Madame la Présidente, j'ai le plaisir aujourd'hui d'intervenir sur le projet de loi C‑14.
Je vais commencer par faire une mise en situation qui explique le problème de départ que ce projet de loi vise à corriger partiellement. Tous les 10 ans, le directeur général des élections présente une nouvelle répartition du nombre de sièges à la Chambre des communes. Tous les 10 ans, il y a donc des choses qui se répètent et des événements qui se reproduisent toujours.
Un des éléments qui revient systématiquement, c'est le fait que le Québec perde un pourcentage du nombre de députés à la Chambre. Je vais faire une histoire courte et je demande à mes collègues de me croire sur parole. J'ai les chiffres; je les ai regardés avec intensité, comme un chien qui regarde son steak. À partir de 1867, le Québec détenait 36 % des sièges et, en 2015, il en détenait 23,1 %. C'est un classique. Avec la nouvelle répartition, on apprend que le Québec passe de 23,1 % à 22,5 %.
Mon collègue de Pierre-Boucher—Les Patriotes—Verchères a dit une chose extraordinaire; c'est un bloquiste brillant, même s'il s'agit d'un pléonasme. Je vois que de plus en plus de conservateurs nous regardent pour nous dire qu'eux aussi peuvent dire des choses extraordinaires. Je leur dirais de patienter, car tout est possible. Nous tendons une main bleu pâle vers leur main bleu foncé, et nous attendons.
Revenons au débat en question. Mon collègue a dit qu'avant, c'était la nation francophone qui était majoritaire. À cette époque, on se disait que puisque les Québécois étaient majoritaires, on allait répartir les sièges 50-50. Aussitôt que cela n'a plus fait l'affaire parce que nous étions plus nombreux, on a changé d'avis. Autrefois, les Québécois faisaient beaucoup d'enfants, soit 14 ou 15 enfants par famille. Il y avait même des parents qui mettaient des autocollants parce qu'ils ne se souvenaient pas du prénom de leurs enfants. En 1867, le gouvernement a décidé que cela changerait: la répartition des sièges se ferait désormais en fonction de la population. À ce moment-là, quatre provinces ont été créées, et la proportion de sièges du Québec est tombé à 33 %. On a institutionnalisé notre statut de minoritaires au Canada. C'était l'héritage politique de lord Durham.
Dans ce classique où nous perdons des sièges en pourcentage, il y a eu quelque chose de nouveau récemment: en plus d'avoir moins de sièges en pourcentage, le Québec se trouvait à perdre un siège. C'est quelque chose. Il passait de 78 à 77 sièges. Le Bloc québécois est donc allé au combat, le gouvernement du Québec aussi, ainsi que différents intervenants au Québec, et ce, avec raison. Certains députés des autres provinces ont même trouvé qu'on y allait un peu fort. C'est à ce moment que nous avons commencé à prêcher, parce que ce n'était pas arrivé depuis 1966. On a enfin commencé à penser qu'on ne devrait peut-être pas faire cela, parce que cela a l'air un peu fou. Quand on veut noyer quelqu'un dans la piscine, cela a l'air fou de lui mettre la main sur la tête et de le caler dans l'eau. Ce qui a moins l'air fou, c'est de monter le niveau de l'eau de la piscine tranquillement. À ce moment-là, une nation peut enfin mourir en silence. C'est ce qu'on prévoit pour le Québec. C'est cela qui va arriver.
Le fait que le Québec ait réussi à faire du français la langue commune des Québécois est un exploit. C'était impossible même pour les Français qui nous ont laissé tomber en 1760 . Ils sont partis et nous ont laissés là en se disant que cela n'allait pas bien ici et que, de toute façon, les Anglais allaient s'occuper de nous avec les prêtres. Ils se sont dit que, d'ici une génération, nous parlerions anglais. Deux cents ans plus tard, quand le général français de Gaulle a vu que les Québécois étaient encore là et qu'ils parlaient encore français, il a fait ce lien et a dit: « Vive le Québec libre! »
C'est un exploit, mais, à un moment donné, à force de nous tenir debout contre vents et marées, devant une situation qui devient de plus en plus intenable, nous avons besoin d'aide pour que notre nation demeure et puisse prospérer, pour que nous puissions vivre la pérennité de cette nation.
