Monsieur le Président, aujourd'hui, peut-être pour la dernière fois dans cette 41e législature, j'ai le plaisir de me lever à la Chambre pour faire un discours sur un projet de loi. J'aimerais en profiter pour remercier les interprètes, qui nous ont si bien épaulés tout au long des quatre dernières années, de même que l'équipe des greffiers et des pages et l'ensemble des gens qui soutiennent notre travail au quotidien.
À l'ère numérique, la protection des renseignements personnels est d'une importance capitale. J'ai souvent l'impression que, quelque part dans les réseaux informatiques, j'ai un clone qui se promène avec des informations sur ma vie, mon passé, mon présent, mon orientation sexuelle, mes achats, ma consommation et les voyages que j'ai faits. L'ensemble de ces données représente un double de moi-même sur lequel je n'ai aucun contrôle. Cela est problématique.
À mon insu, mon double va se promener d'entreprise en entreprise, d'organisme gouvernemental en organisme gouvernemental. Personne ne m'informera qu'un organisme utilise mon clone pour déterminer, en fonction des données qui y sont rattachées, quelle est l'attitude à adopter envers moi et quelles contingences seront adoptées.
Évidemment, selon plusieurs analystes émérites qui ont donné leur témoignage, ce projet de loi pourrait être contesté par la Cour suprême. Cette dernière a déterminé récemment que l'obtention d'un mandat était obligatoire pour accéder aux renseignements personnels des clients des fournisseurs d'Internet et à leur adresse IP. Il est donc fort probable que plusieurs dispositions contenues dans ce projet de loi soient contestées par la Cour suprême.
On s'aperçoit qu'il y a une drôle de relation entre le gouvernement conservateur et la Cour suprême. Ce ne sera pas la première fois qu'un projet de loi va se retrouver en Cour suprême. Sous le gouvernement conservateur, on est habitué de voir des projets de loi qui, selon l'avis des experts et des parlementaires, contreviennent à nos chartes et à nos lois. Ces projets de loi risquent d'être contestés par la Cour suprême, et effectivement, ils le sont. Le gouvernement a ainsi subi de nombreuses défaites, et voilà un autre enjeu où il risque encore de se faire rabrouer.
Ainsi, la présentation de ces projets de loi faibles quant à leur constitutionnalité est une véritable perte de temps. Quel dédain pour l'intelligence des députés de ce Parlement et de la société civile qui interviennent sur ces enjeux! Quel mépris des institutions et de la Constitution canadiennes!
Les conservateurs ont raté la rédaction de dizaines de projets de loi. On n'a qu'à penser à la réforme du Sénat. Tout le monde savait que cette mesure serait déclarée inconstitutionnelle, puisque cela prend l'assentiment de 50 % de la population, mais le gouvernement est quand même allé de l'avant avec cette mesure.
Quant à la nomination du juge Nadon, tout le monde disait que cela ne marcherait pas. Le choix a été contesté, et comme l'exigeait la Loi sur la Cour suprême, le juge Nadon n'était pas éligible. Il a fallu quand même se battre, mais on le savait d'avance. Encore là, ce fut un mépris de l'intelligence des parlementaires et des spécialistes qui nous conseillaient.
Il y a aussi le rapatriement d'Omar Khadr. Deux jugements de la Cour fédérale et un jugement de la Cour d'appel fédéral ont ordonné son rapatriement, mais le gouvernement est quand même allé à la Cour suprême. Qu'est-il arrivé? La Cour suprême du Canada a reconnu les droits de ce jeune homme et a même dit que ceux-ci avaient été violés, depuis sa capture en 2002. L'attitude du gouvernement est incompatible avec la société civile, les parlementaires de l'opposition et la Cour suprême.
Nous disions à la Chambre que les peines minimales obligatoires n'étaient pas constitutionnelles. Le gouvernement a continué quand même. Qu'est-il arrivé? La Cour suprême a dit que l'opposition avait raison, que ces peines n'étaient pas constitutionnelles. La Cour d'appel en était arrivée à cette conclusion, mais le gouvernement ne l'avait pas écouté.
