Merci, madame la présidente.
Je parlais de la norme en vigueur au Royaume-Uni, dans le contexte des amendements NDP‑1 et LIB‑1, la norme de la « possibilité réelle ». Cette norme est perçue comme étant inférieure à la norme actuellement en vigueur au Canada.
Si je demandais à tout le monde ici s'il connaît la norme actuellement en vigueur au Canada, je ne suis pas sûre que chacun saurait quoi répondre. Dans le système actuel, il faut pouvoir conclure « qu'une erreur judiciaire “s'est probablement produite” ».
Dans notre système — et je fais ici le lien avec les amendements NDP‑1 et LIB‑1 —, il y a la norme « hors de tout doute raisonnable ». C'est la norme la plus élevée que nous utilisons. C'est la norme selon laquelle une personne doit être reconnue coupable; il faut pouvoir conclure « hors de tout doute raisonnable » qu'elle a commis l'infraction. On ne peut pas seulement conclure qu'il est possible que la personne l'ait commise, qu'il y a de bonnes chances qu'elle l'ait commise ou que, selon la prépondérance des probabilités, à 50‑50, on croit qu'elle l'a commise. Ce n'est pas la norme que nous utilisons au Canada. La norme que nous utilisons pour les déclarations de culpabilité est « hors de tout doute raisonnable ».
Il existe une norme moins stricte, applicable dans les affaires civiles et certains autres cas, qui s'appuie sur la prépondérance des probabilités. Cela signifie que tout compte fait, le scénario A est plus vraisemblable que le scénario B. C'est la prépondérance des probabilités.
À l'heure actuelle, pour conclure à une condamnation injustifiée, en droit canadien, il faut pouvoir conclure « qu'une erreur judiciaire “s'est probablement produite” ».
À la lumière de ces différentes normes, madame la présidente, la barre est assez haute quand on dit qu'une chose « s'est probablement produite ». Il faut que le ministre sente vraiment qu'il y a eu une erreur judiciaire. Ce n'est pas qu'elle « a pu être commise » et ce n'est pas « une possibilité réelle »; c'est un peu plus que cela. La norme n'est pas aussi élevée que celle qu'on trouve dans le Code criminel « hors de tout doute raisonnable », mais il faut pouvoir conclure que cela « s'est probablement produit ».
Au Royaume-Uni, il faut pouvoir conclure qu'il y a une « possibilité réelle » qu'une condamnation ne serait pas confirmée. La « possibilité réelle » est une norme beaucoup moins élevée que notre norme actuelle que cela « s'est probablement produit ». Cette différence explique en partie pourquoi la CCRC, la commission de révision des affaires pénales du Royaume-Uni, conclut beaucoup plus souvent à une condamnation injustifiée que le Canada, selon son propre processus de révision des condamnations criminelles.
Nous parlons ici, selon la façon dont nous comptons, d'au moins trois normes différentes. La première est notre norme actuelle selon laquelle « une erreur judiciaire “s'est probablement produite“ ». Il y a aussi la norme du Royaume-Uni selon laquelle il y a une « possibilité réelle » qu'une erreur judiciaire ait été commise, puis il y a la nouvelle norme contenue dans le projet de loi C‑40 « qu'une erreur judiciaire a pu être commise ».
C'est pourquoi, madame la présidente, j'ai vraiment du mal à accepter les modifications proposées dans les amendements NDP‑1 et LIB‑1 et je ne vois pas comment cela n'ouvrirait pas la porte à un véritable tsunami de demandes. C'est une norme très subjective, et selon la façon dont la Commission choisira de fonctionner, cette norme pourrait ouvrir la porte à un nombre insensé de demandes frivoles.
Je ne dis pas nécessairement que la norme actuelle est la bonne. Selon la norme actuelle, il faut pouvoir conclure qu'une erreur « s'est probablement produite », ce qui signifie, je suppose, que le ministre doit estimer qu'il y a au moins 51 % des chances qu'il y a eu une erreur judiciaire. À mon avis, la norme du Royaume-Uni est plus raisonnable. C'est pourquoi après, quand nous aurons fini notre étude des amendements NDP‑1 et LIB‑1 — je n'en parlerai pas maintenant, mais plus tard —, vous nous entendrez proposer un amendement conservateur pour remplacer la norme actuelle « a pu être commise » par la norme britannique « s'est probablement produite ». Je pense que c'est tout à fait raisonnable. Cela protégerait la commission et améliorerait la perception que les Canadiens peuvent avoir de notre système judiciaire.
