propose:
Que cette Chambre présente ses excuses officielles aux expropriés du Parc Forillon pour l'expropriation abusive dont ils ont été victimes et que le président de la Chambre fasse parvenir aux représentants des expropriés et de leurs descendants une copie officielle des Journaux de la Chambre faisant état de l'adoption de la présente motion.
— Monsieur le Président, c'est avec beaucoup d'honneur, mais en même temps beaucoup d'humilité, que je me présente aujourd'hui pour vous parler du dossier des personnes expropriées de Forillon. On parle d'injustice, de manque de respect, de dignité.
J'aimerais quand même souligner aujourd'hui un anniversaire assez particulier. Le 10 février 1956, une autre injustice était commise. C'est le décès par pendaison de Wilbert Coffin. Aujourd'hui d'ailleurs, en Gaspésie, les membres de la famille tiennent une cérémonie bien particulière.
On parle d'injustice que ce soit dans le dossier de Wilbert Coffin ou dans le dossier des personnes expropriées de Forillon. Encore cette semaine, on cognait à mon bureau pour m'apporter un dossier d'injustice par rapport à l'assurance-emploi. On sait qu'il y a eu des modifications tout récemment, à savoir qu'on est passé de 910 à 840 heures de travail pour être admissible à l'assurance-emploi. C'est 70 heures de moins, mais ces 70 heures de moins peuvent faire la différence pour deux jeunes. Il manquait 6 heures de travail à l'un d'eux pour être admissible. Il a travaillé 834 heures plutôt que 840 heures et, selon les règles, il n'a pas droit à l'assurance-emploi. C'est la première fois que cette personne se retrouvait à demander de l'assurance-emploi. C'est la même chose par rapport à l'autre jeune à qui il manquait 20 heures de travail. Je peux penser à toutes sortes de situations d'injustice qui se vivent également en Gaspésie, aux Îles-de-la-Madeleine, ailleurs au Québec ou dans le monde.
C'est pour cela que lorsqu'on parle d'un dossier d'injustice comme celui des personnes expropriées de Forillon, on s'adresse, à la limite, à toutes les injustices parce lorsqu'on en combat une, lorsqu'on combat pour qu'il y ait un respect, une dignité par rapport à des personnes, je pense qu'on combat pour toutes les personnes qui vivent, qui ont vécu ou qui vivront éventuellement des situations de ce genre.
Juste pour revenir un peu sur le dossier comme tel, j'aimerais tout de même souligner la collaboration ou l'implication de deux personnes en particulier. Il y a M. Lionel Bernier, auteur d'un livre au début des années 2000 qui porte justement sur la bataille concernant Forillon. Ce dernier a participé à un comité de commémoration qui a fait qu'en 2010, on a jeté un peu de baume sur la plaie des personnes expropriées. Il y a une autre personne qui se bat encore aujourd'hui, soit Marie Rochefort, représentante du regroupement des personnes expropriées. Ces gens, avec leur comité et les personnes qui les accompagnent, veulent témoigner auprès de tous les gens qui peuvent être intéressés à un dossier comme celui-là au sujet de la situation vécue par les personnes expropriées de Forillon.
Forillon, c'est la création d'un parc national. Pour donner un peu d'histoire, le parc a été créé à la fin des années 1960, début des années 1970, par Jean Chrétien, qui était à l'époque ministre responsable des parcs. À ce moment-là, en Gaspésie, des gens — en fait il y avait 225 familles pour être plus précis — vivaient sur le territoire qui allait éventuellement devenir le Parc Forillon. Ces gens avaient défriché la terre, s'étaient installés avec des maisons, des résidences, des propriétés. Environ 1 200 autres personnes avaient des titres de propriété sur le territoire qui allait devenir le Parc Forillon. C'est cela la mise en contexte.
Ce n'est pas un parc installé à un endroit où personne ne résidait. Il y avait déjà une vie communautaire. Tout d'un coup, on a fait miroiter que la création du parc allait amener une richesse exceptionnelle en Gaspésie. À ce moment-là, on parlait de 3 000 emplois. Trois mille emplois à l'époque, c'était beaucoup de gens qui pourraient éventuellement travailler. On parlait aussi de retombées économiques très importantes au niveau financier. Mais la triste histoire, c'est qu'en 2005, on s'est aperçu que le Parc Forillon avait finalement créé l'équivalent de 70 postes à temps plein. Soixante-dix personnes travaillent au parc Forillon situé au bout de la péninsule gaspésienne.
On voit donc un peu la mise en scène. Ces gens vivaient sur leur propriété depuis un certain temps. Ils pensaient continuer leur vie sur ce bout de terrain magnifique, et tout d'un coup arrive un tsunami, un raz-de-marée, comme ce qui s'est passé récemment dans différentes régions. Ce raz-de-marée était porteur de développement, de croissance et de bienfaits, mais la triste réalité s'est révélée au fil du temps. Ces gens ont été un peu coincés par ces événements.
