Madame la Présidente, pour que les gens qui suivent nos débats puissent bien comprendre ce dont il s'agit, nous débattons aujourd'hui d'une motion du Bloc québécois qui vise à établir, selon lui, qu'il ne sert à rien d'essayer de faire mieux au Canada. Il ne sera pas surprenant de constater que le Nouveau Parti démocratique, voué comme il est à essayer d'établir des conditions gagnantes au Québec pour le Canada et au Canada des conditions gagnantes pour le Québec, ne peut pas partager ce point de vue plutôt triste et sombre.
Je lirai tout de même la motion du Bloc et on constatera qu'il commence avec la conclusion et finisse avec la prémisse. Si j'ose dire, c'est très révélateur de l'état d'esprit des conservateurs et des bloquistes, c'est-à-dire que les conclusions sont décidées à l'avance.
Les bloquistes décident que le Canada n'en vaut pas la peine alors que les conservateurs sont en train de tout faire pour détruire la place du Québec au sein du Canada. Regardons la conclusion avec laquelle ils commencent leur motion. « Que cette Chambre constate que 20 ans après l'échec de l'Accord du Lac Meech, le fédéralisme n'est pas renouvelable [...] » C'est la conclusion du Bloc. Les bloquistes donnent la prémisse suivante qui est fausse en disant en substance qu'aucune offre constitutionnelle qui satisferait les demandes traditionnelles du Québec n'est venue ni ne viendra d'aucun gouvernement fédéral.
C'est toute une prouesse de pouvoir faire une telle affirmation. Les bloquistes assis en cette Chambre au mois de mai 2010 sont capables d'affirmer, en regardant dans leur boule de cristal — ils ont sûrement les dons de Nostradamus —, quead vitam aeternam, pour des siècles et des siècles, aucun gouvernement ne pourra satisfaire leurs demandes.
Il y a une astuce à cela. On lit la motion et on se demande ce qu'elle fait pour aider le Québec, et ce, de la part d'un parti qui se réclame être là pour faire progresser le Québec. La dernière fois que le Bloc a proposé une motion à débattre, elle était constructive et positive. Elle visait un résultat qui pouvait aider le Québec. Elle visait à maintenir le poids politique du Québec à l'intérieur de la Chambre des communes, soit l'instance parlementaire législative la plus importante au Canada. On n'avait aucun problème à appuyer le Bloc à cet égard. Tous mes collègues, même ceux en provenance de la Colombie-Britannique, de l'Alberta, du Manitoba et de l'Ontario étaient là pour l'appuyer.
La raison pour laquelle ils étaient en mesure de l'appuyer, c'est parce qu'on a vu qu'il y avait deux choses à faire pour rééquilibrer notre structure démocratique. Il y a eu une forte augmentation du poids démographique dans d'autres provinces. La représentation proportionnelle à la population est un élément de base de notre démocratie. Nous n'avions donc pas de problèmes à augmenter substantiellement le nombre de sièges en Colombie-Britannique, en Alberta et en Ontario, notamment.
Cela n'empêche pas de dire que si on est sincère lorsqu'on dit que les Québécois forment une nation à l'intérieur d'un Canada uni, il faut que cela ait un sens réel. C'est là que le NPD, comme parti résolument fédéraliste, croit que le Canada vaut la peine et que le Canada est mieux avec le Québec et que le Québec est mieux avec le Canada. C'est ce qu'on croit et on travaillera dans ce sens. C'est le sens même de la déclaration de Sherbrooke proposée par le chef du Nouveau Parti démocratique, qui est le premier chef du NPD né au Québec. Il comprend les besoins impérieux de cette reconnaissance fondamentale du Québec.
Dans la motion du Bloc, on se réfère à un événement qui est arrivé il y a 20 ans, soit l'Accord du lac Meech. À les entendre aujourd'hui et à lire leur motion, un observateur qui viendrait d'un autre pays et qui serait en train aujourd'hui d'écouter le débat dans les tribunes dirait que l'Accord du lac Meech intéressait le Bloc québécois. Il croirait que le Bloc québécois et les souverainistes étaient en faveur de l'Accord du lac Meech parce qu'ils se lamentent aujourd'hui à son sujet.
