Bonjour, madame la présidente.
Je remercie les membres du Comité de leur invitation.
Le projet de loi C‑14, qui modifie le texte de la Loi constitutionnelle de 1867, est habile: il arrive à maquiller le déclin du poids politique du Québec derrière un gel du nombre de sièges que ce dernier possède à la Chambre des communes. Pour tout dire, le projet de loi C‑14 amoindrit ce déclin. Sans ce projet de loi, le poids politique du Québec à la Chambre passerait de 23,1 % à 22,5 %; avec ce projet de loi, il passera de 23,1 % à 22,8 %. Bref, cela représente une différence d'environ 0,3 point de pourcentage quant au poids politique du Québec.
Il ne faut pas confondre ici la réduction du nombre de sièges, que le projet de loi C‑14 évite, et la réduction du poids politique du Québec, que le projet de loi consacre.
Pour certains, le déclin du poids politique du Québec est inévitable. Pour d'autres, il est possible d'agir, et je suis de cet avis. Le projet de loi C‑14 propose d'agir en ce sens, mais très modestement, très provisoirement et sans vue d'ensemble du problème.
La cause du problème est complexe. D'une part, il y a une réalité factuelle, à savoir que le déclin démographique du Québec à l'intérieur de la fédération est un phénomène pratiquement continu depuis 1867. D'autre part, les causes de ce déclin sont multiples. Certaines sont liées à des choix politiques qu'a faits le Québec. Cependant, parmi toutes ces causes, il y a toujours la question de savoir si l'action du gouvernement fédéral est davantage associée au problème ou à la solution.
Or, le problème est d'autant plus important qu'il va s'accroître au cours des prochaines années. Il est connu que la politique du gouvernement actuel vise à augmenter substantiellement la population canadienne. On parle de pratiquement doubler les seuils d'immigration à moyen terme. Les cibles étaient de 280 000 immigrants par année lorsque les conservateurs étaient au pouvoir. Selon les objectifs actuels, le nombre annuel d'immigrants passerait à 430 000. C'est donc dire que l'impasse est totale. En effet, du point de vue du Québec, la politique actuelle se résume au choix suivant: maintenir son poids politique en suivant la cadence canadienne en matière d'immigration, ou bien opter pour des seuils d'immigration réduits et ainsi cultiver sa capacité d'intégrer les immigrants, d'être pour eux un creuset, une terre d'accueil, et de les franciser.
On éprouve soudainement le besoin de situer la question de la réforme de la carte électorale et du poids politique du Québec dans un portrait plus global. C'est une question délicate, qui touche à la nature même du pacte qui, depuis 1867, unit le Québec à cette fédération. La question suivante se pose: qu'est-on prêt à faire, à Ottawa, pour maintenir le poids politique du Québec? La représentation du Québec dans les institutions fédérales n'est pas uniquement l'affaire de la Chambre des communes. On peut agir à la Chambre, mais on peut aussi le faire ailleurs. Je pense que, sur plusieurs fronts, on pourrait faire davantage de choses et les faire d'une meilleure façon.
Une autre question se pose: qu'est-ce qu'Ottawa peut faire pour améliorer la capacité du Québec à suivre une politique démographique semblable à celle du reste du Canada? Là aussi, l'actualité récente nous fournit plusieurs idées, nous indique plusieurs gestes qui pourraient être faits. Cela dépasse évidemment la question précise du projet de loi C‑14, mais, même à l'égard du dossier précis et technique de la carte électorale, le Parlement pourrait faire mieux que de simplement geler le nombre de sièges par province.
Après tout, le Québec forme une nation, comme nous le rappelait une résolution de la Chambre adoptée dans les années 2000.
La jurisprudence de la Cour suprême du Canada, notamment dans son renvoi de 2014 relatif à la Loi sur la Cour suprême, consacrait et reconnaissait cette spécificité nationale du Québec, et elle le faisait dans un dossier qui touchait le poids politique du Québec et sa représentation au sein d'une institution fédérale, en l'occurrence la Cour suprême du Canada.
D'ailleurs, en vertu du projet de loi no 96 qui vient d'être adopté au Québec, il sera désormais écrit noir sur blanc dans la Loi constitutionnelle de 1867, au nouvel article 90Q.1, que « les Québécoises et les Québécois forment une nation ». Ce projet de loi, comme le projet de loi C‑14 vise à le faire, modifie directement et explicitement le texte de la Constitution.
Il y a des aspects de la composition de la Chambre des communes qui ne sont cependant pas modifiables par le projet de loi C‑14. Le principe de la représentation proportionnelle, lui, ne peut être modifié qu'avec l'appui de sept provinces représentant 50 % de la population. Néanmoins, le principe de la représentation proportionnelle est une règle, un principe, un objectif constitutionnel et, comme tous les autres principes, règles et objectifs constitutionnels, il n'est pas absolu. Il peut faire l'objet de limites raisonnables d'accommodement. La jurisprudence de la Cour suprême du Canada a d'ailleurs maintes fois rappelé que son interprétation de la représentation proportionnelle n'était pas une conception purement mathématique. Elle a reconnu une marge de manœuvre immense à l'intérieur de chaque province pour tolérer certains écarts entre certains types de territoires. Ce genre...