Monsieur le Président, c'est un honneur pour moi de prendre la parole au sujet du projet de loi C-39. Pour ceux qui suivent le débat aujourd'hui, il s'agit du projet de loi visant à modifier le Code criminel afin de repousser jusqu'au 17 mars de l'an prochain le moment où les personnes dont le seul trouble de santé est une maladie mentale ne seront plus exclues et seront parmi les personnes admissibles à l'aide médicale à mourir.
Il faut dire très clairement, en raison de l'échéancier avec lequel nous devons travailler, que si le projet de loi n'est pas adopté, la disposition de caducité incluse dans l'ancien projet de loi C-7 entrera en vigueur le 17 mars, soit dans un peu plus d'un mois. C'est pour cette raison que j'appuierai le projet de loi et que je collaborerai avec tous les partis pour qu'il soit adopté rapidement.
La discussion d'aujourd'hui doit tenir compte de la crise que connaît actuellement le Canada en matière de santé mentale. Nous savons qu'il manque cruellement de financement et de ressources dans ce domaine. C'est ce que des députés nous disent, ainsi que de nombreux militants et intervenants. Il est clair que, pour ce qui est du financement, il doit absolument y avoir parité entre la santé physique et la santé mentale.
La ministre de la Santé mentale et des Dépendances a déclaré à la Chambre que les Canadiens devraient avoir accès en temps opportun à des services de santé mentale et de traitement des toxicomanies fondés sur des données probantes, adaptés à leur culture et tenant compte des traumatismes, afin de favoriser leur bien-être. Je suis tout à fait d’accord avec cette affirmation, mais les mots ne suffisent pas. Nous devons voir les ressources et le financement nécessaires pour donner suite à ces paroles.
Nous savons qu’au-delà du transfert canadien en matière de santé mentale, de nombreux militants réclament depuis longtemps une mesure législative qui inscrira dans la loi la parité entre la santé mentale et la santé physique. Je suis très heureux aujourd’hui de prononcer mon discours aux côtés du député de Courtenay—Alberni, qui est notre porte-parole en matière de santé mentale et de toxicomanie et qui a lui-même déposé la motion no 67, qui demande au gouvernement d’élaborer cette loi et de tenir de toute urgence sa promesse d’établir le transfert canadien en matière de santé mentale.
Dans ma propre circonscription, Cowichan—Malahat—Langford, la crise des opioïdes représente un combat titanesque pour bon nombre de mes concitoyens. Ils sont confrontés à des traumatismes. Ils sont confrontés à des problèmes de santé mentale sous-jacents qui ne sont tout simplement pas pris en compte. Il s’agit là d’une gigantesque faille pour un pays aussi riche que le Canada, mais aussi d'une profonde source de honte quand on pense que nous en sommes encore à débattre des ressources qui doivent être mises en place dans des collectivités comme la mienne.
Je suis député à la Chambre depuis 2015, il s’agit donc de ma troisième législature. J’ai été ici pendant toute la durée du parcours législatif de l’aide médicale à mourir. Je me souviens du projet de loi C‑14 et des débats parfois ardus que nous avons eus à la Chambre. Ce projet de loi était en réponse à l’arrêt Carter de la Cour suprême, qui disait essentiellement que refuser ce droit aux gens était contraire à la Charte. La Cour donnait donc au gouvernement un délai pour y remédier avec une loi appropriée.
Quand on parle du projet de loi C‑14, qui a reçu la sanction royale, on parle rarement de l'exigence prévue par cette mesure législative. La loi prévoyait un examen quinquennal de l’aide médicale à mourir. Malheureusement, cet examen n’a pas pu avoir lieu avant que le gouvernement présente, au cours de la législature précédente, le projet de loi C‑7, qui établissait une deuxième voie pour les personnes dont la mort n’était pas raisonnablement prévisible.
Aujourd'hui, il faut mettre en contexte le discours sur le projet de loi C‑39. Le fait est que nous avons une trame narrative où le gouvernement a, à plusieurs reprises, mis la charrue avant les bœufs. Non seulement il a présenté le projet de loi C‑7 avant qu’un examen législatif ait eu lieu, ce qui était pourtant une exigence du projet de loi C‑14, mais il a ensuite accepté un amendement du Sénat au projet de loi qui allait à l’encontre de son propre énoncé concernant la Charte. Il a procédé à cet élargissement considérable de la loi sans créer un comité mixte spécial, comme l’exigeait le projet de loi C‑7.
