Madame la Présidente, j'ai l'impression qu'il s'agit du film Retour vers le futur ou Le jour de la marmotte qui nous permet de revivre continuellement des situations. Évidemment, nous avons toujours été favorables à la création d'un comité devant se pencher sur l'étude des relations entre la République populaire de Chine et le Canada. Cela n'est pas différent aujourd'hui, nous n'avons pas changé d'idée: nous pensons qu'il est toujours pertinent d'avoir un comité qui se penche spécifiquement sur cette question.
Il faut le reconnaître, la République populaire de Chine est une superpuissance, à la fois sur les plans militaire, politique et économique. C'était, pour le gouvernement libéral des années 1990, l'eldorado. Tout le monde disait qu'il fallait aller en Chine, délocaliser nos entreprises et profiter de la main-d'œuvre bon marché de la Chine. Éventuellement, en faisant du commerce avec les Chinois, on allait les amener vers un niveau de vie supérieur, qui allait inévitablement faire en sorte que la démocratie allait s'épanouir comme une fleur au printemps.
Quelques décennies plus tard, on a un peu déchanté quant à cette logique et à cette trame narrative que tentait d'imposer le gouvernement libéral de l'époque. Néanmoins, le fait est que la Chine est une puissance économique incontestable.
Il faut reconnaître que les relations entre la République populaire de Chine et le Canada ont toujours été excellentes depuis des décennies. Pensons à l'époque où le Canada fournissait du blé pour faire face aux famines en République populaire de Chine ou à l'influence du Dr Bethune au moment de la Révolution chinoise. Pensons également au fait que l'ex-premier ministre Pierre Elliott Trudeau a été parmi les premiers chefs d'État occidentaux à établir des relations avec la République populaire de Chine.
Ces relations ont donc toujours été extrêmement positives jusqu'à ce que survienne l'écueil important de la demande d'extradition de Meng Wanzhou et ensuite la détention illégale de Michael Spavor et de Michael Kovrig. Il m'apparaissait important à ce moment-là que nous puissions examiner ce qui avait bien pu se passer et comment nous pourrions tenter de rétablir les relations.
Par la suite, il s'est passé quelque chose qui m'a complètement étonné et renversé. Les deux bras m'en sont tombés. Finalement, nous avons réalisé que le Comité spécial sur les relations sino-canadiennes était loin de chercher à trouver des pistes de solution pour améliorer les relations avec la République populaire de Chine. Il s'est davantage révélé être un outil de politique partisane pour tenter de mettre le gouvernement dans une mauvaise posture. Je n'approfondirai pas le sujet, parce que nous aurons probablement l'occasion d'y revenir. Tout cela s'est interrompu brutalement par le déclenchement inopiné d'une élection tout à fait inutile, l'automne passé.
Entretemps, grâce à l'élection d'un nouveau gouvernement à Washington, on est arrivé à une solution un peu bancale, mais qui a quand même permis de régler le problème lié à la demande d'extradition des États‑Unis concernant Meng Wanzhou, ce qui a mené à la libération quasi immédiate par la suite de Michael Spavor et de Michael Kovrig.
Après le résultat des élections, nous sommes revenus à la Chambre et, surprise, les conservateurs décident alors qu'ils ont besoin d'un nouveau jouet, d'un nouvel outil pour faire de la politique partisane. Tout à coup, les deux Michael étant libérés, on n'avait plus besoin du Comité spécial sur les relations sino-canadiennes, on voulait maintenant d'un comité spécial qui allait se pencher sur le désastre de l'évacuation de l'Afghanistan. Nos amis conservateurs étaient convaincus qu'ils allaient réussir à marquer des points politiques. Ils n'avaient plus besoin du Comité spécial sur les relations sino-canadiennes à ce moment-là.
Nous avons dénoncé le fait que les conservateurs abandonnaient le Comité spécial sur les relations sino-canadiennes. Nous n'étions évidemment pas contre la création du Comité spécial sur l'Afghanistan parce qu'il y a eu, il faut le reconnaître, un certain nombre de faux pas et de mauvaises décisions, et que, si tant est qu'on devait se retrouver à nouveau dans une telle situation, il fallait réussir à tenter de cerner les problèmes à l'avance.
Je fais une parenthèse. Le regretté premier ministre Jacques Parizeau disait souvent qu'il ne faut jamais sous-estimer la capacité du gouvernement fédéral de nous décevoir. Dans ce cas-là, le gouvernement fédéral semble ne jamais apprendre des leçons passées. Bien qu'il faille espérer qu'on puisse tirer des leçons de l'expérience afghane, je suis obligé de reconnaître que le gouvernement fédéral réussira peut-être encore cette fois à nous décevoir.