Je cite mon collègue de Rosemont—La Petite-Patrie qui a parlé tout à l'heure. Il a dit que l'accord avait été floué. C'est son terme et non le mien. Il a dit par la suite que le corps a été mis à mort. Ils se lamentent, ils pleurent la mise à mort de l'Accord du lac Meech. Le petit problème de logique du Bloc québécois, c'est qu'ils se sont battus becs et ongles contre l'Accord du lac Meech, le même accord à propos duquel ils se lamentent aujourd'hui. Ils ont obtenu le résultat qu'ils voulaient, c'est-à-dire la mise à mort de l'Accord du lac Meech.
C'est une toute petite difficulté de logique inhérente à l'analyse du Bloc québécois, mais il n'est plus à cela près. Peu après, on a eu droit à une autre tentative de réformer la Constitution, qui s'appelait l'accord de Charlottetown. Toutes les forces vives du mouvement souverainiste se sont attaquées, comme un seul homme, à l'entente de Charlottetown.
J'ai fait référence, tout à l'heure, à une tentative de bonne foi du Bloc, récemment, de geler au moins à son poids actuel, soit à 24,35 p. 100 des sièges, le nombre de sièges du Québec à la Chambre. L'accord de Charlottetown nous aurait donné 25 p. 100. Le Bloc était contre. On essaie présentement de maintenir 24,35 p. 100.
Le grand perdant dans le remaniement du nombre de sièges proposé par les conservateurs est le Québec. Le Québec est la seule province au Canada, la seule, entendons-nous bien, qui voit, avec ce changement, son poids démographique passer en dessous de sa représentation par population. C'est le seul perdant des actions des conservateurs dans toute cette manoeuvre.
Le Bloc a encore un problème de logique et de constance. S'étant battu contre la reconnaissance du Québec et ses 25 p. 100, que lui restait-il comme argument? Il ne veut même pas que le Québec reste à l'intérieur du Canada, mais il plaide pour une meilleure représentation. C'est une contradiction inhérente à sa logique, insurmontable, sur quelque plan que ce soit.
Je me souviens quand l'ancien premier ministre, qui malheureusement a eu d'autres difficultés dans la vie — on attend la décision de la Commission Oliphant bientôt —, a eu une idée et a dit une phrase célèbre. Il a dit qu'il voulait que le Québec réintègre la Constitution dans l'honneur et l'enthousiasme. Il s'est démené à cette fin.
Tout à l'heure, j'écoutais attentivement la députée de Notre-Dame-de-Grâce. Je suis certain que c'était une erreur de bonne foi, mais elle a dit quelque chose de contraire à la vérité dans sa présentation. Elle a dit qu'un sondage démontrait hier que quatre Québécois sur cinq souhaitaient que le Québec intègre la Constitution. C'est faux. Ce sondage révèle que quatre Québécois sur cinq souhaitent que la reconnaissance du Québec comme nation soit intégrée à la Constitution.
C'est ce que souhaite le Nouveau Parti démocratique. Notre formation politique souhaite que cette reconnaissance soit réelle et soit intégrée à la Constitution canadienne. Ainsi, on va éviter le triste spectacle des conservateurs qui enlèvent du poids politique au Québec à l'intérieur de la Chambre des communes. On va éviter le triste spectacle des conservateurs et leurs Québécois de service en train de voter contre les juges bilingues.
C'est comme si le fait d'être bilingue rendait moins compétent pour siéger à la Cour suprême. La Loi sur les langues officielles a été adoptée en 1968. Cela fait plus de quarante ans. Quiconque songe à se faire nommer à la Cour suprême, aujourd'hui, a fait son cours de droit après l'adoption de la Loi sur les langues officielles et savait l'importance de connaître les deux langues.
J'étais président d'un Parlement-école de l'Université Queen's, l'une des grandes universités au Canada. Un peu étonné du peu de français que j'ai entendu lors des débats des quelque trois cents étudiants qui étaient là, j'ai interagi avec les étudiants après mon quart de travail dans le rôle de président et j'ai demandé tout simplement combien d'entre eux avaient fait leurs études ou une partie de leurs études en immersion. Je n'ai pas été surpris d'apprendre que les deux tiers — c'est-à-dire 200 sur 300, parce que c'est une bonne école qui attire de bons candidats — avaient fait de l'immersion. Je leur ai dit, en anglais, avec un clin d'oeil: « If you don't use it, you'll lose it ». S'ils ne pratiquaient pas leur français, ils allaient le perdre.
