Madame la Présidente, je soulève une question de privilège découlant du recours au Règlement du jeudi 25 février au sujet des masques à utiliser lors des discours à la Chambre.
Nous nous trouvons ici devant une question fondamentale que nous demandons à la présidence de trancher. Il faut permettre aux interprètes de la Chambre de bien faire leur travail dans le respect de la Loi sur les langues officielles et dans le respect des deux langues officielles. Il est évident que le port de certains masques nuit à l'interprétation des travaux de la Chambre et les événements du 25 février viennent confirmer ces faits.
Jeudi dernier, le député libéral de Kingston et les Îles a tenu des propos remettant en cause le droit fondamental des députés à la Chambre de bien suivre les débats. Il a affirmé ce qui suit:
[...] c'est la deuxième fois au cours des dernières semaines que le Bloc Québécois souligne que le port du masque nuit à la capacité des interprètes de faire leur travail. Je ne sais pas si c'est à nous de décider de ce qui est efficace ou non. Je ne crois pas que quiconque dans cette enceinte soit qualifié pour établir si le masque est la source précise du problème.
Le Bloc québécois pense effectivement que le port de certains masques nuit à la capacité des interprètes de faire leur travail. Comme le disait mon collègue de Rivière-des-Mille-Îles: « Le masque crée une obstruction. Les masques plus épais créent encore plus d'obstruction. Les propos ne sont pas audibles pour les interprètes. Ce n'est pas plus sorcier que cela. »
Contrairement au député de Kingston et les Îles, par contre, je crois que la présidence est bien placée pour indiquer à tous les députés le juste équilibre entre le port du masque et le droit aux services d'interprétation.
J'aimerais rappeler que l'interprétation à la Chambre est un service essentiel. En 1958, la Chambre a donné son accord à l'installation dans son enceinte d'un système d'interprétation simultanée dans les deux langues officielles. La Loi sur les langues officielles confirme que l'anglais et le français sont les langues officielles du Parlement et protège le droit des députés d'utiliser l'une ou l'autre des deux langues dans tous les débats et autres travaux parlementaires. La Loi va plus loin, la partie I garantissant également le droit à l'interprétation simultanée des débats et d'autres travaux parlementaires. Voici notamment ce que dit le début de l'article 4 de la Loi en lien avec les débats et les travaux parlementaires:
4 (1) Le français et l’anglais sont les langues officielles du Parlement; chacun a le droit d’employer l’une ou l’autre dans les débats et travaux du Parlement.
(2) Il doit être pourvu à l’interprétation simultanée des débats et autres travaux du Parlement.
Une première dimension des services d'interprétation est de permettre à tous les députés de bien comprendre les discours de leurs collègues. Des problèmes techniques mineurs sont récurrents à la Chambre et c'est l'habitude de celle-ci de suspendre momentanément les délibérations afin que les interprètes puissent poursuivre son travail.
Or, il arrive aussi que le Président instaure de nouvelles marches à suivre dans les services d'interprétation afin d'adapter les pratiques aux nouvelles demandes de la Chambre. Dans une décision du 20 juin 2017 qu'il a rendue en lien avec une question de privilège soulevée le 8 juin 2017 par le député de Winnipeg-Centre d'alors concernant le droit des députés de s'exprimer en langue autochtone à la Chambre des communes, le Président Regan a affirmé ce qui suit au sujet des services d'interprétation:
Ce service essentiel a été créé par un ordre de la Chambre par suite de l'adoption, du consentement unanime des députés, d'une motion ministérielle à cet effet le 11 août 1958 et, encore aujourd'hui, il demeure un outil indispensable, car il permet aux députés de comprendre les délibérations parlementaires et d'y participer.