Quoi qu'il en soit, nous avons fait pression pour qu'on revienne malgré tout avec le Comité spécial sur les relations sino-canadiennes. Or, pour des raisons qui leur sont propres, les conservateurs n'étaient pas prêts, à ce moment-là, à revenir avec le Comité spécial sur les relations sino-canadiennes. Je laisse mes collègues épiloguer sur les motifs qui pouvaient les conduire à ne pas vouloir revenir avec ce comité.
Voyons ce qu'il en est ce matin. Le Comité spécial sur l'Afghanistan achève ses travaux. Le nouveau hochet, le nouveau jouet, le nouvel outil des conservateurs pour faire de la politique sera bientôt chose du passé. Que trouvent-ils de nouveau pour essayer de faire de la politique? Ils nous reviennent subitement avec un comité spécial sur la relation entre le Canada et la République populaire de Chine. C'est assez extraordinaire.
Qu'est-ce qui a changé depuis l'élection pour que, plusieurs mois après celle-ci, la priorité de nos amis conservateurs, qui ne voyaient pas l'utilité de ramener le Comité spécial sur les relations sino-canadiennes alors que le monde a profondément changé entretemps avec l'invasion de l'Ukraine par la Russie, soit tout à coup de réactiver ce comité?
Je veux que mes collègues me comprennent bien: nous sommes d'accord. Nous avons toujours pensé que ce comité avait sa place. Toutefois, je m'interroge sincèrement sur les motivations de nos amis conservateurs quant au fait d'arriver avec cela maintenant. C'était pertinent après l'élection, mais cela ne les intéressait pas du tout. Tout à coup, alors que la Russie envahit l'Ukraine, cela redevient pertinent pour eux, à quelques semaines de la fin des travaux du Comité spécial sur l'Afghanistan.
Je ne sais pas pour mes collègues, mais je pense que si quelqu'un voulait y voir des motivations de nature partisane, il se pourrait qu'il ait raison. En tout cas, cela en a tout l'air, il faut le reconnaître. Cela dit, comme je l'indiquais dès le départ, malgré le fait que j'ai des doutes sérieux quant à la noblesse des motivations de nos amis conservateurs, nous allons voter en faveur de cette motion, parce que nous croyons et avons toujours cru que ce comité avait sa pertinence.
J'aimerais maintenant prendre quelques instants pour parler du libellé de la motion présentée par mon collègue de Wellington—Halton Hills, que je salue et avec lequel j'ai toujours grand plaisir à travailler.
Dans les premiers énoncés, je me permets d'attirer l'attention de mes collègues sur la partie suivante: « (iii) la distinction entre le peuple de Chine et l’État chinois, tel qu’il est incarné par le Parti communiste chinois et le gouvernement de la République populaire de Chine ». Je pense que nous sommes plutôt d'accord là-dessus.
Ensuite, quant à la partie où on dit « (iv) que les États autoritaires, y compris la République populaire de Chine, représentent une menace croissante à l’endroit de l’ordre international fondé sur des règles », je pense que cela mérite un petit commentaire. On semble avoir découvert qu'il existe des États autoritaires dans le monde. Je le donne en mille: moins de la moitié de nos congénères sur cette planète vivent en démocratie.
Je comprends que, tout à coup, avec l'invasion de l'Ukraine par la Russie et avec les menaces que fait peser la République populaire de Chine sur Taïwan, on veuille souligner le fait « que les États autoritaires, y compris la République populaire de Chine, représentent une menace croissante à l'endroit de l'ordre international fondé sur des règles », mais je veux simplement signaler que ce n'est pas une nouveauté.
Les États autoritaires ne sont pas quelque chose de nouveau. À cause de l'espèce d'entente ou d'alliance tacite qui existe entre les deux pays, il est possible que les États autoritaires que sont la Russie et la République populaire de Chine constituent une menace pour le système international tel qu'on l'a conçu après la Seconde Guerre mondiale.
Souvenons-nous que lorsque nous avons décidé du système des Nations unies, nous avons confié aux cinq plus grandes puissances de l'époque le rôle de jouer les régulateurs de l'équilibre du système international. Or, nous avons vu les limites de ce système avec l'invasion de l'Ukraine, alors que l'une de ces cinq puissances qui sont censées assurer la stabilité du système international a perdu les pédales.
On se retrouve dans la situation où ni la République populaire de Chine ni la Russie ne sont ce qu'on pourrait appeler des États démocratiques. Il semble qu'elles aient décidé de collaborer, ce qui occasionne des menaces tout à fait compréhensibles pour l'ordre international tel qu'on l'a conçu jusqu'à tout récemment.
Je me permets une autre parenthèse sur quelque chose d'assez fascinant. En envahissant l'Ukraine, Vladimir Poutine pensait décourager tous les États de vouloir éventuellement rejoindre les rangs de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord, ou OTAN. Or, c'est exactement l'inverse qui s'est produit. Souvenons-nous que, sous le gouvernement de Donald Trump, le président Macron avait déclaré que l'OTAN était en situation de mort cérébrale.
