propose que le projet de loi S-246, Loi instituant le Mois du patrimoine libanais, soit lu pour la deuxième fois et renvoyé à un comité.
— Monsieur le Président, c'est toujours un privilège de prendre la parole au nom des gens d'Halifax-Ouest.
Je suis honorée de prendre la parole aujourd'hui en tant que fière canadienne d'origine libanaise au sujet du projet de loi S‑246, qui vise à désigner le mois de novembre « Mois du patrimoine libanais » au Canada.
Premièrement, je tiens à remercier la sénatrice Jane Cordy d'avoir piloté ce projet de loi au Sénat. Il a pour origine le projet de loi d'initiative parlementaire C‑268, que j'ai présenté l'an dernier.
J'ai été particulièrement honorée de témoigner devant le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie lorsqu'il a étudié ce projet de loi, non seulement parce que, en tant que députée d'Halifax‑Ouest, je représente de nombreux Néo-Écossais d'origine libanaise, mais également parce que j'ai consacré toute ma vie à transmettre, à célébrer et à préserver la culture, la langue et les traditions libanaises au Canada.
Je prends la parole au sujet de ce projet de loi en tant que fille d'immigrants libanais de première génération venus au Canada depuis le petit village de Diman. J'y ai également grandi entourée de grands-parents et d'aînés du village avant de fuir la guerre et de venir retrouver des membres de ma famille élargie et de ma communauté en Nouvelle‑Écosse.
À 15 ans, je me suis jointe à la Diman Association Canada, un groupe fondé en 1973 par des adolescents de deuxième génération dont les parents avaient immigré au Canada depuis le village de Diman. Ce groupe continue de s'épanouir et célébrera son 50e anniversaire le 30 septembre.
J'ai également adhéré à la Société libano-canadienne d'Halifax et j'ai été la première femme à être élue à sa présidence en 1993, il y a plus de 30 ans. J'ai rempli six mandats, dont le dernier en 2013, lorsque je me suis lancée en politique. Cette organisation, qui a été fondée en 1938 et a été dirigée par le lieutenant Edward Francis Arab, comme premier président, est l'une des plus anciennes organisations de ce type en Amérique du Nord.
Cette organisation a été fondée par des immigrants libanais de la première génération qui souhaitaient maintenir leur lien avec leur héritage, leur culture et leur langue maternelle.
Nous célébrerons son 85e anniversaire en novembre.
J'ai également été membre du conseil paroissial de l'église catholique maronite Notre-Dame du Liban. À Halifax, il y a deux églises libanaises, Notre-Dame du Liban et l'église orthodoxe Saint Antonios, qui organisent toutes les deux chaque année un festival libanais en été, l'un en juin et l'autre en juillet, pour le plus grand plaisir de tous.
Il y a une semaine, Notre-Dame du Liban a organisé le festival du cèdre libanais avec des spécialités culinaires, de la musique, des spectacles de danse et bien d'autres choses encore. J'ai été très fière de voir mes enfants participer bénévolement au festival et mes petits-enfants exécuter le dabke libanais.
Ce fut une belle occasion de s'amuser et de souder la communauté, de montrer notre amour et d'apporter notre soutien à l'organisme Feed Nova Scotia et à d'autres membres de la communauté.
Grâce à mon engagement dans tous ces groupes, j'ai rencontré des personnes et des groupes de tout le pays.
Je sais à quel point cette reconnaissance serait importante, comme l'a été la reconnaissance, en 2018, du Mois du patrimoine libanais en Nouvelle‑Écosse.
Lorsque nos collègues du Sénat ont pris la parole sur le projet de loi S‑246, ils ont raconté l'histoire de Canadiens d'origine libanaise de tout le pays, comme les marchands et les commerçants de fourrures qui sont arrivés à la fin des années 1800 et au début des années 1900 à l'Île‑du‑Prince‑Édouard, à Victoria et à Edmonton.
Il y a l'entrepreneure Annie Midlige, la première immigrante libanaise à Ottawa.
Il y a George Shebib, qui a fait découvrir un jeu de cartes, le tarabish, aux habitants du Cap‑Breton, en 1901.
Il y a William Haddad, un fils de commerçant qui est devenu l'un des premiers juges arabes du Canada.
Il y a Nazem Kadri, champion de la Coupe Stanley, et ceux qui ont donné leur vie pour le Canada, comme Charlie Younes et le lieutenant Edward Francis Arab, qui ont donné leur nom à une rue du quartier de Westmount, à Halifax.
Il y a aussi des athlètes de haut niveau comme John Hanna, John Makdessi et Fabian Joseph, de la Nouvelle‑Écosse.
Il y a divers artistes comme le chanteur Paul Anka, le collaborateur de Drake, Noah « 40 » Shebib, la documentariste Amber Fares, la récipiendaire de l'Ordre de l'Ontario Sandra Shamas, l'artiste visuel Jay Isaac, et le récipiendaire de l'Ordre du Canada, le consul Wadih M. Fares, pour ne nommer que ceux-là.
