Madame la Présidente, c'est un plaisir de prendre la parole aujourd'hui sur le projet de loi C-219, dont le texte vise à modifier le Code criminel afin d'alourdir les peines relatives aux infractions d'exploitation sexuelle et d'ajouter comme circonstance aggravante, entre autres aux fins de détermination de la peine, le fait que la victime est une personne ayant une déficience.
Je suis d'accord avec l'ensemble — je crois — de la Chambre sur le fait que le projet de loi a un objectif noble, celui de protéger les personnes les plus vulnérables. Je suis peut-être un peu moins à l'aise avec la façon d'atteindre cet objectif par l'entremise d'une détermination de la peine plus élevée et de l'imposition de peines minimales obligatoires plus élevées.
Avant de commencer l'étude précise du projet de loi, je vais faire un commentaire général sur les peines minimales, revenant sur une question que j'avais déjà posée à la Chambre: ces peines ont-elles vraiment un effet dissuasif? L'exemple que j'avais cité était le recours au Bloody Code en Angleterre, du XVIIe siècle au XIXe siècle. Ce code prévoyait la peine capitale pour certains crimes comme le vol d'un bien d'une valeur de plus de 12 pences, comme un navet. On aurait pu croire que le code aurait eu un effet dissuasif sur le vol de navets, mais cela n'a pas été le cas: plutôt que d'envoyer des gens à la potence pour le vol de biens de si faible valeur, les jurés préféraient acquitter les criminels, souvent en sous-estimant la valeur du bien volé. Loin d'avoir un effet dissuasif, le code a plutôt eu un effet persuasif puisqu'il ne s'est jamais volé autant de navets qu'après l'imposition de la peine capitale pour leur vol.
À notre époque moderne, on pourrait penser que l'obligation d'imposer une peine minimale pourrait aussi avoir un effet dissuasif, cette fois sur le juge, ce dernier pouvant être tenté de trouver une façon d'acquitter la personne plutôt que de lui imposer une peine minimale qui serait disproportionnée dans le contexte du crime commis. Inversement, si la peine minimale est très petite, on peut se demander si elle aura vraiment un effet dissuasif et si son seul effet sera de donner moins de latitude aux juges.
Avant de me prononcer sur les différentes parties du projet de loi, j'indique que je ne m'avancerai pas à ce stade-ci sur la pertinence de renvoyer ce projet de loi à un comité. Je pense que le projet de loi soulève plusieurs questions et c'est sur ces dernières que je vais m'attarder aujourd'hui. Je préciserai ensuite si je voterai pour ou contre le projet de loi à l'étape de la deuxième lecture. Je pense que les discussions à la Chambre seront très instructives et qu'elles seront une belle occasion de montrer l'importance des débats que tient la Chambre.
Le premier des trois aspects que couvre le projet de loi C-219 traite de personnes en situation d'autorité. L'article 153(1.1) du Code criminel serait modifié pour faire passer la peine minimale dans le contexte d'une déclaration de culpabilité par procédure sommaire de 90 jours à un an. Dans pareille procédure sommaire, le juge se verrait limité à donner une sentence comprise entre un an et deux ans moins un jour. Cela limite donc beaucoup la latitude du juge dans la détermination de la peine. Le travail du juge ne consiste pas qu'à prononcer un verdict de culpabilité ou un acquittement. Une bonne partie de son travail est aussi de déterminer la peine; sa latitude dans le cas présent serait de beaucoup réduite.
Un autre problème est l'imposition des mêmes peines minimales pour des crimes traités comme des actes criminels et pour ceux considérés comme des infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Le fait d'imposer la même peine minimale pour des crimes que l'on considère de gravité différente soulève des questions.
Par ailleurs, cette modification au Code criminel pourrait ne pas être constitutionnelle. En 2019, la Cour d'appel du Yukon a déclaré inconstitutionnelle la peine minimale d'un an pour l'acte criminel. À plus forte raison, on peut s'attendre à ce que les tribunaux fassent la même chose pour la peine minimale d'un an imposée dans le cas d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. La Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse et certains tribunaux inférieurs d'autres provinces ont également déclaré cette portion de la loi inconstitutionnelle.
La deuxième modification suggérée dans le projet de loi parle d'une situation d'autorité ou de confiance exercée plus précisément à l'endroit d'une personne ayant une déficience mentale ou physique. Le même problème qui se pose avec cet article, c'est que, encore une fois, on ajoute une peine minimale d'un an pour la procédure par voie sommaire. On aura fort probablement le même débat sur la pertinence d'avoir la même peine minimale, que l'on procède par procédure sommaire ou par acte criminel.