Je regardais les sondages. J'encourage tous les députés à consulter les sondages sur ce que les Canadiens pensent de notre système judiciaire. C'est assez lamentable. Les Canadiens sont vraiment préoccupés par le système judiciaire au Canada. Ils réclament notamment que les droits des victimes soient mieux protégés et que les personnes qui devraient être derrière les barreaux soient bel et bien derrière les barreaux. Nous devons être très prudents. Nous devons bien faire les choses dans le projet de loi C‑40. D'entrée de jeu, lorsque je parle de l'amendement NDP‑1, c'est directement la question de la norme selon laquelle une erreur judiciaire « a pu » être commise.
Il est évident que l'idée d'une commission canadienne d'examen des erreurs du système judiciaire inspirée du modèle de la CCRC, la commission britannique, reçoit beaucoup l'appui des experts et des diverses parties. Certains disent, cependant, qu'elle pourrait coûter trop cher. Le Canada ne compte qu'un faible nombre de condamnations injustifiées. Cela peut être attribuable à deux ou trois choses différentes. On peut croire que c'est parce qu'on ne décèle pas suffisamment de condamnations injustifiées, mais on peut croire aussi que c'est parce que notre système judiciaire est efficace pour prévenir les condamnations injustifiées. J'ai mentionné quelques-unes des mesures de protection que nous avons mises en place.
Je pense que c'est la personne que M. Caputo avait recommandée comme témoin, un ancien associé de M. Caputo qui a parlé en termes très élogieux de M. Caputo, qui a porté à l'attention du Comité un témoignage très intéressant.
Quel était son nom, déjà?
Un député: Était‑ce M. Wiberg?
L'hon. Rob Moore: Oui. Il a présenté un témoignage très intéressant.
Il a rappelé aux membres du Comité que le paysage de notre système judiciaire a remarquablement changé depuis quelques affaires très médiatisées de condamnations injustifiées au pays. Il y a eu l'entrée en vigueur de la Charte, les changements apportés à l'aide juridique et l'avènement de la preuve génétique. La preuve génétique n'existait pas au moment où ont été rendues certaines condamnations injustifiées. La preuve génétique peut servir à condamner ou à disculper quelqu'un.
Je dois parler de l'expérience de la Caroline du Nord. Je ne voudrais pas que quiconque s'imagine que ce qui est proposé ici s'apparente à l'exemple de la Caroline du Nord, à la lumière de ce témoignage.
La Caroline du Nord exige des preuves de l'innocence factuelle. J'ai demandé au témoin de la Caroline du Nord pourquoi on avait établi cette norme là‑bas. Elle a dit que c'était la norme qui serait acceptable pour les habitants de la Caroline du Nord. D'après ce que me disent mes électeurs sur le système judiciaire, parce que j'en parle avec eux, et d'après les commentaires que j'entends des autres députés de tous les partis au sujet de ce que leurs électeurs leur disent, je crois que les attentes des Canadiens concernant les condamnations injustifiées correspondent davantage à ce que la Caroline du Nord a proposé qu'à ce qui est proposé dans le projet de loi C‑40, s'il devait être élargi, c'est‑à‑dire que s'il y a de nouvelles preuves indiquant qu'une personne ayant été condamnée pour une infraction était probablement innocente, chacun d'entre nous devrait vouloir que cette personne soit complètement innocentée si on découvre, au moyen de preuves génétiques ou d'autres éléments de preuve, qu'elle a été condamnée à tort pour un crime qu'elle n'a pas commis.
Vous vous souvenez de l'affaire O. J. Simpson. Il a immédiatement indiqué qu'il chercherait la personne qui a réellement commis le crime. Eh bien, la plupart des gens étaient d'avis qu'on avait trouvé le véritable auteur du crime au départ. Voilà le genre de réaction qu'il faudrait avoir lorsque l'on découvre une condamnation injustifiée dans notre système. Les Canadiens devraient se dire: « Il faut trouver le vrai coupable. ». Ce n'est pas la norme du projet de loi C‑40.
Pourquoi est‑ce que je le mentionne? Le projet de loi C‑40 est assez ténu, avec le... Je dirais qu'il nous faut un système robuste, évidemment, pour les personnes injustement condamnées. Nous avons un système; il relève, en fin de compte, du ministre de la Justice. Actuellement, le seuil est celui des « motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite ». Quant à savoir si ce seuil est trop élevé, nous pourrions en débattre, mais je peux dire à mes collègues que si nous faisions un sondage auprès de nos électeurs sur la norme requise, ils seraient beaucoup plus portés à dire que le seuil devrait être « lors d'une réelle possibilité d'une erreur judiciaire », au lieu de permettre à une personne déclarée coupable qui ne fait pas appel de sa peine de sentence d'intenter un recours devant la commission. Quels critères la commission applique-t-elle? Eh bien, il « peut » y avoir eu une erreur judiciaire. Est‑ce fondé sur de nouvelles preuves? Pas nécessairement; c'est soumis aux caprices de la commission à ce moment‑là. Voilà ce qui nous attend si le projet de loi C‑40 est modifié et que son champ d'application est élargi.