Il y a des universitaires et des défenseurs des droits.
Il y a des dirigeants de tous les ordres de gouvernement et de tous les partis politiques, y compris d'anciens sénateurs et d'anciens députés, mes deux collègues fédéraux de Laval—Les Îles et d'Edmonton—Manning, ainsi que mes anciens collègues provinciaux Patricia Arab et Zach Churchill. Il y a, bien sûr, le premier premier ministre provincial canadien d'origine non européenne, Joe Ghiz, et son fils Robert Ghiz qui a plus tard été premier ministre, et bien d'autres encore.
En effet, les Canadiens d'origine libanaise sont très présents dans notre pays depuis la fin du XIXe siècle. Aujourd'hui, le Liban est représenté au Canada par son ambassade à Ottawa et il dispose d'un consulat général à Montréal ainsi que de bureaux consulaires à Halifax, Toronto, Calgary et Vancouver. Il existe des communautés importantes à Edmonton, London, Ottawa, Gatineau, Montréal, Laval, Toronto et la région du Grand Toronto, Windsor, Halifax, Vancouver et Calgary.
Nous avons également des enclaves plus petites au Nouveau‑Brunswick, à l'Île‑du‑Prince‑Édouard, à Winnipeg et ailleurs.
Affaires mondiales Canada estime que la communauté libanaise au Canada compte entre 200 000 et 400 000 personnes et qu'entre 40 000 et 75 000 Canadiens vivent au Liban. D'après mon expérience, il y en a malheureusement beaucoup qui ont oublié ou perdu leur patrimoine libanais, ou même parfois qui l'ont supprimé. Cela m'émeut parce que je l'ai vu. J'ai eu des conversations avec ces personnes. C'est en partie pour cela que cette désignation est si importante pour tant de gens.
Lorsque je dirigeais la Société libano-canadienne, j'ai rencontré de nombreuses personnes qui étaient les premiers membres de leur famille à arriver au Canada. Elles m'ont raconté qu'elles avaient perdu leur langue, qu'elles s'étaient efforcées d'effacer leur différence et qu'elles avaient anglicisé leur nom. Il est facile d'oublier cela aujourd'hui, dans le contexte du Canada diversifié et accueillant que nous connaissons aujourd'hui, mais il fut un temps où il était gênant de revendiquer son héritage.
L'assimilation, les préjugés auxquels les Canadiens d'origine libanaise étaient confrontés, la nécessité de cacher ses origines aux autres, tout cela avait un impact.
Je peux parler aux députés d'enfants et de petits-enfants d'immigrants libanais que j'ai rencontrés, qui ont grandi en ne disant à personne qu'ils étaient libanais en raison de ce que leur famille avait vécu à leur arrivée au Canada.
S'il y a une chose qui est vraie à propos des Libanais, c'est que nous sommes profondément résistants, comme le cèdre qui orne le drapeau de notre patrie.
En fait, la marginalisation que les membres des générations précédentes ont vécue n'a fait que les pousser à établir des liens plus étroits avec d'autres communautés. Je pense à mon père, au début de son parcours d'immigration, lorsqu'il avait plusieurs emplois, y compris à l'usine locale de Coca-Cola à l'époque, et aux liens d'amitié qu'il a noués avec ses pairs afro-néo-écossais.
Je souligne les histoires que la sénatrice Simons a racontées dans ses observations sur le projet de loi. Elle a parlé des liens établis entre les premiers commerçants de fourrure libanais en Alberta et les trappeurs cris et métis. Ces gens industrieux ont appris les langues autochtones pour forger des amitiés et faire des affaires. Or, une grande partie de leur patrimoine libanais pourrait être perdu ou difficile à redécouvrir.
Je peux dire aux députés que la désignation du mois du patrimoine libanais dans ma province a encouragé bien des gens à redécouvrir leur patrimoine, à se renseigner et à faire connaître les histoires de leurs grands-parents. Je pense entre autres à Charlene Rahey-Pedersen, en Nouvelle‑Écosse, qui a communiqué avec moi lorsqu'elle a appris que nous cherchions à faire désigner un mois du patrimoine et qui a lancé le groupe culturel libanais de North Sydney et des environs.
C'est l'une des raisons pour lesquelles ces formes de reconnaissance sont importantes. Elles encouragent les gens à emprunter la voie de la découverte.
Ce projet visant à désigner le mois de novembre comme le mois du patrimoine libanais a poussé beaucoup de parlementaires à venir me raconter des histoires de leur circonscription et de leur province. J'ai appris un grand nombre d'histoires.
Depuis l'arrivée d'Abraham Arab en 1894, un grand nombre de Libanais de Diman ont choisi Halifax comme étant chez eux.
