Monsieur le Président, loin de moi l'idée de vouloir défendre le Parlement canadien, une institution à laquelle j'aimerais que le Québec ne réponde plus un jour. Or, je me dois de défendre les principes que ce Parlement incarne, notamment le respect des institutions démocratiques, et donc de la démocratie parlementaire, à laquelle le Québec participe pour le moment.
Dans les dernières semaines, on a eu affaire à ce qu'on peut appeler un nouveau scandale. On a affaire à ArriveCAN, cette application qui devait coûter 80 000 $ et qui a coûté possiblement 60 millions de dollars. On n'en est même pas sûr. C'est d'ailleurs la vérificatrice générale qui a publié un rapport sur la gestion de l'application ArriveCAN au gouvernement. Pour reprendre ses mots, la gestion de l'application ArriveCAN était la pire qu'elle a vue dans sa carrière. Ce que nous découvrons, c'est que le dossier d'ArriveCAN est seulement la pointe de l'iceberg. Chaque fois qu'on soulève une nouvelle pierre, on découvre quelque chose de nouveau.
On a constaté qu'il y avait des situations où des membres du personnel de l'Agence des services frontaliers du Canada participaient à des activités pour lesquelles certains fournisseurs, comme ceux dont on parle aujourd'hui dans la question de privilège, étaient invités. Les coûts moyens de gestion étaient de 1 090 $ par jour, alors qu'un poste équivalent dans le secteur technologique coûte plutôt 675 $ en moyenne par jour. Il y a plein d'éléments qui sont choquants dans ce qu'on découvre peu à peu. Chaque fois qu'on tire une ficelle, de nouveaux éléments sortent.
D'ailleurs, la personne dont on parle aujourd'hui, M. Kristian Firth, a justifié son taux horaire de 2 600 $ l'heure par le fait qu'il ne travaille pas de 9 à 5. Non, on le sait, son entreprise ne fournit aucun service, comme il nous l'a dit. Elle ne fournit aucun produit au gouvernement. Pourtant, M. Firth lui-même a affirmé avoir présenté plus de 1 500 factures mensuellement.
Il affirme que le montant a augmenté de manière soudaine. Le contrat dont nous parlons ici est passé de 2,35 millions de dollars à 13,9 millions de dollars. C'est de l'argent des contribuables. Au Comité permanent des comptes publics, où j'ai l'honneur de siéger, le contrôleur général du Canada a récemment révélé que GC Strategies, la compagnie fondée par M. Firth, et son ancêtre, Coredal Systems Consulting, avaient obtenu tout près de 108 millions de dollars de contrats depuis 2011.
Ce que nous avons aussi appris dans les derniers jours, c'est que certaines recherches manuelles permettent au gouvernement et à certains ministères de trouver d'autres contrats. On peut donc penser que plus de 108 millions de dollars ont été versés. Une somme a été mentionnée, mais personne n'en est sûr. La Presse a mentionné la somme de 250 millions de dollars. Plusieurs sommes ont été mentionnées. C'est un méchant problème qu'on ne soit pas capable de savoir combien gagne une personne qui n'a aucun respect pour les institutions démocratiques du Canada, et donc du Québec. Combien d'argent cette personne a-t-elle reçu? Le gouvernement n'est même pas capable de nous le dire.
Selon ce qu'a dit Kristian Firth au Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires, la marge que lui et son associé empochaient était de 21 % . Si on estime que ces contrats sont de 108 millions de dollars, ces deux personnes, Kristian Firth et Darren Anthony, ont reçu 21 % de 108 millions de dollars. C'est environ 23 millions de dollars, ce qui est une somme énorme pour ne fournir aucun service. Si ce n'est pas de la mauvaise gestion des fonds publics, qu'est-ce que c'est?
Ces individus ont vu une brèche. Il est là, le problème. Ils n'ont aucun respect pour l'argent des contribuables et ils ont montré à plusieurs reprises en comité qu'ils n'avaient aucun respect pour les institutions canadiennes, qui représentent aussi bien les Canadiens que les Québécois. Ces mêmes individus se sont vu accorder des contrats sous les libéraux, mais aussi sous les conservateurs, alors que leur firme s'appelait Coredal Systems Consulting. D'ailleurs, Coredal, qui avait été fondée environ 10 ans plus tôt, a été rachetée par Kristian Firth et Darren Anthony. Au début, Caleb White en faisait partie. Or la firme a changé de nom pour adopter celui de GC Strategies au même moment où il y a eu un changement de gouvernement.
Les entreprises GC Strategies et Coredal Systems Consulting ont donc les mêmes propriétaires, à l'exception de Caleb White qui, on ne sait pas pourquoi, s'est retiré. GC Strategies a reçu son plus grand nombre de contrats de la part de l'Agence des services frontaliers du Canada. C'était d'ailleurs dans le cadre d'ArriveCAN.