Je connais parfaitement ce processus parce que non seulement je suis député depuis 2015, non seulement j’ai participé au débat sur le projet de loi C-14 et le projet de loi C-7, mais je siégeais aussi au comité mixte spécial à la dernière législature, et j’y siège encore.
Depuis le début, le message est que ce genre d’examen aurait dû avoir lieu avant que nous soyons pressés par le temps. Il est devenu très évident au comité mixte spécial que trop de Canadiens, trop de professionnels dans le pays appréhendaient le fait qu’il suffise d’invoquer des troubles mentaux comme seul problème médical pour avoir accès à l’aide médicale à mourir dès le mois prochain. C’est pourquoi nous avons le projet de loi C-39.
Je vais revenir à l’énoncé original relatif à la Charte que le gouvernement a publié dans le cadre du projet de loi C-7. Il comprend plusieurs déclarations importantes expliquant pourquoi le gouvernement pensait, au départ, que les troubles mentaux devraient être exclus, autrement dit qu’ils ne devraient pas permettre d’accéder à l’aide médicale à mourir. Cet énoncé relatif à la Charte précisait que l’exclusion ne reposait pas sur l’hypothèse selon laquelle des personnes souffrant d’une maladie mentale n’étaient pas aptes à prendre des décisions. Il disait aussi que l’exclusion ne reposait pas non plus sur l’incapacité d’apprécier la gravité des souffrances induites par les maladies mentales. En fait, elle reposait sur la complexité et les risques inhérents que présenterait la possibilité pour ces personnes de recourir à l’aide médicale à mourir.
Premièrement, cet énoncé relatif à la Charte expliquait que les données probantes laissaient entendre qu’il était particulièrement difficile de vérifier la capacité de prendre des décisions. La marge d’erreur serait importante. Deuxièmement, l’énoncé expliquait que les maladies mentales sont généralement moins prévisibles que les maladies physiques pour ce qui est de l’évolution de la maladie dans le temps. Enfin, il soulignait l’expérience de quelques-uns des pays autorisant l’aide médicale à mourir lorsque la maladie mentale est le seul problème médical, à savoir la Belgique, les Pays‑Bas et le Luxembourg, et indiquait certaines des préoccupations soulevées par le nombre croissant de ces cas et le large éventail de maladies mentales qui pourraient donner accès à l’aide médicale à mourir.
Cet énoncé insistait vraiment sur le fait qu’il fallait prendre des précautions avant de nous embarquer dans cette voie. Cependant, le gouvernement a décidé, dans sa sagesse, d’accepter un amendement au projet de loi proposé tardivement par le Sénat après que la Chambre, remplie des députés dûment élus, avait procédé à un vote final sur le projet de loi C-7. Je n’ai pas pu, en tant que député à l’époque, accepter cet amendement du Sénat. J’ai donc fini par me prononcer contre la version finale du projet de loi C-7 à cause de cela.
Il faut aussi préciser, dans cette récapitulation, que le comité mixte spécial prévu par le projet de loi C-7 a démarré très tard. Il a été formé juste avant la pause estivale de 2021. Nous n’avons eu que quelques réunions avant l’été 2021, puis nous avons eu les élections inutiles lancées uniquement à la demande du premier ministre, en août de cette année-là. Ces élections ont balayé tout ce qui était en cours pendant la 43e législature, qui a cessé d’exister, tout comme tous les comités qui en faisaient partie.
La nouvelle législature, la 44e, a débuté plus tard cette année-là, mais ce n’est que vers avril ou mai 2022 que des discussions sérieuses ont commencé et que nous avons reformé le comité mixte spécial. Là encore, nous devons mettre cela en contexte par rapport à la date butoir du 17 mars 2023.
Nous avons perdu énormément de temps, non seulement à cause d’élections inutiles, mais aussi à cause du retard dans la mise sur pied du comité. Nous avons dû demander deux fois aux deux Chambres du Parlement de prolonger notre mandat parce que le calendrier qui nous avait été donné était complètement irréaliste, non seulement pour entendre le plus large éventail possible de témoins, mais aussi pour produire un rapport à la hauteur de la gravité du sujet qui nous était confié. Il faut le souligner dans le débat d’aujourd’hui sur le projet de loi C-39.
