Monsieur le Président, dans un monde idéal, il ne serait pas nécessaire de discuter de ce projet de loi. Les dispositions désuètes et paternalistes de la Loi sur les Indiens qui régissent les élections des Premières Nations ne s'appliqueraient plus, car les Premières Nations auraient toutes un régime d'autonomie gouvernementale. C'est l'objectif que nous poursuivons tous.
Malheureusement, pour la majorité des Premières Nations du Canada, nous n'en sommes pas encore là. Certaines communautés qui sont déjà engagées dans le processus d’autonomie gouvernementale ont adopté différentes stratégies, notamment en élaborant leur propre code électoral communautaire, de sorte qu'elles ne sont plus obligées d'appliquer le régime prévu par la Loi sur les Indiens. Mais elles n'ont pas toutes la capacité de le faire. D'autres ont préféré consacrer leur énergie et leurs ressources aux nombreux enjeux prioritaires qu'elles ont à surmonter.
Nous voulons aller à la rencontre de ces Premières Nations, faire la moitié du chemin en quelque sorte, en leur offrant une option de rechange au régime électoral que prévoit la Loi sur les Indiens, car ce régime n'est plus d'actualité, n'ayant pratiquement pas été modifié depuis les années 1950. Il comporte d'innombrables lacunes et problèmes qui contribuent à déstabiliser les gouvernements des Premières Nations. Bref, c'est un régime qui, en plus d'être une source de frustration, se révèle bien souvent antidémocratique.
Il n'est donc pas étonnant qu'un grand nombre de Premières Nations aient réclamé un autre régime électoral, et c'est exactement ce que leur propose le projet de loi S-6. Autrement dit, ce projet de loi propose aux Premières Nations de tenir des élections selon un système autre que le régime désuet de la Loi sur les Indiens.
Avant d'exposer les nombreux avantages de ce projet de loi, je pense qu'il serait utile que je fasse un rapide survol des différents régimes électoraux qui sont actuellement en vigueur dans les communautés des Premières Nations.
Ces régimes varient d'une communauté à l'autre. À l'heure actuelle, 238 Premières Nations organisent leurs élections en vertu du régime de la Loi sur les Indiens, soit 40 % environ de la totalité des communautés. Les nombreux problèmes, voire abus, que ce système occasionne ont été largement documentés dans toutes sortes de rapports, et divers députés en ont parlé au cours du débat.
La majorité des Premières Nations, soit 343 ou 55 % du nombre total de Premières Nations au Canada, choisissent leur chef et leurs conseillers selon un système communautaire qui, dans la plupart des cas, leur est propre. Dans bien des cas, ces systèmes possèdent toutes les caractéristiques fondamentales de la bonne gouvernance: des élections ouvertes et transparentes, et des mécanismes de recours efficaces, le cas échéant.
Malheureusement, il y a des exceptions, et un petit pourcentage de Premières Nations qui ont leur propre code électoral sont régulièrement aux prises avec des conflits, qui, dans certains cas, ont conduit à une rupture de gouvernance, à l'imposition d'une tierce partie pour gérer la communauté, et à des poursuites judiciaires interminables et coûteuses entre les membres de la communauté.
Ces conflits sont souvent générés par une absence de consensus, au sein de la communauté, quant aux règles et procédures électorales à respecter, cette absence de consensus étant exacerbée par l'inexistence de mécanismes de recours. Il est déjà arrivé que des élections distinctes soient organisées en parallèle dans la même communauté, et que les élus des deux camps prétendent être les dirigeants légitimes et dûment élus de la communauté. Il va sans dire que ce genre de conflit empoisonne la vie communautaire et entrave le développement économique.
Les 36 Premières Nations qui restent, soit à peu près 5 %, ont des systèmes électoraux inscrits dans la constitution communautaire, dans le cadre d'une entente d'autonomie gouvernementale. Comme je l'ai dit tout à l'heure, c'est l'objectif ultime auquel aspirent la plupart des Premières Nations.