Avec le signal que les conservateurs et leurs Québécois de service sont en train d'envoyer — c'est honteux pour eux de voter contre leur propre langue —, ils sont en train de dire à un jeune étudiant en droit brillant dans le reste du Canada de ne pas prendre la peine d'aller à l'Université Laval pendant un été pour peaufiner son français et de ne jamais suivre un cours, comme le faisait Brian Dickson, ancien juge en chef qui s'est donné comme mission, tard dans la vie, d'apprendre le français. Le message des conservateurs et de leurs pitoyables Québécois de service est « ne vous donnez pas la peine ».
« Le français n'a aucune importance dans ce pays. Il ne vous sera jamais utile à quelque moment que ce soit de votre vie politique ou professionnelle. Vous pouvez fréquenter une faculté de droit au Canada. Vous n'entendrez jamais un seul mot en français. Vous ne pratiquerez jamais votre français. Vous pouvez vous présenter devant le plus haut tribunal du pays, et ce, même si vous ne comprenez pas un mot de ce qui vous est dit en français. »
Je me souviens d'avoir vu un enregistrement dorénavant célèbre de la juge en chef McLachlin en train de demander à un avocat francophone qui plaidait devant la Cour suprême:
« Je vous prierais de parler moins vite. Le juge Rothstein ne peut pas comprendre tout ce que vous dites avec l'aide des interprètes. »
Quand on sait que le temps dont on dispose devant la Cour suprême est strictement réglementé, il est peu étonnant que dorénavant on voit les meilleurs plaideurs du Québec astreints de plaider en anglais devant la Cour suprême pour ne pas être pénalisés. C'est là où on en est rendus avec le gouvernement conservateur et leurs Québécois de service qui ont le culot de dire qu'ils reconnaissent le Québec comme nation, mais qui, par tous leurs gestes, font tout ce qui est possible pour miner cette réalité.
On marque dans cette motion aujourd'hui l'anniversaire de l'Accord du lac Meech, mais on a très récemment fêté l'anniversaire d'un autre événement tristement célèbre, soit le coup de la Brinks. Pour les gens qui ne s'en souviennent pas, c'était un événement médiatique, mis en scène par les petits cousins des libéraux fédéraux, les libéraux du Québec. Ils ont aligné des camions Brinks pour les emmener de l'autre côté de la frontière, en Ontario. Ils n'ont même plus besoin de faire d'efforts, parce que les conservateurs sont en train de s'aligner avec les libéraux pour évacuer du Québec tout le secteur de la gestion des valeurs mobilières. Des milliers d'étudiants et de finissants brillants du Québec, qui en ce moment peuvent travailler dans ce domaine au Québec, seront obligés de partir si le plan des conservateurs et de Dalton McGuinty voit le jour.
Le brillant et talentueux Dalton McGuinty, le même qui est dans les journaux aujourd'hui, est en train de comparer le secteur des banques à Toronto au Wayne Gretzky des banques. Il me semble, et c'est juste une idée comme ça, que le premier ministre, avec sa base à Toronto, est un peu mal placé pour parler de hockey avec le reste du Canada, mais c'est une suggestion que je lui fais gratuitement comme cela.
Chaque fois qu'il est question du Québec, les conservateurs sont contre toute reconnaissance réelle. Chaque fois que cela compte, les libéraux vont s'allier avec les conservateurs pour aller contre le Québec. J'ai mentionné tout à l'heure le nombre de sièges à la Chambre des communes. Libéraux, conservateurs, c'est le même combat. Ils s'allient contre une reconnaissance réelle au sujet de l'importance d'accorder, de préserver et de maintenir un poids politique et démocratique au Québec ici à la Chambre des communes. Si on est sincère lorsqu'on dit que le Québec constitue une nation au sein du Canada, on ne peut pas voter pour la diminution du poids démocratique en-dessous du poids démographique du Québec au sein de cette Chambre. C'est précisément ce pour quoi les conservateurs et les libéraux ont voté.