Je représente le territoire de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine, mais à l'époque, il y avait des élus provinciaux et fédéraux qui représentaient la même région. Ils ont été complices de ce qui s'est produit et de la triste histoire que je vais raconter.
Ces gens se sont installés en pensant à la croissance, à l'avenir et à la famille. Et voilà que tout d'un coup, non seulement des bulldozers arrivent et on les exproprie pour créer un parc qui amènera une croissance merveilleuse sur le territoire de la Gaspésie, mais on achète leur terrains et leurs propriétés à petit prix.
Coincées par ces événements, certaines personnes acceptaient à cause de la lueur d'espoir qu'il entrevoyait. On leur disait qu'ils allaient devoir s'expatrier, ce qui signifiait pour certains aller vivre en ville ou ailleurs. Ces gens se sont retrouvés, Gros-Jean comme devant, dans une situation où on leur offrait très peu pour leur propriété par rapport au marché.
Lors de la création du parc national Forillon, imaginons la situation des 225 familles ayant une résidence et qui ont dû se trouver un autre endroit pour vivre. Généralement, les gens fortement attachés à leur coin de territoire voulaient demeurer en Gaspésie, à Gaspé en particulier, mais le prix des terrains et des maisons avait augmenté en raison du développement merveilleux à venir. Ces gens ont dû se trouver un autre terrain et une autre propriété avec très peu d'argent. Ils ont dû consacrer beaucoup d'argent à l'achat d'un autre terrain et d'une résidence. À la limite, ils se sont retrouvés endettés.
En voyant tout cela, certains se sont dit que ça n'avait pas d'allure et qu'ils ne pouvaient pas l'accepter. Ils se sont battus. Pour reprendre l'analogie du tsunami ou du raz-de-marée, une mer est venue envahir le territoire et si les gens ne pouvaient pas accepter la création du parc national Forillon qui amènera richesse et développement, on les expropriait de force.
Comment réagir lorsqu'une personne se présente devant vous en cravate et en col blanc? On parle beaucoup des cols blancs ces temps-ci, mais il y a d'autres genres de crimes qui sont commis. Ces gens, à l'époque, ont été plus que coincés. Grosso modo, 1 000 personnes réparties dans cinq municipalités ont été touchées, soit 214 propriétés résidentielles, 355 bâtiments, 1 400 terres à bois et huit fabriques.
Revenons aux fameuses promesses dont je parlais tantôt pour donner à mes collègues des chiffres précis. Le parc devait entraîner des investissements de dizaines de millions de dollars et la création de 3 000 emplois, dont 700 emplois permanents. On prévoyait aussi que la création du parc allait faire augmenter de façon exponentielle le nombre de visiteurs par année.
En 2005, la mairie de Gaspé mentionnait que le parc employait 35 personnes à l'année et une centaine de plus durant l'été, soit l'équivalent de 70 emplois à temps plein par année. À l'époque, on avait parlé de 3 000 emplois, mais en réalité, il ne s'agissait que de 70.
Ce que les gens ont vécu, je ne le chanterai pas. Il y a une chanson de Paul Piché et une autre un peu moins connue, La chanson de Forillon, dont les paroles sont d'un Gaspésien, Maurice Joncas, et la musique, de Pierre Michaud. J'ai presqu'un choeur avec moi, mais ce n'est pas pour la chanter qu'on est là. Je vais la réciter: Depuis plusieurs générations, ils étaient là, dans ce canton,Vivre et mourir, c’était la loi, des gens habitant Forillon;Barge de pêche en été, hache et godin pendant l’hiver, Bonheur et joie bien partagés, c'était un peu leur univers.Ils sont venus tout chambarder, marcher, mesurer, arpenter.Paraît qu'on va tout bulldozer, à Ottawa y en ont parlé;Québec aussi a accepté et dire qu'il faudra tout quitter;Pays, maisons, parents, amis et dire adieu en Gaspésie. Laisse ta terre pour Montréal, Gaspé, Québec ou bien ailleurs.Même si la peine te ronge le coeur, tout finira par s'arranger;Va-t'en mourir dans la grande ville, ce n'est pas du tout difficile.Un arbre bien déraciné finit toujours par succomber.Ce soir, hier ou bien demain, nous sommes tous pas mal certains.Notre pays en Gaspésie sera un jour combien changé;À Forillon des étrangers viendront souvent pour visiterEn oubliant qu'il y a cent ans, c'est nous qui l'avons défriché.Depuis plusieurs générations, ils étaient là dans ce canton, Vivre et mourir, c'était la loi des gens habitant Forillon;Barge de pêche en été, hache et godin pendant l'hiver,Bonheur et joie bien calculés c'n'est plus du tout notre univers.Il faut payer à la barrière.
Les paroles qu'on vient d'entendre reflètent très bien l'esprit de l'époque. Elle se termine sur ces mots: « Il faut payer à la barrière ». Il y avait un village, une église, une communauté, un cimetière. Les éventuels descendants des gens du parc Forillon devaient payer à la barrière pour aller voir leurs descendants et leur rendre hommage. C'est la triste réalité. Qu'on imagine la situation dans laquelle ces gens se sont retrouvés. On a l'impression qu'on manque carrément de respect envers eux.
