes visant à le restreindre sont trop souvent employées avec l'objectif ostentatoire de rendre infréquentables les mécréants qui ne sont finalement que soucieux d'une plus harmonieuse intégration.
On entend souvent, à propos de l'immigration, la métaphore du robinet. Pensons-y, justement. Qu'est-ce qu'un robinet? Si on ne veut pas que le vase déborde, il faut le remplir consciencieusement, de façon responsable. Traiter cette question à travers les lunettes rouge orange de l'idéologie, c'est purement et simplement fallacieux, comme est répugnante cette volonté d'exclure du débat les opinions dissidentes. Ces opinions sont parfois d'ailleurs de rigoureuses démonstrations venant d'experts qui soulignent le gigantesque danger pour la survie même de la nation québécoise face à des hausses qui seraient trop brutales, qui ne seraient pas assez harmonieuses et qui ne seraient pas assez réfléchies.
Le Canada, à l'inverse, est gangréné jusqu'au trognon par une utopie, celle du multiculturalisme, celle de l'idée que tout nouvel arrivant n'a qu'à se recroqueviller dans des communautés repliées sur elles-mêmes basées sur l'appartenance d'antan. Le régime canadien ne perçoit pas qu'il existe des citoyens qui soient égaux en droits et en devoirs et membres d'une nation commune avec un tronc commun. Il perçoit plutôt un amas de minorités pouvant passer la totalité de leur existence sans avoir même besoin de s'adresser la parole.
Cette utopie radicale s'est institutionnalisée dans la Constitution canadienne, une constitution irréformable, figée dans le béton, imposée unilatéralement par Pierre Elliott Trudeau et dont le Québec n'est toujours pas signataire à ce jour. Le gouvernement des juges, non élus évidemment, est chargé de démanteler les lois du Québec, comme la Charte de la langue française qui n'est plus que l'ombre d'elle-même, comme la loi 21 qui risque de ne pas connaître un avenir bien plus radieux que la loi 101. Cette caste se fait un point d'honneur de neutraliser la démocratie québécoise, de casser son affirmation en tant que nation et d'étouffer ses institutions politiques.
Il n'est guère surprenant, dans cette perspective, que fiston veuille aujourd'hui poursuivre le rêve de papa. Cela n'étonne guère, ni sur le plan de la hausse fulgurante des seuils proposée aujourd'hui ni sur celui de la dépolitisation d'une décision aussi importante, au profit — dans tous les sens du mot — de la clique apatride de McKinsey, qui sème la pagaille et créé des scandales partout où elle passe. La coupe est pleine.
Dominic Barton a dirigé la firme McKinsey, un État dans l'État, de 2009 à 2018. En 2016, Barton, qui dirigeait toujours la firme McKinsey, a été nommé à la tête du Conseil consultatif en matière de croissance économique, constitué par le gouvernement canadian. En plus d'être dirigé par le dirigeant de McKinsey, ce groupe était soutenu par des employés de McKinsey Canada.
Dominic Barton est aussi cofondateur du lobby de la Century Initiative, soutenu financièrement par le grand capital de Toronto, qui vise à augmenter l'immigration graduellement jusqu'à plus de 1 million d'immigrants permanents par année. La Century Initiative se démarque aussi, précisons-le, par sa volonté agressive de forcer des projets gaziers et pétroliers, notamment en territoire autochtone, nonobstant l'appui des Autochtones.
Se pourrait-il, dans ce cas-là, que le wokisme des grands capitalistes Canadian et sans patrie — ces deux qualificatifs qui peuvent avoir l'air contradictoires vont très souvent ensemble — ne soit qu'une posture esthétique, une posture bien pensante qui s'applique à géométrie variable? On le voit ici par le peu de respect envers les volontés des Premières Nations, qu'on garde sous le régime raciste de la Loi sur les Indiens, nonobstant les discours larmoyants qu'on entend souvent à la Chambre et qui visent à briller en société.
En réponse à une question de la députée de Beauport—Limoilou lors de la comparution de Dominic Barton devant le Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires, dans le cadre de l'étude sur McKinsey, le principal intéressé a avoué que le groupe de pression n'a jamais pris en compte l'incidence que sa proposition de hausser l'immigration pouvait avoir sur le fait français. Cela n'existe pas, niet, on oublie cela. Sur le site du groupe, aucun rapport ne mentionne l'incidence de cette hausse massive des seuils. Personne, dans les troupes rouges-oranges, ne semble s'indigner ou se préoccuper de ce fait.
Il importe de rejeter urgemment le projet dangereux de la Century Initiative. Cependant, pour cesser durablement de quémander, pour cesser de contraindre l'Assemblée nationale à adopter à répétition des motions à l'unanimité qui ne créeront même pas un petit chatouillement dans la Chambre des communes, pour cesser la tendance à la réduction permanente du poids du Québec en ce Parlement qui ne fera des Québécois et des Québécoises qu'une minorité qui n'aura plus le mérite de distraire le régime pour clarifier à la face même de tout individu qui voudrait élire domicile chez nous qu'il appartiendra à une patrie qui se nomme Québec et qu'il pourra dire « nous » avec elle, faisons le choix de la liberté.
Le choix est clair: la liberté ou l'impuissance collective dans la médiocrité; l'indépendance ou la folklorisation et la minorisation, et ce, jusqu'à notre disparition pure et simple. Nous aurons notre Québec indépendant, libre, résolument français, et il sera un des plus beaux pays au monde.