Je ne mettrai personne sur la sellette. Je répondrai à ma propre question. Lorsque le ministre et le cabinet ont examiné le projet de loi C‑40, avant son dépôt, et en fonction des conseils qu'ils ont reçu des fonctionnaires du ministère... Il y a une raison pour laquelle un individu, sauf dans des circonstances exceptionnelles, doit faire appel de la décision. Il y a une raison inhérente à cela, et c'est pour cette raison que cette norme est intégrée à cette exigence. La norme extrêmement basse selon laquelle une erreur judiciaire « peut » s'être produite exige l'étape de l'appel. Introduire la possibilité de ne pas avoir à interjeter appel du tout suscite encore plus de doutes au sujet de ce seuil très faible.
Voilà les raisons pour lequelles l'amendement NDP‑1 me préoccupe.
Le Comité a récemment fait une étude sur les obligations du gouvernement fédéral envers les victimes d'actes criminels. Je pense souvent à cette étude lorsque j'examine d'autres mesures législatives. Il s'agit d'une perspective — j'espère que nous sommes tous d'accord là‑dessus — que nous devrions prendre en compte, que nous devrions toujours avoir à l'esprit lorsque nous examinons des textes législatifs. Actuellement, j'examine le projet de loi C‑40 et en particulier l'amendement NDP‑1 et, ce faisant, je veux tenir compte de la perspective des victimes d'actes criminels. Lorsqu'une personne estimera avoir été condamnée à tort — même si, selon cette disposition, elle peut avoir commis l'infraction —, que pensera la victime d'un acte criminel d'un processus qui aura pour effet de raviver ses inquiétudes et de la revictimiser? Je ne dis pas cela à la légère. Le processus victimise de nouveau les victimes. Voilà pourquoi nous devons faire les choses correctement.
Cela a été mentionné dans les témoignages au Comité, notamment par des victimes qui ont perdu un être cher. Par exemple, une victime a dit qu'avoir à assister aux audiences de libération conditionnelle, de savoir que sa fille doit assister aux audiences de libération conditionnelle, ou qu'après son décès, c'est sa fille qui devra assister aux audiences de libération conditionnelle de l'individu qui a assassiné son mari... Dans les témoignages, nous avons entendu que cela a pour effet de revictimiser les victimes. Les victimes ont assez souffert. Donc, lorsque nous créons un système qui pourrait avoir pour effet de rouvrir de profondes blessures chez les victimes, nous devons être certains de viser uniquement les cas qui doivent être examinés.
C'est pourquoi... Nous avons un système de justice. Je crois savoir que c'est M. Van Popta qui a indiqué, à juste titre, que certaines mesures correctives que l'on tente d'incorporer dans ce fourre-tout conviendraient mieux ailleurs, notamment dans l'accès à la justice et l'aide juridique. Il a été demandé au ministre Virani de doter les postes vacants de la magistrature, de s'assurer que les gens ont une audience, d'assurer un accès rapide à la justice — il y a le vieil adage, « justice différée est justice refusée » —, etc.
Cette commission ne peut pas être une solution unique à tous les problèmes du système de justice, mais doit être réservée pour les cas de personnes injustement condamnées. Je crains que l'amendement NDP‑1 ne nous éloigne de ce principe et nous engage dans une voie que les Canadiens n'appuieraient pas, à savoir la création d'un système de justice parallèle, d'une autre voie à laquelle peuvent recourir les personnes reconnues coupables d'un crime. La personne pourrait choisir de ne pas faire appel de sa condamnation, comme elle devrait le faire, mais qu'étant donné qu'elle est reconnue coupable, elle n'interjettera pas appel, mais intentera un recours devant cette nouvelle commission. Quelle est la norme pour cette commission? Je sais que dans le système de justice pénale, la norme est « hors de tout doute raisonnable ». Dans ce système, la norme est qu'une « erreur judiciaire a pu être commise ».
J'ai évoqué les victimes. Je regarde le traitement des victimes au Royaume-Uni. Dans un article intitulé « The Wrongful Convictions in Canada » — et je pense que c'est instructif pour nous —, on peut lire ce qui suit:
la CCRC a été critiquée pour son manque de normes objectives afin de déterminer la portée des enquêtes, sans minimum d’enquête obligatoire ni de point final logique à la tâche ouverte de prouver l’absence d’erreur.