On s'interrogeait sur l'utilité et la pertinence de l'OTAN et Vladimir Poutine a redonné toute sa pertinence à cette organisation, si bien que des États qui étaient traditionnellement neutres depuis des décennies, comme la Finlande et la Suède, envisagent maintenant de rejoindre les rangs de l'OTAN. Vladimir Poutine aura donc poussé des pays dans les bras de l'OTAN en voulant empêcher l'Ukraine de rejoindre les rangs de l'organisation.
Qui plus est, après le Brexit, un certain nombre de pays européens, comme la Pologne ou la Hongrie, se sont interrogés sur l'utilité de l'Union européenne. Après l'invasion de l'Ukraine, plus personne ne s'interroge sur l'utilité ou la pertinence de l'Union européenne. Face à la menace russe, l'Union européenne, comme l'OTAN, a serré les rangs comme jamais auparavant.
On peut convenir avec notre collègue de Wellington—Halton Hills que cette espèce d'alliance tacite entre la Russie et la République populaire de Chine fait peser une menace importante sur le système international tel qu'on le concevait jusqu'à tout récemment.
Cela étant dit, cela n'enlève rien aux problèmes qu'on observe en République populaire de Chine et à l'extérieur de ce pays et qui vont dans le sens du point (iv) de la motion. Qu'on pense, par exemple, à la nouvelle Route de la soie, initiative avec laquelle la Chine s'impose comme un acteur incontournable en Afrique, rendant de moins en moins pertinente la présence d'anciennes puissances coloniales comme la France et même celle de pays sans passé colonialiste comme le Canada. Ce dernier avait une présence remarquable et remarquée en Afrique pendant des décennies, mais il a littéralement manqué le bateau.
Pendant que la Chine investissait massivement en Afrique, le Canada, notamment sous l'influence du gouvernement conservateur de Stephen Harper, s'est retiré de l'Afrique. On a donc ouvert les portes de l'Afrique aux Chinois. On a manqué le bateau, et les Chinois sont en train de s'imposer comme la puissance incontournable en Afrique. La Russie fait de même au Mali présentement. Alors que les Français se retirent, les Russes s'installent. Pour reprendre ce qui est dit au point (iv), cela contribue à une possible déstabilisation de l'ordre international.
Je parlais, il y a quelques instants, de l'incroyable et étonnante solidarité dont les États de l'OTAN et de l'Union européenne ont su faire preuve relativement à l'agression de la Russie à l'endroit de l'Ukraine. Tous ont eu une pensée à l'endroit de nos amis de Taïwan, parce qu'on sait que la Chine observe attentivement ce qui se passe présentement. En effet, Xi Jinping ne s'est jamais caché quant à l'idée de réintégrer Taïwan dans le giron de la Chine continentale. On s'est inquiété relativement aux suites de cette situation.
Lors d'une soirée en l'honneur de Taïwan, hier, on a souligné que Taïwan est le 11e partenaire commercial du Canada, le cinquième en Asie. Ce n'est pas négligeable. Taïwan est très inextricablement imbriqué dans le système économique mondial. Cependant, advenant une invasion de Taïwan par la République populaire de Chine, considérant l'influence des banques chinoises sur les avoirs en Europe, est-ce que l'Europe pourra aussi facilement faire preuve d'une telle solidarité pour imposer des sanctions à la République populaire de Chine, qui est elle aussi imbriquée et de façon plus inextricable encore dans le système économique international que ne l'est la Russie?
Ce qui se passe présentement est extrêmement préoccupant. La question n'est pas de savoir si la République populaire de Chine interviendra éventuellement à Taïwan, la question est plutôt de savoir quand et comment la communauté internationale sera en mesure de réagir en lien avec cette nouvelle transgression des règles internationales.
Oui, il y a pertinence de créer de nouveau un comité sur les relations Canada-Chine. Nous pensons qu'il est opportun de joindre notre voix à cette motion, même si, encore une fois, je doute profondément de la noblesse des intentions de nos amis conservateurs, qui nous arrivent avec cette motion à un moment pour le moins étrange, après l'invasion de l'Ukraine par la Russie et à quelques jours de la fin des travaux sur le Comité spécial sur l'Afghanistan, qui n'a pas donné aux conservateurs les dividendes politiques escomptés. Là, on se tourne vers autre chose, et il semble que la panacée politique pour les conservateurs soit aujourd'hui de réactiver le Comité spécial sur les relations sino-canadiennes.
Nous serons donc au rendez-vous. Nous tâcherons de faire en sorte que ce comité ne redevienne pas un cirque partisan et que nous puissions véritablement jeter les bases d'une meilleure compréhension et, on l'espère, de meilleures relations avec la République populaire de Chine, compte tenu de l'importance que ce pays a dans le système international.