C'est la bataille qu'on mène aujourd'hui pour qu'on reconnaisse les faits. Il y a aussi une bataille à mener à Québec, mais cela se fera dans une autre enceinte, à l'Assemblée nationale. Il y a eu aussi la complicité du Québec, mais à Ottawa, on a un travail à faire.
On l'a fait dans certaines circonstances, notamment dans le dossier de Mirabel et celui des pensionnats pour Autochtones. Aujourd'hui, c'est au tour des personnes expropriées de Forillon. Après 40 ans d'histoire et de malheureux souvenirs, les gens demandent quelque chose. Ils ont obtenu des passeports pour les trois générations de descendants qui vivent sur le territoire, qui permettent d'avoir accès gratuitement au parc, de ne pas payer à la barrière justement, pour rendre hommage aux gens et de se retrouver là où eux et leur famille habitaient auparavant. Ils demandent que ces passeports s'appliquent aux cinq dernières générations plutôt que seulement aux trois dernières. C'est un élément du dossier.
De plus, il ne faudrait pas que ce soit uniquement les 225 familles qui avaient des résidences ou des propriétés qui soient admissibles à ces fameux passeports. J'ai parlé des terres à bois et des propriétés. On parle d'environ 1 500 personnes. Cela ne représente pas des coûts faramineux, mais pour ces gens-là, ce petit geste ou ce geste — on ne peut pas dire qu'il y ait de petit, de moyen ou de grand geste — représente beaucoup.
Par la suite, j'invite évidemment les parlementaires de tous les partis à la Chambre des communes à s'exprimer de façon unanime par rapport à la motion qu'on vous présente. De fait, celle-ci vise un premier pas. Lorsqu'on dit que le Parlement présentera des excuses officielles, c'est une chose, mais ce qu'on vise, c'est que le gouvernement présente aussi ses excuses officielles à tous ceux et celles qui ont vécu, qui vivent ou qui vivront des situations de ce type.
J'ai rencontré ces gens-là et j'ai visité notamment la maison musée Dolbel-Roberts, sur le territoire du parc Forillon. On y raconte un peu leur histoire. Ces gens s'expriment sur vidéos, sur cassettes et sur disques, devrait-on dire maintenant. Ils témoignent de ce qu'ils ont vécu, avec une immense peine, une immense douleur. Et cette immense peine, cette immense douleur, mérite le temps qu'on y consacre aujourd'hui.
D'ailleurs je félicite mon chef et la formation politique dont je fait partie, le Bloc québécois, pour prendre le temps de regarder tout cela et d'offrir la possibilité de consacrer une journée à ce dossier. Comme je le disais, lorsqu'on consacre une journée sur un dossier d'injustice, je pense qu'on combat toutes les injustices. Et il y en a, en veux-tu en voilà. Ce n'est pas cela qui manque, comme dirait l'autre. Je pense que c'est tout à l'honneur du Bloc québécois, mais en même temps, il agit de façon non partisane. J'espère que cela se déroulera ainsi. Je suis le premier à prendre la parole et d'autres suivront, comme les députés du Parti conservateur, du Parti libéral et du Nouveau Parti démocratique. Je souhaite que, de façon unanime, nous appuierons une motion de ce genre.
Cette motion n'est pas là pour tout réparer. Rappelons-nous la situation que j'ai mentionnée. Tous ces gens se retrouvent aujourd'hui en se disant que, d'une certaine façon, ils aiment peut-être ne plus m'en souvenir, oublier carrément et que rien au monde ne pourra réparer les erreurs commises. D'un autre côté, une petite voix intérieure dit que cela ferait du bien quand même, comme probablement cela fait du bien à des personnes qui nous écoutent ou qui vont nous écouter pendant la journée et qui se diront que c'est bien qu'on informe les gens à propos de la situation, qu'on les sensibilise par rapport à cette situation, par rapport à cette injustice, à ce manque de respect et à ce manque de dignité accordée à ces gens. Cela fait du bien à entendre. En tout cas, cela me fait du bien d'en parler.
Évidemment, étant natif de la région de la Gaspésie, je sais très bien qu'on a vécu toutes sortes de situations au fil de notre histoire qui est toujours en progression. Avec les événements qu'on connaît par rapport au parc Forillon, aux personnes expropriées, avec le triste anniversaire par rapport à Wilbert Coffin et toutes les autres injustices, si ce qu'on fait aujourd'hui n'est que de reconnaître la situation, ce serait finalement la moindre des choses. Lorsqu'on commet une erreur de ce type, la moindre des choses, c'est de penser à s'excuser.
Auparavant, mon comté était représenté par un député qui a commis des erreurs et je m'excuse auprès des personnes expropriées de Forillon par rapport à ce qui s'est vécu. En effet, c'est sûr et certain que si j'avais été là, cela ne se serait pas produit comme cela.