Madame la Présidente, je suis heureux de pouvoir reprendre là où je m'étais arrêté en décembre.
Pour rafraîchir la mémoire de tous les députés, nous discutions du 10 e rapport du Comité permanent de l'agriculture et de l'agroalimentaire.
Je suis fier de faire partie de ce comité depuis maintenant six ans et je dirais que c'est le meilleur de tous les comités de la Chambre, parce que nous arrivons souvent à nos décisions par voie de consensus. Nous avons certes des divergences d'opinions, mais l'esprit de collégialité découle du fait que, peu importe le parti politique auquel nous appartenons, nous représentons tous des agriculteurs dans nos circonscriptions respectives et nous avons beaucoup de respect pour le travail qu'ils font.
Cette étude particulière porte sur un sujet inhabituel, si on regarde la longue liste d'études que le comité de l'agriculture entreprend normalement, car elle traite surtout d'une question qui se rapporte à la vente au détail, c'est‑à‑dire l'inflation du prix des aliments. Je suis heureux de dire que ce 10 e rapport est le résultat d'un vote unanime sur ma motion proposant cette étude. L'étude a aussi été appuyée par un vote unanime à la Chambre des communes lorsque le NPD a profité de sa journée de l'opposition pour déposer une motion appuyant le travail du comité.
Compte tenu de l'augmentation faramineuse du prix des aliments que subissent de nombreux Canadiens depuis quelques années, je pense que les pressions politiques et publiques actuelles ont vraiment attiré l'attention des parlementaires sur ce problème important, étant donné ce que bon nombre de nos concitoyens nous ont raconté. C'est pourquoi il a été agréable de voir la Chambre se prononcer unanimement en faveur de cette étude.
Si on se fie aux nouvelles et aux experts qui étudient ce problème particulièrement grave, on sait qu'un nombre record de Canadiens doivent fréquenter les banques alimentaires. Les habitants de ma circonscription, Cowichan‑Malahat‑Langford, me disent que chaque semaine, ils doivent prendre des décisions difficiles. Ils sont contraints d'acheter des aliments de moindre qualité, en moindre quantité.
Je pense que c'est une honte pour notre pays, qui se vante d'être une puissance agricole. Comparativement aux autres pays, le Canada est très riche. Cependant, au cours des dernières décennies, nous avons assisté à une concentration croissante de la richesse entre les mains d'un nombre de plus en plus restreint de personnes, tandis qu'un trop grand nombre de nos concitoyens peinent à satisfaire leurs besoins fondamentaux.
Je pense que c'est un appel à l'action pour tous les parlementaires. Il est évident que les politiques que nous avons mises en place au cours des 40 ou 50 dernières années ne servent pas nos concitoyens comme il se doit, pas plus d'ailleurs que la déférence obscène envers les entreprises de la part des gouvernements libéraux et conservateurs successifs, ainsi que l'orthodoxie néo-libérale. Nous devons jeter un regard critique sur les raisons de cette situation.
Le rapport à l'étude contient un certain nombre de recommandations. Je me concentrerai sur quelques-unes d'entre elles, en particulier les recommandations 11 et 13. La recommandation 11 est une recommandation que nous avons entendue non seulement dans le cadre de cette étude, mais aussi dans le cadre d'autres études. Elle porte sur le fait que de nombreuses personnes qui travaillent dans la chaîne de valeur alimentaire, en particulier celles qui font affaire avec des épiciers, réclament depuis longtemps un code de conduite pour les épiceries.
Au départ, on réclamait un code volontaire. Je pense qu'on a fait preuve d'énormément de bonne volonté et qu'on a laissé un peu de latitude à l'industrie pour qu'elle trouve elle-même une solution que tous les intervenants pourraient élaborer et à laquelle ils croiraient. Cependant, on a constaté récemment que certains grands détaillants en alimentation, notamment Loblaws et Walmart, se disent maintenant mal à l'aise avec l'orientation que prend le code. À mon humble avis, ce code ne peut tout simplement pas fonctionner s'il exclut des joueurs importants comme Loblaws et Walmart. Nous pourrions donc arriver à un point où le gouvernement devra intervenir pour appliquer un code obligatoire. De cette façon, les règles seront claires, concises et transparentes, et tous les intervenants de la chaîne de valeur alimentaire pourront les comprendre et les respecter.