Un autre problème pourrait être la constitutionnalité de cette peine minimale obligatoire. En effet, quand on regarde un article de loi qui vise à protéger des personnes similaires considérées comme vulnérables, dans ce cas-ci un enfant de moins de 16 ans, on doit savoir que la Cour d'appel du Québec a déjà cassé la peine minimale obligatoire dans la cause Caron Barrette, en 2018. Elle a déclaré:
[...] que la peine minimale obligatoire d'un an d'emprisonnement prévue par l'alinéa 151a) C. cr. est inopérante à l'égard de l'appelant, inconstitutionnelle au regard de l'article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés et n'est pas sauvegardée par l'application de l'article premier de la Charte.
On pourrait donc avoir, dans ce cas-ci aussi, un problème de constitutionnalité. Un autre problème est que le paragraphe 153(1) du Code criminel est assez peu utilisé, parce qu'il n'est pas très clair. Il ne prêche malheureusement pas par excès de clarté.
Au paragraphe 184 de la décision dans la cause R. c L.C., l'honorable Erick Vanchestein dit:
Cette disposition n’a pas fait l’objet de doctrine ou jurisprudence particulières relativement à son interprétation.
C'est donc relativement peu utilisé. Il poursuit en disant:
Il appert des débats et des travaux parlementaires qui ont entouré l’édiction de cette disposition que cette infraction a été créée à la demande d’organismes représentant les [personnes handicapées] qui cherchaient à obtenir une protection spécifique pour les personnes handicapées vulnérables à [leur] égard, plus particulièrement, les pourvoyeurs de soins [...] Pour donner un sens à cette disposition, il faut nécessairement qu’elle soit complémentaire aux dispositions avec lesquelles elle s’inscrit.
Le paragraphe important est le suivant:
Selon le Tribunal, la protection ciblée par cette disposition est l’abus sexuel qui profite de l’handicap de la victime, ce qui n’est pas le cas dans notre affaire.
Dans ce cas-ci, la victime souffrait de surdité.
La conclusion, c'est que la personne a été acquittée sur le chef lié à l'article 153, parce qu'il fallait faire la preuve qu'on avait abusé de la situation de handicap. Ce que font généralement les procureurs de la Couronne, c'est qu'ils utilisent d'autres articles plus clairs et pour lesquels il est plus facile d'obtenir une condamnation. Cela rend l'article 153 inutile, à la limite, parce qu'il n'est pas assez clair ou qu'il est trop difficile de rencontrer le fardeau de la preuve.
Le dernier passage du projet de loi appelle à une modification dans le contexte de la marchandisation des activités sexuelles. On mentionne ici que le tribunal devra « considérer comme circonstance aggravante le fait que la victime est une personne ayant une déficience mentale ou physique ».
D'une part, on peut s'attendre à ce que cela crée une forme de discrimination lors de l'embauche des travailleuses du sexe. C'est d'ailleurs la portion un peu absurde de la chose. Par exemple, une travailleuse du sexe qui vivrait avec un handicap ne la rendant pas vulnérable, par ailleurs, verrait ses clients être plus criminalisés que ceux de sa collègue ne vivant avec aucun handicap. Ce serait une conclusion assez étrange d'une lecture très littérale de l'article.
D'autre part, on peut se référer à l'article 718.04 du Code criminel, qui prévoit déjà des circonstances aggravantes dans le cas des crimes commis contre des personnes vulnérables. Voici ce que dit l'article:
Le tribunal qui impose une peine pour une infraction qui constitue un mauvais traitement à l'égard d'une personne vulnérable en raison de sa situation personnelle, notamment en raison du fait qu'elle est une personne autochtone de sexe féminin, accorde une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion de l'agissement à l’origine de l’infraction.
Il y a donc, pour les juges, une directive indiquant que la peine doit être plus élevée lorsqu'elle touche une personne considérée comme vulnérable.
On peut donc se poser plusieurs questions sur le projet de loi. On pourra revoir tout ce qui s'est fait à la suite de l'arrêt Bedford, qui a décriminalisé le fait d'offrir des services sexuels. Doit-on taper sur le client ou se concentrer, par exemple, sur les proxénètes?
Il y a beaucoup de matière à débattre. J'ai vraiment hâte de pouvoir suivre ce dossier et d'entendre les débats parlementaires à ce sujet.