Monsieur le président, j'interviens ce soir pour parler de l'antisémitisme, plus particulièrement de la façon dont ce problème est perçu au Canada, des mesures que nous prenons pour lutter contre ce phénomène et de notre contribution à cet égard au sein de la communauté internationale.
Nous avons tous des histoires personnelles à raconter sur les différentes formes que peuvent prendre le racisme et la xénophobie. Dans ma jeunesse, l'antisémitisme était un phénomène très évident pour moi. Mon meilleur ami, Ross Polowin, était Juif. J'ai pu constater qu'il était traité différemment de mes autres amis. J'ai eu la chance d'être élevé dans un milieu où nos parents n'étaient pas les seules personnes à s'occuper de notre éducation. Nos voisins étaient aussi présents dans nos vies. La famille Polowin m'a certainement aidé à bien des égards. Elle m'a donné un sentiment de sécurité. Elle faisait partie d'une communauté tissée très serrée.
Cette famille m'a appris beaucoup de choses, dont les effets de l'antisémitisme sur le plan personnel. Les parents de Ross connaissaient l'histoire de ses grands-parents et la façon dont ils avaient échappé à la tyrannie de l'Allemagne nazie, ainsi qu'au stalinisme et à l'antisémitisme virulent. Dans ma jeunesse, j'ai été certainement sensibilisé à ces phénomènes.
Au cours des années qui ont suivi, j'ai fait partie d'un groupe qui a confronté une horrible association, le Heritage Front, ici même, à Ottawa. C'est une histoire très bien documentée. Je me suis joint à d'autres activistes pour dénoncer le fait que le groupe tenait ses assemblées dans les locaux du Club des garçons et filles. En solidarité avec quiconque entendait lutter contre le racisme à Ottawa, nous avons affirmé sans équivoque que l'antisémitisme n'avait pas sa place dans notre ville. Pendant un certain temps, le Front Heritage a été une force redoutable, mais les Ottaviens ont clamé d'une seule voix que le racisme, la xénophobie et l'antisémitisme n'avaient pas leur place dans leur milieu.
Il faut nommer les choses, qu'il s'agisse d'antisémitisme, d'homophobie, d'islamophobie ou de la nette flambée de misogynie dont nous sommes témoins dernièrement et qui est associée à la notion de culture du viol. Ces mouvances portent atteinte aux valeurs des Canadiens. Il faut les dénoncer. Il faut en comprendre la nature. Il faut les éradiquer. Nous ne devons pas faire l'autruche.
En matière d'antisémitisme ou de xénophobie, il faut invoquer les valeurs canadiennes. Lorsque quelqu'un est ostracisé en raison de son aspect physique, de sa religion, de son identité sexuelle ou de son pays d'origine, il ne faut pas garder le silence.
On sait ce qui se passe lorsque personne ne réagit. Les normes et les valeurs de respect et de tolérance que nous chérissons sont alors dépréciées et menacées.
C'est difficile. Ceux parmi nous qui sont parents ou qui se souviennent tout simplement de leur jeunesse savent à quel point il peut être difficile de s'élever contre certains comportements. Toutefois, il nous faut évidemment donner l'exemple au Parlement en tant que dirigeants. Lorsque des gens se font agresser, il faut les défendre.
Le ministre a rappelé qu'au fil de l'histoire, les Juifs ont été pris pour cible. Les raisons ne sont pas simples. Nous connaissons toutefois les conséquences. Nous savons que les personnes qui sont victimes d'attaques de ce genre à cause de leur foi — dans ce cas-ci la confession juive — sont ébranlées, agressées et considérées comme « l'autre ». Lorsqu'on considère certaines personnes comme « l'autre », il est dangereux qu'on en vienne même à nier leur appartenance à l'humanité.
Certains ont déjà parlé des événements récents, notamment de ce qui s'est passé aujourd'hui à Montréal. Je voulais en parler parce que je sais que ce n'est pas tout le monde qui a eu l'occasion de regarder les nouvelles.