Ce que nous constatons, c'est un manque total de confiance dans le secteur de l'alimentation de détail, et pour cause. Les détaillants en alimentation ont été accusés et reconnus coupables de fixation du prix du pain. Ils se sont livrés à des pratiques qui, à première vue, ressemblent beaucoup à de la collusion. Ils suivent l'exemple des autres pour fixer les prix, par exemple. Récemment, Loblaws a été contraint de revenir sur sa décision de réduire les rabais. Il y avait auparavant une réduction de 50 % sur les articles qui devaient être vendus le jour même. Souvent, les gens recherchent ce genre de bonnes affaires. Loblaws allait faire passer ce rabais à 30 %. Cette entreprise montre constamment qu'elle est incapable de décoder le marché et qu'elle ne comprend rien à l'environnement public dans lequel elle fonctionne.
Non seulement les consommateurs ont perdu confiance envers les détaillants en alimentation, mais les fournisseurs, les fabricants de produits alimentaires et les hommes et femmes qui travaillent fort dans le secteur de la production primaire et de l'agriculture ont aussi perdu confiance. En effet, quand ils essaient de faire mettre leurs produits sur le marché de l'alimentation — et il faut savoir que 80 % du marché de l'alimentation au détail au Canada est contrôlé par seulement cinq entreprises, ce qui est une situation brutale et une mainmise totalement injuste de cinq entreprises sur le marché —, ils sont souvent soumis à des frais cachés et à des amendes pour lesquels ils n'ont pas d'explication.
Je suis donc bien content de voir que la recommandation 11 demande la création d'un code de conduite obligatoire et exécutoire.
Je suis également heureux de la recommandation 13 du rapport, qui demande au gouvernement du Canada de renforcer le mandat du Bureau de la concurrence et la capacité de celui-ci d’assurer une meilleure concurrence dans le secteur de l’épicerie. Aux deux premiers points, il est question de donner plus de pouvoir au Bureau de la concurrence par l’intermédiaire de la Loi sur la concurrence et de faire en sorte que les seuils de concurrence qu'utilise le Bureau dans l’évaluation des fusions et des acquisitions n'étouffent pas la concurrence.
Je pense que, grâce à l'excellent travail mené dans le cadre de l’étude et aux recommandations figurant dans le rapport, des modifications législatives ont été apportées à la Chambre. J'ai trouvé formidable, en particulier, que le projet de loi C‑56 soit adopté à l’unanimité à la Chambre des communes. Il a été adopté par le Sénat, et la gouverneure générale en a fait une loi du Canada.
Le projet de loi C‑59 contient d’autres mesures, et le projet de loi d’initiative parlementaire de notre chef, le député de Burnaby‑Sud, comprend également diverses modifications très importantes. Comme le savent les députés, ils auront l’occasion demain, après la période des questions, de voter sur ce projet de loi, et les Canadiens verront quels députés sont vraiment prêts à faire le nécessaire pour régler ce problème.
Je veux aussi parler du rapport complémentaire que j'ai inclus en tant que député néo-démocrate du comité parce que les rapports de comité reflètent l'opinion de la majorité de leurs membres. Dans le cas du Comité permanent de l'agriculture et de l'agroalimentaire, on parle pratiquement toujours d'un point de vue unanime. Je ne pense pas avoir déjà vu un rapport dissident, mais, parfois, les recommandations de certains ne se retrouvent pas dans le rapport.
