Monsieur le Président, c’est un honneur de prendre la parole dans cette enceinte pour parler du projet de loi C‑21. Je vais essayer de traiter d'un certain nombre de questions complexes en peu de temps, en espérant que ce sera possible.
La question dont je veux traiter est liée au projet de loi C‑21. Je veux parler de l’utilisation des armes à feu. Je veux revenir sur certains des échanges qui ont eu lieu pendant la période des questions au sujet de la fusillade de Portapique. Je trouve important de revenir sur ce qui a été diffusé par les médias d’information à ce moment-là, selon ce que j’en ai retenu. Je voulais le faire aussitôt que j’en aurais l'occasion. Il est impossible d’interrompre la période des questions pour mettre les choses en perspective.
Comme je suis d’origine néo-écossaise, j’ai été dévastée par la fusillade de Portapique, comme nous l’avons tous été. L’agente de la GRC qui a été tuée, Heidi Stevenson, était l’une de mes amies et je connais bien sa mère.
C’était horrible de voir ce qui s’est passé. Nous verrons les résultats que produira la Commission des pertes massives, mais il est assez évident pour moi — et je veux le dire clairement — que la GRC en Nouvelle-Écosse a gravement manqué à ses obligations envers le public. Je sais qu’une commission étudie la question, mais la GRC disposait de renseignements qui n’ont pas été diffusés. Elle n’a pas émis d’avertissement, et 22 personnes ont été tuées. Je sais que cette enquête compte énormément pour toutes les familles qui ont perdu des êtres chers.
Il me semble que certains députés ont formulé des hypothèses injustifiées pendant la période des questions, qui ont mis en doute l’intégrité du ministre de la Sécurité publique et du bureau du premier ministre. Je ne suis pas du genre à faire l’apologie des libéraux, mais je crois que ces hypothèses ne concordent pas avec ce que les preuves ont révélé. Lorsque je regarde les comptes rendus de la CBC sur ce qui a été découvert, il me semble qu’à la suite de la fusillade, la GRC de la Nouvelle-Écosse s’est montrée trop prompte à essayer de dissimuler des faits au public, au lieu de les révéler.
D’après moi, la commissaire de la GRC, Brenda Lucki, a fait preuve de plus de transparence et a fourni de véritables informations. Si quelqu’un au sein du bureau du premier ministre lui a donné des instructions, il me semble que cela aurait été de dire à tout le monde ce qui s’est passé et de faire simplement preuve de transparence. Je suis très préoccupée par le fait que nous laissons se répandre dans cette enceinte des rumeurs mensongères ou des hypothèses non fondées visant à salir des réputations, dont celle de Brenda Lucki.
Il me semble, comme dans un certain nombre d’autres fusillades, que la police se trompe parfois. Elle n’a pas agi à Uvalde, au Texas, alors qu’elle aurait dû le faire pour sauver les enfants. Il y a un dénominateur commun que je discerne, à savoir que lorsque la GRC ou la police met du temps à intervenir, c’est parce que les personnes auxquelles elle aurait à faire face sont lourdement armées. Je ne trouve pas que la police met du temps à intervenir contre des manifestants non armés. Je ne trouve pas que la police met du temps à intervenir contre les Autochtones. Par contre, elle tarde trop souvent à agir lorsqu’il y a un risque pour sa propre sécurité. Ce n’est pas toujours le cas, mais cela arrive trop souvent.
Dans le cas du tireur de la Nouvelle-Écosse, nous connaissons son nom. Je ne veux pas le prononcer de nouveau, à cause des crimes qu’il a commis. Cependant, il était bien connu de la GRC et dans les premières heures qui ont suivi la fusillade, c’est la GRC de la Nouvelle‑Écosse, non la commissaire, qui a émis de fausses déclarations selon lesquelles la GRC ne le connaissait pas. La police connaissait le tireur personnellement. Elle avait reçu des avertissements à son sujet.
Cela permet de faire le lien avec le projet de loi C-21. Si le projet de loi C-21 avait été adopté à l’époque, un certain nombre de dispositions auraient permis de sauver des vies. Les voisins de l’auteur de la fusillade de masse en Nouvelle‑Écosse, que nous appellerons pour l’instant le méchant dentiste, l’ont signalé à la GRC à de nombreuses reprises, mais aucune mesure n’a été prise. Les voisins avaient tellement peur de lui qu’ils sont allés jusqu’à vendre leur maison de rêve et à déménager, mais rien n’a été fait pour procéder à une fouille de la propriété ni même pour chercher pourquoi il achetait une voiture qui ressemblait à un véhicule de la GRC ou pourquoi il s’habillait comme un agent de la GRC. Ces détails étaient connus de la collectivité, et plusieurs renseignements de ce genre ont été communiqués aux autorités policières.