Comme je l'ai fait remarquer, bon nombre de communautés qui sont encore assujetties au régime électoral de la Loi sur les Indiens n'ont pas encore d'entente d'autonomie gouvernementale ou n'ont pas la capacité d'élaborer leur propre code électoral. Cela ne les empêche pas de souhaiter un système plus juste, plus transparent et plus responsable pour organiser des élections dans la réserve.
Je tiens à préciser que je ne parle pas de toutes les Premières Nations du pays, car il est bien évident que certaines sont tout à fait satisfaites du statu quo, et que d'autres ne veulent rien d'autre que l'autonomie gouvernementale. J'affirme à tous mes collègues que le projet de loi S-6 propose aux communautés qui le désirent un système électoral tout à fait viable.
John Paul, directeur exécutif du Atlantic Policy Congress of First Nations Chiefs, a témoigné sur toutes ces questions lors de sa comparution devant le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.
Ce projet de loi est exactement ce que réclament bon nombre de communautés. En effet, elles sont nombreuses à nous avoir dit qu'elles voulaient des changements qui vont les amener peu à peu vers l'autonomie gouvernementale, mais un nouveau système qui ait des assises solides. Ce qu'elles veulent, c'est la certitude et la stabilité, ce qu'elles n'ont pas actuellement.
Ce que veulent ces Premières Nations, Jody Wilson-Rayboud, de l'Assemblée des Premières Nations, l'a parfaitement expliqué lorsqu'elle a comparu devant le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, à propos du projet de loi S-6. Elle a dit qu'une loi « comme le projet de loi S-6 [...] s’inscrit dans la vision d'un cheminement sur un continuum de gouvernance et appuie cette vision [...] ». C'est à ces Premières Nations-là que le projet de loi s'adresse. Et à leur demande, notre gouvernement a collaboré avec des partenaires des Premières Nations pour élaborer un dispositif législatif facultatif pour l'élection des chefs et des conseillers de ces communautés. C’est un régime qui se situe entre le statu quo et l’autonomie gouvernementale.
Nous avons donc emboîté le pas aux partenaires des Premières Nations, le Atlantic Policy Congress of First Nations Chiefs et l'Assemblée des chefs du Manitoba, qui ont fait toutes les recherches nécessaires et qui ont organisé des consultations dans leurs régions respectives et à l'échelle du pays, afin d'en arriver à un nouveau régime viable, celui que décrit le projet de loi S-6. Il s'agit d'un régime électoral facultatif, qui garantit la transparence et la responsabilité des gouvernements, mais le projet de loi donne aussi aux Premières Nations la possibilité de choisir le régime électoral qui leur convient le mieux.
Notre gouvernement veut simplement créer les conditions favorables à l'élection de gouvernements forts, stables et efficaces dans les communautés des Premières Nations, des gouvernements qui fassent preuve de transparence et qui soient prêts à rendre des comptes à leurs membres. Un processus de sélection libre et équitable encourage les chefs à rendre des comptes à leurs membres plutôt qu'au gouvernement du Canada. C'est un tremplin vers l'autonomie gouvernementale. Le projet de loi S-6 est une première étape vers cet objectif, mais ce n'est pas une panacée à toutes les failles du régime électoral actuel de la Loi sur les Indiens.
Les Premières Nations qui décideront d'adhérer au nouveau système pourront ainsi surmonter les nombreux problèmes que pose le régime électoral de la Loi sur les Indiens. Le projet de loi vise à corriger les nombreuses lacunes identifiées dans l'étude de l’APN sur la réforme électorale, en 2008, dans l'étude du comité sénatorial de 2009, et dans les recherches effectuées par l’APC et l’AMC, car tous ces problèmes entravent le développement économique et la qualité de vie d'un trop grand nombre de communautés des Premières Nations.
Dans un monde idéal, nous nous débarrasserions complètement de la Loi sur les Indiens, mais comme on ne peut pas la remplacer du jour au lendemain, ça poserait davantage de problèmes que ça n'en résoudrait. Comme l'a dit le premier ministre à cette rencontre historique, après 136 ans, cet arbre a des racines profondes. Si on arrache la souche, il restera un gros trou. Nous ne voulons certainement pas créer davantage de problèmes.