Le Président Regan a aussi déclaré que « les députés doivent pouvoir non seulement s'exprimer librement, mais aussi être compris ». Il a précisé que « le droit fondamental des députés de s'exprimer n'est pas remis en question en l'espèce. La présente question porte plutôt sur le droit des députés d'être compris immédiatement lorsqu'ils parlent dans une langue autre que l'une des langues officielles. »
Une deuxième dimension des services d'interprétation est de s'assurer que les députés peuvent s'exprimer librement et être compris.
Dans son rapport de juin 2018 intitulé « L'utilisation des langues autochtones dans les délibérations de la Chambre des communes et des comités », le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre stipulait ceci:
Les membres du Comité sont d’avis que la capacité de l’ensemble des députés de s’acquitter de leurs fonctions parlementaires est minée lorsqu’ils ne sont pas en mesure de comprendre immédiatement un de leur collègue s’exprimant dans une langue reconnue par la Chambre autre que l’anglais et le français.
Le Comité insiste aussi sur le travail primordial des interprètes:
Les interprètes en simultané de l'anglais et du français qui travaillent au Parlement doivent détenir une maîtrise d'un programme universitaire reconnu et doivent être agréés par le Conseil des traducteurs, terminologues et interprètes du Canada. Le Comité a appris que cette rigueur est nécessaire puisqu'une erreur commise par un interprète peut entraîner de graves conséquences et parce que les interprètes doivent être en mesure de travailler sur le coup, sans avoir la capacité de perfectionner, modifier ou réviser leur traduction.
Une troisième dimension veut permettre aux interprètes de bien faire leur travail. Le contexte de la pandémie oblige le Parlement à adapter ses pratiques, dans un contexte de Parlement hybride, tout en permettant l'interprétation simultanée à distance et à la Chambre, ainsi que la diffusion des débats en français et en anglais.
Je tiens à souligner tout le chemin parcouru depuis un an. Je tiens à souligner aussi que le cinquième rapport du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, intitulé « Fonctions parlementaires et pandémie de la COVID-19 » et daté du 15 mai 2020, a recommandé de respecter la Loi sur les langues officielles dans le contexte de la pandémie de COVID-19; de favoriser le maintien de l'interprétation simultanée en langues autochtones durant la pandémie. Il recommande également d'assurer le respect, tant pour les députés et les témoins que pour les interprètes, des normes minimales établies conjointement par le greffier de la Chambre et le Bureau de la traduction comme l'obligation de porter un casque d'écoute ou d'utiliser un micro; de reconnaître que la majeure partie du fardeau d'interprétation simultanée durant la pandémie repose sur les interprètes francophones; et de prendre les moyens pour atténuer ce fardeau, de prendre des mesures pour protéger la santé et le bien-être physique des employés du Parlement, dont les interprètes.
Or, depuis, un nouvel enjeu a fait son apparition à la Chambre: le port du masque et son impact sur la capacité des interprètes de bien faire leur travail. Jeudi dernier, le député libéral de Kingston et les Îles a tenu des propos malheureux, remettant en cause le droit fondamental des députés de cette Chambre de bien suivre les débats.
Il affirmait ceci:
[...] c'est la deuxième fois au cours des dernières semaines que le Bloc québécois souligne que le port du masque nuit à la capacité des interprètes de faire leur travail. Je ne sais pas si c'est à nous de décider de ce qui est efficace ou non. Je ne crois pas que quiconque dans cette enceinte soit qualifié pour établir si le masque est la source précise du problème.
Madame la Présidente, contrairement au député de Kingston et les Îles, je crois que vous êtes bien placée pour indiquer à tous les députés le juste équilibre entre le port du masque et le droit au service d'interprétation.
Je crois que le port du masque bleu chirurgical de procédure est un bon compromis pour ceux et celles qui veulent porter un masque lors de leurs discours. J'aimerais d'ailleurs remercier la députée d'Orléans, qui a très bien compris l'argumentaire du Bloc québécois pour l'importance de l'interprétation des débats à la Chambre des communes en acceptant de changer son masque et de porter un masque bleu dit « de procédure ».