Le projet de loi aurait-il pu changer la donne? Je crois que oui, mais seulement si la GRC ou la police locale est prête à exploiter les renseignements qu’elle reçoit. C’est pourquoi l’une des dispositions du projet de loi qui me plaît particulièrement est la possibilité pour toute personne de présenter une demande ex parte si elle a des motifs raisonnables de croire qu’une personne peut en menacer d’autres, non seulement avec des armes à feu, soit dit en passant, mais aussi avec des arbalètes ou des substances explosives. C’est vraiment important. Cela se trouve à l’article 4 du projet de loi, « Demande d’une ordonnance d’interdiction d’urgence », qui modifierait l’article 110 de la Loi sur les armes à feu.
Il est vraiment important pour nous de bien saisir ce qu’est une ordonnance ex parte. Cela signifie que des gens peuvent se présenter au tribunal sans aviser de leur démarche la personne dont ils ont peur et qu’il peut y avoir une perquisition et une saisie d’urgence sans mandat. Autoriser les perquisitions sans mandat va à l’encontre de tout ce à quoi je suis viscéralement attachée comme avocate des libertés civiles, mais il y a eu des cas d'actes de violence commis par des gens de la collectivité, des gens que nous connaissons.
Il y a beaucoup de choses dans cette mesure législative que nous aurons, je l’espère, le temps d’étudier en profondeur, et je veux en parler. Il y a les dispositions de signalement d'urgence ou préventif, la possibilité de s’adresser à un juge sans crainte de représailles de la part de quelqu’un qui est bien armé ou qui a des arbalètes. Comme nous le savons trop souvent, cela peut être dans des cas de violence entre partenaires intimes. Il peut s’agir de meurtres commis au hasard et par imprudence, comme dans le cas de Portapique ou le cas désespérément triste de Lionel Desmond, qui a tué sa femme, sa mère et ses enfants. Il souffrait, bien sûr, d’un syndrome de stress post-traumatique après avoir servi dans les Forces armées canadiennes et il n’a pas reçu l’aide dont il avait besoin, même s’il s’était rendu à l’hôpital la veille. Il existe des circonstances nombreuses et variées où la présence d’armes à feu dans un foyer fait la différence entre la vie et la mort, et où les dispositions du projet de loi C‑21 permettraient, je l’espère, de sauver des vies.
J’aimerais maintenant traiter d'une question de procédure: pourquoi précipiter l’adoption de ce projet de loi? Je suis très préoccupée par le fait que l'on vienne d’invoquer l’attribution de temps pour un projet de loi dont nous n'avons débattu que pendant trois heures. C'est un projet de loi complexe. Il comporte de nombreuses pièces mobiles. Le gouvernement lui-même a changé d’avis sur des aspects cruciaux de ce projet de loi entre sa version de l’an dernier, qui était aussi le projet de loi C‑21, et sa version de cette année, qui est l’actuel projet de loi C‑21. Les libéraux ont eu la sagesse de changer d’avis sur la question du rachat volontaire par rapport au rachat obligatoire. Ils ont eu la sagesse de changer d’avis sur la question de la réglementation des armes à feu par les compétences autres que le gouvernement fédéral. Ce furent des choix judicieux, et ce projet de loi a changé dans ce sens.
Les projets de loi s’améliorent quand ils sont étudiés. Toute tentative de parvenir à un consensus améliorera un projet de loi. La décision du gouvernement selon laquelle les conservateurs se contenteraient de faire de l’obstruction systématique et de ralentir les travaux est une conclusion tout à fait justifiée, compte tenu de la conduite adoptée jusqu’à présent au cours de cette législature, mais cela n’excuse pas le fait de raccourcir la durée du débat, la durée de l’étude et la durée de la recherche d’un consensus — ce n'est pas impossible — dans cette enceinte.
J’aimerais parler de certaines des choses qui aideraient à atteindre le consensus. L’une d’entre elles consiste à respecter les règles, qui sont nos règles. Il n’est pas nécessaire de modifier le Règlement pour interdire le fait de lire un discours. Quel est le lien? Lorsqu'un whip ou un leader parlementaire sait qu’il peut rassembler tous les députés de son parti, comme de la chair à canon, et leur donner un texte à réciter en 10 minutes, il peut entraver les travaux de la Chambre à coup de discours.
Si le Règlement interdisait aux députés de lire un discours et qu'il fallait exprimer sa pensée en ses propres mots, il y aurait moins de députés qui prendraient la parole lors d'un débat sur un projet de loi.
Nous devons mettre de l'ordre là-dedans si nous voulons tenir un véritable débat, mais avec un plus petit nombre de députés, car un plus petit nombre de députés seraient en mesure de prendre la parole sans discours écrit.
Une autre chose que nous devons faire, c’est examiner combien de jours nous siégeons à la Chambre. Il y a toujours un vent de panique à ce moment-ci de l’année, comme si un désastre allait nous frapper si nous n’ajournons pas la Chambre à la date prévue. Nous pourrions siéger plus longtemps. Nous siégeons beaucoup moins longtemps que le Congrès américain, et même un peu moins que le Parlement britannique.
J’ai voté contre l’attribution de temps, car il s’agit d’un projet de loi complexe et nous devrions prendre le temps qu’il faut, nous respecter les uns les autres et présenter le meilleur projet de loi possible.