L'autre solution serait d'actualiser les dispositions les plus délétères de la Loi sur les Indiens. On pourrait le faire, non pas en actualisant la Loi sur les Indiens en soi, mais en donnant aux Premières Nations les outils et les mécanismes dont elles ont besoin pour gérer leurs propres affaires. C'est de cette façon que nous pourrons encourager l’avènement de communautés durables et prospères parmi les Premières Nations. Au fur et à mesure qu’elles développeront leurs capacités et qu'elles créeront des conditions plus stables qui attireront les investissements, elles pourront alors exploiter les richesses de leurs terres, créer des emplois et offrir de meilleurs services sociaux à leurs citoyens.
C'est exactement ce que notre gouvernement cherche à faire. Nous prenons des mesures importantes pour donner aux Premières Nations ce qu'elles souhaitent. Par exemple, nous appuyons le projet de loi C-428, Loi sur la modification et le remplacement de la Loi sur les Indiens, qui propose une série de modifications à la Loi sur les Indiens, notamment la suppression d'articles paternalistes sur les pensionnats et la modification des dispositions sur les règlements administratifs des conseils de bande. Ce projet de loi vise également à favoriser le développement de collectivités des Premières Nations autosuffisantes et prospères. Ces modifications cadrent bien avec certaines dispositions du projet de loi S-6, qui vise à réduire le rôle du ministre dans les affaires des communautés. Le projet de loi C-428 propose d'obliger les gouvernements des Premières Nations à rendre des comptes à leurs membres et à mieux répondre aux besoins de leur communauté. Cela signifie que le ministre des Affaires autochtones et du développement du Nord interviendra moins dans les affaires quotidiennes des Premières Nations.
Les nombreux amendements que le projet de loi C-428 propose d'apporter à la Loi sur les Indiens traduisent la volonté de notre gouvernement de donner aux Premières Nations les outils, les ressources et les pouvoirs dont elles ont besoin pour se retirer complètement de la Loi sur les Indiens.
C'est le même objectif et la même philosophie qui sous-tendent la Loi sur la gestion des terres des premières nations. Avant l'adoption de cette loi, les Premières Nations devaient se prêter aux tracasseries et aux lenteurs des dispositions de la Loi sur les Indiens en matière de gestion des terres. Au lieu de favoriser le règlement rapide des dossiers, la Loi sur les Indiens impose le rythme des formalités bureaucratiques du gouvernement fédéral. Il va sans dire qu'une telle lenteur empêche souvent les communautés d'exploiter des débouchés économiques qui se représentent rarement deux fois, et ces communautés, aussi bien que leurs partenaires du secteur privé, se sont souvent plaintes que les décisions se faisaient trop attendre.
Le régime de gestion des terres des Premières Nations permet aux Premières Nations de se retirer des dispositions de la Loi sur les Indiens qui concernent la gestion des terres et de l'environnement. Il supprime un grand nombre des entraves de cette loi désuète qu'est Loi sur les Indiens, il favorise la création de débouchés économiques et il encourage les communautés à exploiter ces débouchés.
La loi donne aux Premières Nations qui adhèrent au programme la possibilité de gérer les terres de la réserve selon leur propre code foncier. Elle leur permet également de négocier des contrats en partenariat avec d'autres communautés, des gouvernements et des entreprises du secteur privé, sans avoir à demander l'approbation du ministre.
Ann Louie, chef de la bande indienne de Williams Lake — l’une des Premières Nations qui se sont prévalues de la Loi sur la gestion des terres des premières nations — a officiellement dit à ce sujet: « On parle de quasi-liberté, d'obtention d'une autonomie à l'extérieur de la Loi sur les Indiens de manière à pouvoir gérer nos propres terres afin que nos membres puissent prospérer et se développer sur le plan économique. » Son enthousiasme est appuyé par les études du régime réalisées par KPMG. Ces études ont abouti à la conclusion que la Loi sur la gestion des terres des premières nations intensifie la création d’emplois dans les réserves des communautés qui s’en prévalent et constitue une étape pratique sur la voie de l’autonomie gouvernementale.