Est-ce parce que Québec est meilleur que les autres? La réponse est non. Le Québec n'est pas meilleur que le reste du Canada, mais il est différent. La beauté des choses se montre souvent par la différence que nous avons. J'aime aller à Toronto. Ce n'est pas chez nous, mais j'aime cela. J'aime aller à New York et en France. J'aime cela. Ce n'est pas chez nous, mais j'aime cela.
Quand nous sommes arrivés à la Chambre l'année passée et avons dit que le Québec était une nation, les députés ont embarqué. J'ai été impressionné. Nous pensions devoir nous battre plus fort que cela. C'est sûr que notre motion n'a pas été adoptée à l'unanimité, mais par la grande majorité des députés, qui ont confirmé que le Québec était une nation.
Cela a ensuite donné des idées à d'autres députés, dont je ne sais pas les noms de circonscription, qui sont incroyablement longs et ne cessent de rallonger. Nous sommes 338 députés et cela n'a pas de bon sens. Il faudrait pratiquement utiliser des lettres.
Pour revenir à ce que je voulais dire, quand nous avons déclaré que le Québec était une nation, un député conservateur de la Colombie‑Britannique a dit que sa province était une nation elle aussi. Je lui ai répondu que je ne le savais pas, qu'il fallait qu'il nous l'explique, nous le prouve et présente une motion à cet effet dont nous pourrions discuter.
Ensuite, un de ses collègues, encore plus énervé que lui, a dit que l'Alberta était une nation. Je ne dirais pas son nom, mais il a bien dit que l'Alberta était une nation et, pendant 30 secondes, il a essayé de nous en convaincre. Je me suis posé des questions.
Or, le Québec est effectivement une nation. Nous avons une langue différente. Cela parle fort, et c'est une langue différente. Les députés peuvent en discuter et affirmer que la langue, ce n'est pas grave, mais non, c'est grave. Nous sommes une culture différente. Le Québec a des auteurs qui lui sont propres. Je peux en citer et je pense que les autres députés n'auront aucune idée de qui ils sont. Il a fallu se battre à la réunion des leaders pour faire comprendre que Pierre Bruneau était une personne importante pour nous.
Il faut donc expliquer aux députés qui on est. À un moment donné, il a fallu qu'on explique au Canada qui était Jean Leloup, qui venait de gagner plein de trophées. Il faut expliquer aux députés qui on est. C'est normal, parce qu'on n'est pas pareil.
L'économie est différente. La nôtre est basée sur d'autres aspects qui sont moins développés ailleurs au Canada. Les autres régions du Canada ne sont pas pires que le Québec, mais sont simplement différentes.
L'histoire est différente. En ce qui concerne 1759, j'ai vu le professeur d'histoire arriver, l'air sombre, et expliquer la défaite des plaines d'Abraham. Ailleurs au Canada, pour 1759, ils arrivent, contents et énervés comme des caniches qui attendent la visite, et ils appellent cela la victoire des plaines d'Abraham. Ai-je besoin d'en dire plus?
Je rappelle deux choses à mes collègues qui disent que les autres provinces sont une nation. Tout d'abord, quand le premier ministre a été élu, il a dit, les bras dans les airs et l'air content, que le Canada serait le premier pays postnational. Aux gens qui disent que les provinces sont des nations, je réponds donc que leur chef a dit qu'elles n'étaient plus des nations et que c'est terminé.
Un jour, une personne m'a dit sans méchanceté que le Canada était comme un party ennuyeux et qu'il suffisait que le premier invité parte pour que les autres le suivent.
J'ai entendu la semaine passée le député de la Colombie‑Britannique nous dire qu'ils étaient une nation et que l'Alberta était une nation pour son collègue. Je leur dirais avec beaucoup d'amour: pourquoi ne ferait-on pas du Canada une vraie confédération d'États souverains, où on se réunirait en tant qu'États souverains, où on gérerait tout ce qui se passe à l'intérieur de nos frontières respectives et on se rencontrerait pour gérer les relations économiques entre nous et avoir la même monnaie? Au lieu de se rencontrer et d'expliquer pourquoi on est différents, on se rencontrerait pour dire ce qui nous unit tous. C'est la grâce que je nous souhaite.
Malheureusement, le projet de loi C‑14 ne correspond pas à ce que nous voulions. C'est un demi-gain ou une demi-défaite, selon qu'on soit optimiste ou pessimiste. En effet, pour régler définitivement le problème — il faut s'entendre sur « définitivement » — il aurait fallu un seuil minimal de 25 % des sièges à la Chambre pour le Québec, comme le proposait Charlottetown.