Je souscris sans réserve aux grandes lignes du rapport. Je pense que les recommandations sont excellentes. J'aurais aimé ajouter quelques recommandations supplémentaires. Nous avons entendu un certain nombre de témoins qui ont demandé au comité de recommander au gouvernement de lancer le processus pour inscrire dans la loi le droit à l'alimentation. L'une de nos recommandations aurait donc été la suivante:
Que le gouvernement du Canada reconnaisse son obligation, à titre de partie au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, de respecter le droit à l’alimentation, de le protéger et de lui donner effet, et ce, en adoptant une loi-cadre qui consacrerait ce droit dans la loi canadienne et exigerait du gouvernement fédéral qu’il fixe, par voie législative, des cibles contraignantes, précises et mesurables afin de concrétiser les objectifs définis en 2019 dans la Politique alimentaire pour le Canada.
Comme je l'ai dit, alors qu'une si grande partie de notre population ne mange pas à sa faim, c'est à nous qu'il incombe en tant que législateurs et décideurs d'assumer nos responsabilités et de répondre à ce besoin en posant des gestes concrets. Comme cette recommandation provient de ceux qui font partie du réseau national des banques alimentaires et qui sont confrontés quotidiennement à ce problème, je crois que nous, les décideurs, ferions bien d'écouter cette connaissance du terrain et d'y donner suite.
Pendant les quatre minutes qu'il me reste, j'aimerais rendre hommage à deux des personnes qui sont venues témoigner devant le comité. Il s'agit de deux professeurs d'économie qui vont à l'encontre de l'orthodoxie chez les professeurs d'économie qui consiste à traiter les grandes entreprises avec déférence. Il s'agit des professeurs D. T. Cochrane et Jim Stanford qui, à mon avis, présentent un point de vue rafraîchissant et différent qui tranche avec l'orthodoxie actuelle. Ils jettent un regard critique sur ce qui explique pourquoi les systèmes sont ainsi faits.
J'aimerais citer le professeur Jim Stanford:
La cupidité n'est pas une nouvelle chose, et elle est bien antérieure à la pandémie, mais elle a le vent dans les voiles au Canada depuis la pandémie. Les profits après impôts réalisés au Canada pendant la pandémie ou depuis la pandémie ont augmenté pour atteindre la part du PIB la plus élevée de l'histoire. Au milieu d'une urgence sociale, économique et sanitaire, les entreprises enregistrent des profits records.
Voici ce qu'il a ajouté en réponse à une de mes questions:
En haut de la liste, et sans aucun doute, se trouve le secteur du pétrole et du gaz. Les profits excédentaires touchés depuis la pandémie représentent en gros un quart du volume total des profits dans les 15 secteurs sélectionnés pour mon travail. L'augmentation des prix qui correspond à ces énormes marges bénéficiaires se répercute ensuite sur le reste de la chaîne d'approvisionnement. Les transformateurs alimentaires doivent payer cela, donc leurs coûts sont théoriquement plus élevés, mais après ils ajoutent à tout cela leur propre marge bénéficiaire majorée. C'est la même chose pour le secteur des détaillants alimentaires. Au moment où le consommateur l'obtient, des profits excédentaires ont été ajoutés à plusieurs étapes de la chaîne d'approvisionnement. Cela amplifie la répercussion finale sur l'inflation des prix à la consommation.
On a observé deux choses ces dernières années. Les Canadiens souffrent d'une inflation brutale. Ils ont vu le coût de presque tout augmenter à un rythme presque insoutenable. En fait, il s'agit d'un rythme insoutenable pour trop de nos concitoyens. Voilà quelque chose dont nous voyons la preuve empirique.
L'autre vérité devant nous, c'est que, depuis 2019, de nombreux acteurs du monde des affaires engrangent beaucoup d'argent. Ces deux faits coexistent, et nous savons pertinemment que, lorsque les profits augmentent dans de nombreux secteurs commerciaux dont dépendent les Canadiens, cet argent doit bien venir de quelque part; il vient directement du portefeuille de mes concitoyens et de celui de toutes les personnes que les députés représentent, aux quatre coins du pays.
Je conclurai mon intervention en disant qu'il s'agit d'un rapport important et que ses recommandations le sont tout autant. Je suis heureux d'avoir été membre du comité qui a produit ce rapport. Bien entendu, je voterai en faveur de son adoption. Voilà qui conclut mon intervention.