J'ai entendu Liza Frulla à une émission de télévision qui s'appelle Le club des ex. Elle opinait, la veille du vote, que jamais le député de Bourassa n'allait voter contre le Québec dans un dossier comme celui-là, que jamais les libéraux ne pourraient songer à voter pour réduire le poids politique du Québec. Moi, je n'étais pas surpris de voir le même député de Bourassa se lever et voter contre le Québec, voter avec les conservateurs pour réduire le poids du Québec à la Chambre des communes. Cela ne m'a pas surpris du tout parce que c'est le comportement constant du Parti libéral depuis l'époque de Pierre Trudeau. Les libéraux n'ont eu qu'une seule stratégie depuis les 40 dernières années. Ils ne cessent d'agiter. Quand il était question de Meech, pas de problème, ils ont envoyé les Pierre Elliott Trudeau, Marc Lalonde et toute la vieille gang pour attaquer toute tentative donnant une meilleure reconnaissance au Québec au sein du Canada parce que cela allait contre leur religion. La religion « trudeauesque », c'est que toutes les provinces sont égales. La religion des conservateurs, c'est de dire qu'il y en a une qui est différente, qui est une nation, mais non seulement on ne lui donnera aucune reconnaissance réelle, mais à chaque occasion où on devra se prononcer là-dessus, ce sera pour lui retirer de son poids politique, de sa reconnaissance.
Donc, on a parlé des valeurs mobilières et du nombre de sièges ici, mais parlons aussi de la langue de travail. Si, depuis le 26 août 1977, la Charte de la langue française accorde à l'ensemble des travailleurs au Québec le droit d'exercer leurs activités en français, si la Charte de la langue française nous donne le droit de recevoir notre convention collective, les communications écrites de notre employeur et ainsi de suite, en français, il n'en est pas ainsi au niveau fédéral parce que le Code du travail du Canada s'applique dès que notre travail est dans un domaine qui relève de la juridiction des lois du Canada.
Par exemple, si un individu travaille dans une station de radio et qu'il est syndiqué, son syndicat est régi par le Code canadien du travail et non par le Code du travail du Québec, même si la station est au Québec. Les radiocommunications et les télécommunications relèvent du gouvernement fédéral. C'est un bon exemple.
Si on travaille pour une compagnie d'autobus de Gatineau — les autobus traversent la frontière entre l'Ontario et le Québec, même si la frontière est virtuelle —, l'employeur peut exiger que ses employés parlent anglais, même si cela n'a rien à voir avec le travail de chauffeur d'autobus. C'est pour accommoder le patron.
Si on travaille pour une compagnie de téléphonie cellulaire à Rimouski et que le nouveau patron unilingue anglophone de la Colombie-Britannique — c'est un vrai cas — exige que son entourage soit au moins capable de lui parler en anglais, il s'agit là d'une connaissance linguistique pour accommoder l'employeur et non pour effectuer la tâche. C'est illégal au Québec depuis le 26 août 1977, mais c'est tout à fait permis au fédéral et cela se produit encore.
Le NPD a un projet de loi qui ne « scraperait » pas la Loi sur les langues officielles, mais qui accorderait ce droit aux travailleurs au Québec. Les conservateurs ont voté contre, mais parce qu'ils sont minoritaires, ils ont toujours besoin d'un partenaire de danse. Qui était le partenaire de danse du Parti conservateur lorsqu'il s'agissait de la langue de travail? La même députée de Notre-Dame-de-Grâce—Lachine qui, dans un article publié dans The Gazette et dans le Journal de Montréal, expliquait très fièrement que le Parti libéral du Canada n'appuierait pas une meilleure protection de la langue française au travail au Québec dans les entreprises qui relèvent de la compétence fédérale. Ça, c'est la réalité!
Oublions les mots factices. Un de ces mots a même été inventé par le député de Westmount—Ville-Marie tantôt et il est trop fabuleux pour ne pas être répété. On nous parle maintenant « fédéralisme de convergence ». Allô, la convergence! Voici vers quoi cela converge: vers aucune reconnaissance de la nécessité d'être bilingue à la Cour suprême; vers moins de poids politique pour le Québec à la Chambre des communes; et vers le vol du secteur des valeurs mobilières relevant de la compétence des provinces pour le transférer à Toronto. C'est le coup de la Brink's, partie II, voté et appuyé par les libéraux et les conservateurs.
Lorsqu'il s'agissait de la loi 104, les motions déposées à la Chambre pouvaient avoir un poids politique. La décision incroyablement mal avisée de la Cour suprême du Canada a vidé de son sens la loi 101. On attend toujours une réaction du gouvernement du Québec, qui tarde à venir.
Les motions comme celle dont on discute aujourd'hui peuvent avoir un effet concret. Il aurait été mieux d'avoir quelque chose de concret sur la table aujourd'hui. Si le Bloc québécois avait dit qu'il fallait inscrire la reconnaissance de la nation du Québec dans la Constitution, le NPD aurait été le premier à l'appuyer. Et cela aurait pu aider le Québec, qui sait?