La Loi sur la gestion financière et statistique des premières nations est un autre exemple de mesure législative qui réduit le rôle du ministre à l’égard des communautés qui veulent exercer un plus grand contrôle sur leurs affaires financières. Cette loi offre une solution de rechange extérieure à la Loi sur les Indiens aux Premières Nations déterminées à devenir autonomes. Elle leur permet de développer un système élaboré, transparent et adaptable d’impôts fonciers dans les réserves. Elle crée aussi un régime d’obligations titrisées des Premières Nations leur donnant accès à un financement de type municipal pour investir dans les infrastructures des réserves. Elle appuie en outre la capacité de gestion financière des Premières Nations, ce qui est favorable au développement économique.
Les communautés qui choisissent de se prévaloir de cette loi peuvent recourir aux services et à l’aide des établissements des Premières Nations créés en vertu de la loi. Ainsi, les investisseurs extérieurs peuvent leur faire confiance, ce qui leur permet de négocier à partir d’une position de force, cette loi leur assurant le genre de certitude qui manque dans la Loi sur les Indiens.
Les améliorations prévues dans les mesures législatives que j’ai mentionnées aujourd’hui ont été adoptées à la demande des Premières Nations qui souhaitent exercer un plus grand contrôle sur les activités courantes de leur communauté. Nous les avons entendues et avons agi en conséquence.
Le projet de loi S-6 est un autre élément de la même famille de mesures législatives destinées à appuyer les Premières Nations en leur offrant un système électoral de rechange ne faisant pas intervenir le ministre. Il établira la base de gouvernements plus stables et plus efficaces des Premières Nations grâce à un mandat de quatre ans. Ainsi, les gouvernements des Premières Nations auraient la possibilité de collaborer avec d’éventuels partenaires pour saisir des occasions de développement à plus long terme pouvant leur assurer la prospérité.
Le projet de loi S-6 est compatible avec les autres initiatives législatives visant à offrir des solutions de rechange à la Loi sur les Indiens dans différents domaines importants pour les Premières Nations qui le souhaitent. Ces lois jettent les fondations et établissent les cadres dont les Premières Nations ont besoin pour réussir et, partant, pour améliorer le niveau de vie de leurs membres.
Le projet de loi S-6 est aussi une mesure facultative. Les Premières Nations peuvent à leur gré s’en prévaloir ou non.
Du projet de loi S-6 au projet de loi C-428, ces exemples de mesures législatives modernes qui donnent plus de pouvoirs aux Premières Nations transmettent un important message. Nous essayons de faire en sorte que le gouvernement fédéral facilite le travail des Premières Nations plutôt que de faire obstacle à leur progrès. Le gouvernement est déterminé à mettre fin à l’isolement historique des communautés des Premières Nations, qui a mis leurs membres à l’écart de notre société pendant bien trop longtemps.
Étape par étape et projet de loi par projet de loi, nous répondons aux appels des Premières Nations qui souhaitent obtenir de plus grands pouvoirs décisionnels et être soumises à moins d’interventions ministérielles. Ce faisant, nous créons des conditions propices à la création de gouvernements forts, efficaces et responsables des communautés des Premières Nations. Nous leur fournissons les outils dont elles ont besoin pour se suffire à elles-mêmes à mesure qu’elles progressent vers l’autonomie gouvernementale.
Il nous appartient à nous, parlementaires, de faire le pas suivant sur la voie du progrès. Nous devons appuyer les Premières Nations, qui exigent des changements. Nous espérons obtenir l’appui de tous les partis pour libérer l’extraordinaire potentiel du projet de loi S-6, élément le plus récent d’une série de réformes législatives destinées à briser les entraves imposées par la Loi sur les Indiens aux Premières Nations qui souhaitent assumer de nouveaux pouvoirs.
Je demande à tous les députés de se joindre à nous pour aider les communautés des Premières Nations à réaliser leurs objectifs au profit de leurs membres et du pays tout entier.