Nous devons intervenir pour dire que cela est inacceptable. Quand des attentats sont perpétrés contre des communautés, il faut penser à ce que cela représente pour elles de voir de nouveau des croix gammées peintes sur des voitures et d'entendre proférer des menaces. C'est plus qu'une simple déclaration. C'est un attentat qui rappelle des émotions très difficiles aux gens et ceux-ci se sentent menacés.
Je me trouvais à Bruxelles pour assister à des réunions de l'OTAN quand les attentats de Copenhague ont eu lieu. J'ai suivi les événements, comme bien des gens. J'étais très inquiet de ce qui se passait. Cela m'a un peu rappelé ce qui est arrivé ici au mois d'octobre. On ignorait combien de personnes avaient été tuées, qui était responsable de l'attentat, et ainsi de suite. Certains faits étaient connus. Une communauté juive avait fait l'objet d'un attentat. On savait que quelqu'un avait agi en héros, comme c'est arrivé ici, pour sauver des vies. Nous avons aussi été témoins d'une réaction extraordinaire, à laquelle j'aimerais que nous puissions revenir à la Chambre. Je parle de l'esprit d'unité parmi ceux qui ont dit unanimement qu'ils n'abandonneraient pas leurs valeurs et qu'ils se rassembleraient pour lutter contre ce qu'ils avaient vécu. C'est arrivé ici les 23 et 24 octobre, et au cours des jours qui ont suivi.
Ce qui m'a frappé, ce sont les observations du rabbin qui était non seulement un leader de la communauté à Copenhague, mais qui est allé jusqu'à annoncer la nouvelle à la famille qui avait perdu un de ses membres. C'est un rôle très difficile à assumer. Non seulement il a fait part de son témoignage et il aidé la communauté en cette période difficile, mais il a dû également annoncer à la famille la mort de l'un des leurs.
Voici un extrait du témoignage présenté par le grand rabbin Mirvis à Copenhague. Je le cite:
Nous sommes solidaires en cette période difficile [...] Nous ne devons jamais céder à la terreur, ni hésiter à lutter contre elle et ses causes profondes.
Nous prions pour que les valeurs de respect, de tolérance et de paix l'emportent.
Il aurait pu dire autre chose. Il aurait pu se taire. Il aurait pu s'en prendre aux responsables. Or, il a décidé de ne pas faire cela et de présenter un témoignage rassembleur.
D'autres ont pris la parole. Un autre rabbin danois a dit ceci:
[...] Notre vie doit reprendre son cours normal. Le terrorisme vise à changer nos vies, mais nous ne le laisserons pas faire [...] Voilà comment il faut réagir face à la brutalité, à la cruauté et à la lâcheté des actes terroristes.
Voici ce qu'un autre représentant de la communauté juive a dit pendant cette période:
Je ne veux même pas envisager qu'on puisse réagir ainsi [à ces terribles attentats]. Selon moi, il faut combattre la terreur, où qu'elle se trouve.
La première ministre danoise, de son côté, a été tout simplement extraordinaire. Voici ce qu'elle a déclaré:
La communauté juive fait partie intégrante de notre pays depuis des siècles. Elle est chez elle au Danemark, et elle fait partie de la société danoise. Sans les Juifs, le Danemark ne serait pas le même.
Des mots tout simples, certes, mais qui envoient un message important à un moment où les gens se sentent vulnérables et où la communauté juive est prise pour cible.
L'antisémitisme vise à diviser, à isoler, à déchirer les gens à cause de leur identité, à permettre à la peur de prendre racine dans la population. Le meilleur remède, il va sans dire, demeure la mobilisation, la discussion et la protection, comme le disait le ministre, des plus vulnérables.
Antisémitisme, xénophobie, misogynie, islamophobie: toutes ces mouvances cherchent à monter une partie de la population contre une autre, et nous devons nous insurger, tous autant que nous sommes. Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour combattre ces idées, parce que nous nous rappelons les enseignements de l'histoire. Si nous ne nous réagissons pas et que nous laissons la haine nous envahir, alors l'humain est en péril et risque de perdre son humanité.
Ce soir, discutons tous ensemble des moyens qui nous permettraient de faire de notre pays et de nos villes et villages des endroits où il fait bon vivre et condamnons la haine et l'intolérance.