De nombreuses familles comme la mienne retracent leurs racines jusqu'à ce lieu sacré. Leur impact est si prononcé qu'il y a 10 ans, le Globe and Mail a publié un article sur les nombreux promoteurs importants de Diman qui ont construit la ville d'Halifax grâce à des projets majeurs, tels que le Nova Centre, The Trillium, King’s Wharf, The Vuze, et ainsi de suite.
Nous avons également le Sisterhood of Diman, un groupe de femmes pionnières comme Cristine Goshen Kahil qui ont travaillé dur pendant des années pour mobiliser des fonds en faveur de l'éducation et de l'émancipation de la prochaine génération.
Les Canadiens d'origine libanaise se démarquent par leur ardeur au travail, leur détermination et leur amour pour leur famille et leur collectivité. Nous travaillons extrêmement dur parce que bon nombre d'entre nous sont issus de milieux modestes. Quand nous réussissons, nous redonnons à notre prochain afin que le chemin soit plus facile pour lui. Ainsi, nos collectivités peuvent connaître du succès elles aussi.
Je tiens à mentionner la chambre de commerce libanaise de la Nouvelle‑Écosse, une organisation dirigée par des bénévoles qui crée des liens entre les gens d'affaires d'origine libanaise de la province. Je ne connais pas beaucoup d'autres chambres de commerce formées de bénévoles dans ma province, et c'est tout à l'honneur des Néo-Écossais d'origine libanaise et de leur esprit d'entreprise. Ils font vraiment partie intégrante du tissu social de la province.
Je souligne que la Canadian Lebanon Society of Halifax dirige depuis des décennies la Lebanese Heritage Language School, une institution essentielle qui aide les jeunes à conserver leurs compétences linguistiques et leur lien avec leur langue maternelle et leurs origines.
Je sais que de nombreux députés de la Chambre peuvent comprendre à quel point c'est important.
En tant qu'ancienne directrice et bénévole, j'ai été immensément fière, en 2020, lorsque la Nouvelle‑Écosse a choisi l'école comme fournisseur approuvé pour des cours d'arabe libanais en 10e et 11e année, deux cours donnant droit à des crédits et permettant aux étudiants d'apprendre la magnifique langue arabe libanaise. En tant que députée qui représente aujourd'hui près de la moitié des personnes qui parlent l'arabe en Nouvelle‑Écosse, cela compte beaucoup pour moi.
En ce qui concerne la langue, je tiens à souligner pour mes collègues francophones le lien profond qui unit les Libanais à la langue française. En effet, le français est une deuxième langue plus courante au Liban que l'anglais.
C'est pourquoi, en tant que personne qui parlait le français avant de parler l'anglais, j'ai travaillé dur pour établir une collaboration dans ma communauté entre la Société libanaise du Canada et notre chapitre local de l'Alliance française.
Dans ma région, nous avons également eu la chance, à Halifax, d'accueillir des projections de films et je tiens à souligner le travail du Festival du film libanais au Canada.
Ces reconnaissances de nos fières communautés culturelles sont importantes. Il ne s'agit pas d'initiatives partisanes ou symboliques. Lorsque nous décidons collectivement de célébrer un mois du patrimoine, nous dirigeons les projecteurs vers une communauté donnée et donnons à ses membres une nouvelle tribune pour raconter leur histoire, se rassembler, dissiper les mythes et renforcer leur enracinement au sein de la grande mosaïque multiculturelle canadienne.
Nous leur permettons d'être vus et nous faisons en sorte qu'ils se sentent plus chez eux ici tout en apprenant à mieux connaître nos voisins et en devenant des citoyens plus solidaires.
Mes collègues ont déjà débattu les mérites de motions et de projets de loi similaires, donc avant de conclure, j'aimerais raconter une anecdote personnelle qui porte sur le sujet.
À la fin de l'an dernier, mon personnel a installé l'application WhatsApp sur mon téléphone. Lorsque j'ai reçu un appel par l'entremise de cette application, j'hésitais à y répondre, mais je l'ai fait. C'était une leader communautaire du Liban qui recueillait des dons de 10 $ pour que les enfants puissent avoir un petit quelque chose à Noël. Elle m'a demandé de me placer devant quelque chose de reconnaissable et d'enregistrer une vidéo pour envoyer un message aux enfants, pour montrer à ceux qui sont en difficulté au Liban qu'il y a de l'espoir, pour leur montrer que la diaspora libanaise au Canada pense à eux, car les gens partout dans le monde nous regardent. Lorsque nous affirmons la valeur de la diversité et de nos diasporas, cela a un impact.
Pour ceux qui sont ici, pour ceux qui rêvent de venir ici, pour ceux qui ont peut-être perdu leurs liens patrimoniaux et pour ceux qui ne visiteront peut-être jamais le Canada eux-mêmes, cela a un impact.
À ceux qui m'écoutent ce soir à minuit, heure de l'Est, je dis šukran, merci.
J'ai bien hâte de célébrer le Mois du patrimoine libanais d'un océan à l'autre.