Le Royaume-Uni a aussi ses propres problèmes, malgré ses normes plus élevées, mais il est clair, d'après les témoignages, que le Royaume-Uni prend cette obligation d'enquêter au sérieux. Concernant les victimes, la CCRC indique ce qui suit:
La CCRC ne communiquera pas avec une victime simplement parce qu'elle enquête sur un cas.
Écoutez maintenant ce qu'on ajoute:
Cela tient au fait que la plupart des cas que nous examinons ne sont pas renvoyés aux fins d'un appel.
Pourquoi? Parce que la norme est « l'existence d'une possibilité réelle que la condamnation ne soit pas confirmée ». La norme n'est pas que la condamnation pourrait ne pas pas être confirmée, mais qu'il y a « une possibilité réelle ».
La CCRC poursuit:
Nous savons que les victimes et leur famille ont déjà vécu des expériences stressantes. Apprendre que leur dossier fait l'objet d'un examen peut donner aux victimes l'impression qu'elles sont obligées de revivre tout cela et qu'on ne les croit pas. Nous faisons de notre mieux pour éviter de causer une détresse inutile lorsque nous le pouvons.
C'est le Royaume-Uni. On indique qu'on ne fera pas subir aux victimes une frivole... La CCRC reconnaît qu'elle ne sera pas saisie d'un grand nombre de cas ou de demandes en raison de cette norme. Elle indique son intention de ne pas faire subir cela aux victimes d'actes criminels simplement parce qu'un individu estime qu'il n'a pas eu droit à un traitement équitable, qu'il a été condamné à tort et qu'il va donc tenter sa chance auprès de la CCRC. Elle indique qu'elle n'informe même pas la victime immédiatement pour éviter de causer du stress à la victime et à sa famille, consciente des répercussions, pour ces gens, d'entendre que l'individu qui a été reconnu coupable du meurtre d'un ami ou d'un proche, par exemple, fait maintenant valoir qu'il a été injustement condamné.
La CCRC dit:
Si la CCRC décide de renvoyer un cas en appel, nous ferons toujours de notre mieux pour en informer la victime ou sa famille.
On indique également ce qui suit:
Toute victime ou famille qui estime que nous n'avons pas agi conformément à notre politique peut porter plainte par l'intermédiaire de notre mécanisme de plaintes. La question soulevée sera examinée en toute indépendance par le responsable du service à la clientèle.
Je n'ai pas entendu les observations des néo-démocrates ou des libéraux sur la façon dont ils concilient cela. J'aurais peut-être été plus disposé à examiner l'amendement plus attentivement s'il avait comporté deux parties, si on y précisait que nous ne voulons pas une exigence relative aux appels, mais que nous sommes d'accord pour avoir une norme plus élevée, même si l'exigence d'un appel pour le ministre de la Justice avait sa raison d'être.
Pour ces raisons, je vous invite à la plus grande prudence concernant les amendements NDP‑1 et LIB‑1. Ils ne s'inscrivent pas dans le contexte général du projet de loi, qui comprend un seuil extrêmement faible pour invoquer qu'« une erreur judiciaire a pu être commise ».
Je vais m'arrêter ici pour ce qui est de l'amendement NDP‑1. J'ai des questions pour les témoins qui sont ici. Je garderai peut-être cela pour plus tard.
Alors que nous examinons l'amendement NDP‑1, je tenais simplement à présenter à tous, et aux membres du Comité, des observations découlant des recherches plus approfondies que j'ai faites sur l'expérience du Royaume-Uni, car les aspects dont j'ai parlé ne faisaient pas partie des témoignages que nous avons entendus. Je trouve que leur souci des victimes, le raisonnement sous-jacent à l'établissement d'un seuil plus élevé et le nombre considérable de demandes, même avec ce seuil plus élevé, sont des aspects incroyablement convaincants et instructifs.
Nous devons être prêts à cela aussi. Nous aurons un volume énorme de demandes. À moins de vouloir faire abstraction de l'expérience du Royaume-Uni — qui compte des années d'expérience à cet égard — et à moins de vouloir ignorer totalement leur logique et leur expérience avec une telle commission, nous devrons non seulement composer avec un volume important de demandeurs, mais nous causerons aussi d'importantes perturbations dans la vie des victimes et de leur famille si nous n'arrivons pas à un projet de loi C‑40 qui se tienne. Si le seuil est trop faible. Cela causera un préjudice énorme aux familles des personnes qui ont été tuées ou blessées par des individus qui ont été traduits en justice et reconnus coupables et qui n'ont même pas interjeté appel de cette condamnation.
C'est là‑dessus que je termine mes observations sur l'amendement NDP‑1, pour le moment.