Je pense également que c’est important parce que plusieurs versions des faits ont été présentées au sujet de ce projet de loi. Il est important de revenir en arrière pour comprendre ce que dit vraiment le Code criminel et aussi de replacer cela dans le contexte de la définition de l'irréversibilité.
Il est important que, pour être admissible à l’aide médicale à mourir, une personne réponde à tous les critères suivants: elle doit vérifier qu’elle a droit aux services de santé de la province dans laquelle elle réside; elle doit être âgée de 18 ans au moins et être apte à prendre des décisions relativement à sa propre santé; elle doit être atteinte de problèmes de santé graves et irrémédiables; et elle doit avoir présenté une demande volontaire. Elle doit satisfaire à toutes ces conditions. Elle doit donner son consentement éclairé à recevoir l'aide médicale à mourir, après avoir été informée des moyens disponibles pour soulager ses souffrances, y compris les soins palliatifs.
Nous en arrivons maintenant à la définition de problèmes de santé graves et irrémédiables énoncée dans le Code criminel. Aux termes de cette définition, la personne doit répondre aux critères suivants: elle doit être atteinte d’une maladie, d’une affection ou d’un handicap graves et incurables; sa situation médicale doit se caractériser par un déclin avancé et irréversible de ses capacités; et sa maladie, son affection, son handicap ou le déclin avancé et irréversible de ses capacités doit lui causer des souffrances physiques ou psychologiques persistantes qui lui sont intolérables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu’elle juge acceptables.
Telles sont les définitions du Code criminel. Par conséquent, malgré les arguments qui sont avancés, ces conditions doivent être respectées. Sinon, la personne qui administre l’aide médicale à mourir commettra un crime. Elle contreviendra au Code criminel du Canada, ce qui lui vaudra la sanction appropriée.
Une des difficultés tient au fait que le terme « irrémédiable » n’est pas un terme médical ou scientifique. C’est un terme qui trouve sa définition dans le Code criminel. Si on consulte la documentation scientifique ou médicale, on constate que c’est un terme difficile à définir et c’est pourquoi, selon moi, il y a beaucoup d’appréhension à accorder l’aide médicale à mourir lorsque des troubles mentaux sont le seul problème médical invoqué.
Des témoins qui ont comparu devant le comité étaient d’avis que ce ne devrait pas être autorisé parce qu’il ne peut pas y avoir de certitude quant au caractère incurable d’un trouble mental. Cependant, d’autres témoins ont déclaré que la certitude n’est pas nécessaire et qu’il existe des façons d’examiner le caractère irrémédiable, comme le nombre d’années de traitement suivi par la personne et le fait que le patient y ait réagi de manière positive ou non.
Nous devons également comprendre que le respect de l’autonomie personnelle est primordial dans ce dossier et que le traitement doit être acceptable pour la personne qui le reçoit. La personne doit non seulement exprimer un consentement éclairé, mais elle doit aussi considérer qu'il s'agit d'un traitement acceptable.
Je voudrais maintenant dire quelques mots sur le comité mixte spécial dont j’ai l’honneur de faire partie, comme je l’ai déjà mentionné.
Il me semble important de souligner que le comité a eu du mal à déterminer comment concilier l’autonomie individuelle et la protection des personnes vulnérables. Nous étions chargés d’examiner cinq thèmes en vertu du projet de loi C‑7 et de la motion de la Chambre et du Sénat qui a guidé nos travaux: comment instaurer des protections pour les personnes handicapées; l’état des soins palliatifs au Canada; les demandes anticipées; les mineurs matures; et, évidemment, le sujet qui nous occupe aujourd’hui, les troubles mentaux comme seul problème de santé invoqué et leur admissibilité en ce qui concerne les demandes d’aide médicale à mourir.
Notre rapport final doit être déposé à la Chambre le vendredi 17 février. Le comité a terminé ses réunions de comité la semaine dernière et a finalement approuvé un rapport préliminaire. En ce moment même, ce rapport est envoyé aux services de traduction afin qu’il soit prêt à être déposé à la Chambre dans le respect des délais qui nous ont été impartis.