On apprenait, dans le rapport de la vérificatrice générale, que beaucoup de ces contrats avaient été octroyés de manière non concurrentielle. On apprenait récemment aussi, par l'entremise de l'accès à certains courriels, que Services publics et Approvisionnement Canada avait levé le drapeau rouge. Malgré la pandémie, on avait dit qu'il était quand même étrange de vouloir fournir un contrat de plusieurs millions de dollars sur trois ans, alors que ces individus invoquaient l'urgence comme argument pour que leur soit octroyé un contrat de manière non concurrentielle. Si c'était une situation vraiment urgente, pourquoi vouloir se précipiter et offrir un contrat sur trois ans? Il y a ici quelque chose qui ne fonctionne pas.
Malgré les avertissements qui étaient soulevés par Services publics et Approvisionnement Canada, l'Agence des services frontaliers du Canada, poussée par certains individus à l'intérieur de l'Agence, a décidé de finalement octroyer les contrats avec la signature de Services publics et Approvisionnement Canada, dont c'est malheureusement le travail de justement s'assurer que ce genre de chose n'arrive pas et que des individus comme Kristian Firth ne bénéficient pas à tort d'argent public.
Un autre élément que je souhaite soulever, c'est que MM. Firth et Anthony possèdent une compagnie à numéro. Tout de suite, cela devrait sonner une cloche. Qu'ils aient une compagnie à numéro fait qu'on se dit que leur affaire n'est peut-être pas nécessairement propre. MM. Firth et Anthony se sont connus environ en 2010 lorsqu'ils travaillaient pour la firme Veritaaq Technology House. Ces deux personnes ont quitté Veritaaq Technology House en 2010, à peu près. Sait-on qu'en 2009, cette même firme et les mêmes dirigeants de cette entreprise ont plaidé coupables à une accusation de trucage des offres? Sait-on avec qui? C'est justement avec l'Agence des services frontaliers du Canada.
Ces personnes, qui travaillaient chez Veritaaq Technology House au moment où cette dernière s'est fait accuser de trucage d'appel d'offres, travaillaient déjà pour Veritaaq Technology House et le juge a demandé que les employés de Veritaaq Technology House reçoivent tous, y compris Kristian Firth et Darren Anthony, des formations sur ce qu'est le trucage d'appel d'offres. Ils savaient donc très bien ce qu'ils faisaient quand ils ont eux-mêmes rédigé l'appel d'offres qui a permis à GC Strategies de remporter un contrat concurrentiel à hauteur de plusieurs millions de dollars pour ArriveCAN. Ces deux individus savaient très bien ce qu'ils faisaient.
Grâce aux travaux de la vérificatrice générale, on sait que ces deux individus ont participé à des dégustations de whiskey, à des soupers, à des tournois de golf, à des dizaines d'événements auxquels des fonctionnaires de l'Agence des services frontaliers du Canada ont participé, et pas seulement les deux fonctionnaires qui ont été suspendus, notons-le.
Le prétexte d'urgence a été soulevé à de nombreuses reprises pour justifier l'affaire ArriveCAN. En temps de pandémie, on avait des contrôles moins serrés, et ainsi de suite. Pourtant, le nombre de contrats non concurrentiels était en hausse marqué depuis 2016, et on a connu en 2023 la quantité la plus élevée depuis 2016, donc après la pandémie.
Il y a des problèmes qui sont très sérieux et qui sont actuellement étudiés dans plusieurs comités. C'est justement dans ce contexte que les propriétaires de GC Strategies ont été convoqués au Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires. Au Comité permanent des comptes publics, nous avons reçu le PDG de Dalian, l'autre entreprise qui est dans une situation très similaire. Sans entrer dans les détails, parce que ce n'est pas tant le sujet d'aujourd'hui, je tiens à dire que cette personne a commis, elle aussi, un outrage au Parlement en refusant de répondre aux questions et en ayant des réponses totalement contradictoires de A à Z.
Une de mes collègues du Parti libéral a d'ailleurs dit qu'elle était ravie de voir que ces personnes avaient réussi à ramener tout le Parlement sur la même longueur d'onde. En d'autres mots, elle a dit que nous étions tous d'accord pour dire que ces individus manquaient cruellement de respect envers les institutions.
On comprend donc bien que c’est en termes d’outrage au Parlement que la question de privilège a été ramenée. La définition d’outrage au Parlement est la suivante: tout acte ou toute omission allant à l’encontre de l’autorité ou de la dignité du Parlement.
La question de privilège soulevée par le député de Leeds-Grenville-Thousand Islands et Rideau Lakes est bien pertinente. En effet, Kristian Firth a accepté finalement de revenir témoigner au Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires après plusieurs recherches; il était même question de le faire venir de force par le sergent d’armes. Il a accepté de revenir en comité le mercredi 13 mars.