Pour ce qui est des centres d'injection supervisée, le gouvernement a cherché à les fermer en adoptant une loi. Qu'est-il arrivé? La Cour suprême a jugé que le centre de Vancouver, notamment, pouvait continuer à opérer sans risque de poursuite criminelle. Refuser l'exemption à InSite violait le droit à la vie garantie par la Charte canadienne des droits et libertés. Encore là, il y a eu mépris des institutions, de la Constitution canadienne et de la Charte canadienne des droits et libertés.
L'application rétroactive de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition est un autre échec du gouvernement conservateur devant la Cour suprême. Ce n'était pas constitutionnel d'abolir la procédure d'examen expéditif. Les gens qui l'ont contestée ont été admis à la libération conditionnelle. Nous, les députés du NPD, avions dit à la Chambre que cela ne fonctionnait pas et que c'était outrepasser les limites de la Constitution canadienne et de la Charte canadienne des droits et libertés. Le gouvernement n'a pas écouté, il est allé devant la Cour suprême et il a perdu encore une fois.
Un autre cas où le gouvernement a perdu devant la Cour suprême, c'est le cas concernant la commission canadienne des valeurs mobilières. Nous le leur disions: mettre sur pied une commission pancanadienne ne fonctionnerait pas. Cette réglementation est de compétence provinciale. Le gouvernement ne nous écoutait pas et il disait vouloir en créer une tout de même. Il est allé en cour et la Cour suprême a dit exactement ce que l'opposition disait à la Chambre. En outre, la Cour suprême a suggéré au gouvernement d'entreprendre une démarche coopérative. Les démarches coopératives de ce gouvernement avec les provinces ne fonctionnent pas. Nous le voyons avec les CELI dans le dernier budget. En effet, d'ici 2080, cette mesure coûtera 34 milliards de dollars aux provinces. Le gouvernement a-t-il discuté avec les provinces? A-t-il travaillé dans le cadre d'une approche axée sur la coopération? Pas du tout.
J'en viens au dessert, mon point principal: la vie privée des internautes. Il est question de savoir si la fouille dans la vie privée des gens est légitime ou non. Je le répète parce qu'il faut que le gouvernement comprenne qu'on ne peut pas fouiller dans la vie des gens sous toutes sortes de prétextes: la police doit détenir un mandat pour obtenir le nom, l'adresse et les numéros de téléphone liés à l'adresse IP d'un abonné. C'est la Cour suprême qui le dit au gouvernement.
Nous nous retrouvons devant le projet de loi S-4, qui risque encore d'aller devant la Cour suprême. Comment le savons nous? Nous écoutons les spécialistes. Les députés n'ont pas tous la prétention d'être de grands spécialistes des lois, des questions informatiques et des questions générales s'appliquant à la gestion des données. Il y a des gens qui ont comparu devant les différents comités, soit au Sénat, soit à la Chambre des communes, pour nous expliquer en quoi la version actuelle de ce projet de loi est faible. Nous avons parlé de Michael Geist tantôt. Dans son témoignage, ce dernier a dit que bien que le gouvernement ait prétendu que cette disposition ne devrait pas inquiéter les Canadiens, le fait que cette exception permettra aux entreprises de communiquer des renseignements personnels à d'autres entreprises ou organisations sans l'autorisation du tribunal, est une faiblesse de ce projet de loi. Il a ajouté que l'absence d'exigences en matière de transparence, de divulgation et de reddition de comptes relativement à la communication de renseignements sans mandat était une omission flagrante dans le projet de loi.
Ce n'est pas la première fois qu'on dit aux conservateurs que leurs lois ne sont pas bonnes. Elles sont anticonstitutionnelles. Encore ici, des dispositions seront invalidées par la cour. Pourquoi ne pas faire cela tout de suite? Pourquoi aller perdre du temps, de l'argent et de l'énergie en Cour suprême pour se retrouver dans une situation où ils se feront taper sur les doigts? Cela fait 10 fois que les conservateurs se font taper sur les doigts en Cour suprême. Ils veulent peut-être continuer; cela fait peut-être partie de leur projet politique que de s'opposer systématiquement à la Constitution du Canada et à la Charte canadienne des droits et libertés. C'est ce qui semble être le cas. Les conservateurs n'aiment pas la Charte canadienne des droits et libertés, car dans le cas des 10 lois dont j'ai parlé, les conservateurs sont allés contre la Charte.
Y a-t-il quelqu'un qui soit capable de la lire et de l'interpréter d'une juste façon? Pourquoi ne pas écouter l'opposition de temps en temps?