Avant de faire ce travail, d'autres ont aussi fait un travail important avant nous. Le groupe d'experts a été créé. On s'est également penché sur des préoccupations majeures, comme l'incurabilité, l'irréversibilité, la capacité, les idées suicidaires et, bien sûr, l'intersection entre la vulnérabilité structurelle, les troubles mentaux et l'aide médicale à mourir.
Le rapport de ce groupe d'experts, précurseur important du travail de notre comité mixte spécial, indiquait que les évaluateurs de l'aide médicale à mourir devraient être en mesure d'établir l'incurabilité et l'irréversibilité selon les tentatives de traitement effectuées, les effets de ces traitements et la gravité de la maladie ou de l'incapacité. L'incurabilité d'un trouble mental ne peut être établie en l'absence de tentatives approfondies d'interventions à visée thérapeutique.
Autrement dit, une personne qui n'a pas eu accès à des soins adéquats ne pourrait pas bénéficier de l'aide médicale à mourir. L'aide médicale à mourir ne pourra jamais servir de substitut à de bons soins psychiatriques. Voilà un élément important dont nous devons prendre conscience. Des mesures de contrôle seront mises en place, non seulement dans le Code criminel, mais aussi, nous l'espérons, dans les normes de pratique.
Pour les patients qui envisagent l'aide médicale à mourir, nous voulons nous assurer qu'il y a eu une longue série de tentatives de traitement de leur maladie. En même temps, de nombreux Canadiens et de nombreux professionnels nous ont très clairement indiqué qu'il fallait plus de temps pour veiller à ce que les choses soient faites correctement.
Parmi les témoins qui ont comparu devant le comité mixte spécial se trouve la présidente de la Commission spéciale sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie du gouvernement du Québec. Elle nous a expliqué qu'en raison des difficultés à établir le caractère irrémédiable et de l'absence de consensus social, le Québec a décidé que, pour le moment, l'accès à l'aide médicale à mourir ne devrait pas être élargi aux personnes dont le seul problème médical est un trouble mental . À un autre échelon, la province de Québec a également exprimé des préoccupations qui correspondent à celles que de nombreux députés relèvent aujourd'hui à la Chambre.
J'ai mentionné le rapport final qui sera déposé à la Chambre, mais le comité a déjà publié un rapport provisoire qui porte précisément sur le sujet. Voici sa conclusion:
Il faut mettre en place des normes de pratique et des lignes directrices claires, offrir une formation adéquate aux professionnels, faire en sorte que les patients soient rigoureusement évalués et établir un cadre de surveillance utile pour permettre [l'aide médicale à mourir lorsqu'un trouble mental est le seul problème médical invoqué]. Pour y arriver, il faudra la collaboration des organismes de réglementation, des associations professionnelles, des comités institutionnels et de tous les ordres de gouvernement, et il est important que tous ces intervenants soient engagés et appuyés dans le cadre de ce travail important.
Bien que du travail soit déjà en cours pour mettre en œuvre les recommandations du Groupe d’experts, des inquiétudes demeurent quant aux efforts encore requis afin de s’assurer que toutes les mesures nécessaires soient en place d’ici mars 2023 [...]
Notre comité mixte spécial exprimait déjà des inquiétudes au sujet de l'échéance à venir lorsqu'il a publié le rapport intermédiaire, et je pense qu'il est judicieux d'aller de l'avant avec le projet de loi C‑39. Ajoutons à cela, comme justification, les témoignages que le comité a entendus de la part d'un certain nombre de personnes nous ayant clairement indiqué que l'échéance leur semblait trop hâtive et que les normes de pratique n'étaient pas encore prêtes.
Il faut souligner de nouveau que, si le projet de loi C‑39 n'est pas adopté, la disposition de caducité entrera en vigueur le 17 mars. C'est la raison pour laquelle j'appuie ce projet de loi, sans compter qu'il nous sera nécessaire de tenir une discussion sur l'aide médicale à mourir en général. Il s'agit d'appuyer un projet de loi qui repousse la date limite d'un an afin que nous puissions établir les normes de pratique correctement et que nous disposions du temps nécessaire pour consulter l'ensemble de la communauté.