Il a fait une déclaration et les membres du Comité ont posé une série de questions sur son rôle dans l’application ArriveCAN. Durant le témoignage, M. Firth a refusé à de nombreuses reprises de répondre aux questions du Comité, plusieurs fois sous prétexte qu’une enquête de la GRC était en cours. D'ailleurs, je dois mentionner que le PDG de l’autre entreprise, M. Yeo, a dit que la GRC ne l’avait jamais contacté. Encore une fois, qui dit vrai? Dans la même enquête relative au truquage d’offres, aux signatures apposées sans consentement et tout le reste, dans la même affaire, on a un PDG, M. Firth, qui refuse de répondre aux questions d’un comité sous prétexte que la GRC enquête, et un autre qui nous dit, en comité, que la GRC ne l’a jamais contacté. Encore une fois, qui dit vrai? Il y a très probablement là‑dedans plusieurs cas d’outrage au Parlement à soulever.
Pour l’instant, parlons justement de ce qui s’est passé en comité ce jour-là. Certaines déclarations dans le témoignage de M. Firth ont été remises en cause comme étant trompeuses ou fausses. D’ailleurs, on lui a même demandé s'il avait dit la vérité. M. Firth a répondu qu’il s’était trompé dans les termes de « chalet » ou de « maison de campagne ». Franchement, peut-on être sérieux une minute? Qui se trompe dans des termes de « maison de campagne », de « chalet » ou de je ne sais quoi? Répondre comme ça avec un sourire, c’est insultant pour les membres du Comité qui essaient de trouver des réponses à des questions totalement légitimes à savoir où va l’argent des contribuables et comment il est utilisé.
Le Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires a souligné d’ailleurs qu’à la page 1081 de La procédure et les usages à la Chambre des communes, on mentionne ce qui suit à propos des témoins dûment assermentés — parce que, oui, M. Firth avait été assermenté au début du Comité. « [...] un témoin, assermenté ou non, qui refuse de répondre à des questions ou qui ne donne pas des réponses véridiques pourrait être accusé d’outrage à la Chambre. » C’est ce qu’a fait M. Firth; il a refusé de répondre à maintes reprises aux questions des membres du Comité.
En conséquence et en réponse au refus de M. Firth de répondre, ainsi qu’en raison des questions concernant la véracité de ses réponses, le Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires a adopté une motion, justement pour soulever la question de privilège. Le Bloc québécois avait bien évidemment appuyé cette question de privilège. Nous étions au Comité, nous avons posé des questions à M. Firth et nous avons constaté qu’effectivement, il y avait outrage au Parlement. J’apprécie donc la décision de la présidence, car nous sommes d'accord sur cette décision, et nous sommes d'accord sur la motion qui a été déposée aujourd’hui.
Quant à l’amendement, il y a plusieurs éléments à considérer. Le premier, comme l’a dit ma collègue la députée de Laurentides-Labelle, est que le Comité de la procédure et des affaires de la Chambre, malheureusement, agit souvent de manière très partisane et risque de causer des délais à ce qui devrait de toute manière arriver. C’est justement la Chambre des communes, à la présidence, de décider si une personne qui a commis un outrage au Parlement doit s’assoir à la barre, répondre aux questions des députés et donc se soumettre à ce qu’est le minimum requis quand on respecte les institutions démocratiques, c’est-à-dire répondre aux questions des membres d’un comité.
N’oublions pas que les députés représentent le peuple et la population. Ce sont des questions que nous recevons tous les jours. Tout le monde parle en ce moment de l’affaire ArriveCAN. Ce n’est pas seulement ici que cela se passe; nous ne sommes pas dans une bulle. Cette affaire concerne tout le monde. En ce moment, des gens ont du mal à se loger et à se nourrir. Pendant ce temps-là, on constate que des gens et des entreprises reçoivent des dizaines de millions de dollars des contribuables, ne fournissent aucun service et, en plus, ne prennent pas leurs responsabilités.
Ils ne prennent aucune responsabilité dans l'affaire. Quand ils daignent nous répondre, c'est avec un sourire qu'ils le font. C'est profondément insultant.
Pour ce qui est de faire étudier la question par le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, nous sommes encore en réflexion. Il faut comprendre que la Chambre a le pouvoir de décider de ce qui va arriver avec ces personnes. Nous souhaitons d'abord nous assurer que tout le monde est d'accord à la Chambre pour dire qu'il y a eu outrage au Parlement et que ces personnes, en particulier Kristian Firth, mais aussi Darren Anthony, et potentiellement M. Yeo, doivent répondre aux questions des parlementaires québécois et canadiens. Nous voulons nous assurer que tout le monde est d'accord pour dire qu'ils doivent se présenter à la barre, ici, et qu'ils doivent entendre la décision et le jugement de la présidence sur leurs actions, qui sont pour le moins déplorables.